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Antoine Graziani | La lumière

Publié le 24 juin 2014 par Angèle Paoli
« Poésie d’un jour

LA LUMIÈRE

Nous avons sept ans et nous sommes dévêtus de nos noms.
Un figuier, un champ, un torrent, des montagnes, la mer.
Notre champ est très petit. Nous nous tenons toujours auprès du figuier, dans sa torsion ombreuse tendue depuis le mur de pierre isolant la prairie. Nous y avons installé un campement. Nous sommes des nomades ne sachant pas d’où ils viennent et pourquoi soudain ils se trouvent encerclés par les choses et nus.
D’autres champs descendent de terrasses en terrasses jusqu’au torrent. Il y a des chênes sombres poussés dans les rochers en surplomb des précipices, la douceur de ce champ de paille et de chardons, de grosses pierres mouchetées de noir comme la dispersion d’une ossature démesurée. De toutes parts, les versants boisés des montagnes nous entourent.
Nous sommes des nomades empêchés de repartir, réduits à la spirale, et, cependant, gagnés à la conviction que tout y rencontre son aboutissement. Tout nous est rivage, et c’est la raison, qui nous apparaît, d’être ainsi assemblés comme un seul corps reconstitué.
Notre commencement nous fait signe au-delà de géniteurs ne formant plus obstacle. Leur temps et leur image perdent en opacité à mesure que nous nous rapprochons l’un de l’autre, et c’est chaque jour. Nous apportons des ombres mouvantes dans une peinture, et la lumière nous suit.
Comme la terre se prive du soleil chaque nuit, nous mourons, nous sommes morts, nous avons déjà été morts. Nous avons fait le commencement se souvenir de lui-même. Nous sommes un souvenir. Nous nous traduisons l’un l’autre comme le rêve se traduit par les périodes du souffle jusqu’au gémissement et au cri. Nous avons l’équilibre des fleurs nées du même bulbe, par couple, et dont le vent, parfois, a compassion. Nous passons la ténèbre que le ciel envoie, et les saisons qui voyagent alentour. Notre disparition est nous-mêmes.

Antoine Graziani, Nuit nue, récit, Atelier des Grames, 2014, pp. 25-26. Dessins d’Émile Bernard Souchière.

Antoine Graziani, Nuit nue



ANTOINE GRAZIANI

Antoine Graziani

Source

■ Antoine Graziani
sur Terres de femmes

Le jour (poème extrait de Coïncidences)
→ La mort Jean-Baptiste (poème extrait de Saint Jean-Baptiste)
→ v e r a n o (poème extrait de Translations)

■ Voir | écouter aussi ▼

→ (dans l'Espace Corse de la revue québécoise Mouvances, coordonné par AP) le poème « liber »
→ (sur YouTube) une rencontre-lecture avec Antoine Graziani (Versu Corti, Convergence de poètes vers Corte, 3 avril 2013)
→ (sur Wikipedia) une notice bio-bibliographique sur Antoine Graziani




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