Magazine Journal intime

Sans relecture

Publié le 19 mai 2008 par Mirabelle
Tout à l'heure, je suis passée chez ses parents. La première fois depuis des mois. J'avais fait ce chemin tant de fois, avec lui. La suite de virages. Le village au loin. Cela m'a paru moins familier, ce qui m'a rendu profondément triste. Après avoir reconnu toutes les maisons, l'abribus où il zonait adolescent, ses voisins, le berger allemand, là, celui du flic. La maison. La descente du garage, qu'il avait nettoyée au karcher. Le portail des voisins, ceux avec la grande piscine, vous savez. Enfin non... Vous ne savez pas. J'ai mis sa montre dans la boîte aux lettres. Des semaines qu'elle croupissait dans un tiroir. Tiroir toujours fermé, mais je la savais là, et j'avais besoin qu'elle s'en aille. Sur la boîte aux lettres, j'ai vu son nom. Je me suis souvenu de ce jour particulier, ou il m'avait présentée à ses parents. Il était tout fier et tellement heureux quand il m'a dit : "Ma mère a dit que tu étais très mignonne et que tu avais l'air très gentille". J'avais très peur de son chien, un caniche de rien du tout, que j'ai fini par adorer. Il n'y avait personne chez les G. Mélange de soulagement et de déception. J'ai repris la Twingo et demi-tour. Comme si je n'étais jamais venue. Envie de pleurer.
Et puis au bout de la rue, une C3. "Gris orage", comme l'avait dit Sylvie au moment de son achat. C'était elle. Elle m'a dit : "Tu viens à la maison ?". J'ai refusé. Je ne pouvais pas. Retrouver ce foyer... La porte qui peine à claquer. Les aboiements de R. à l'approche des visiteurs. Le ronflement de la télévision. Les escaliers cirés. Surtout ne pas monter en chaussures. Le portrait de Sylvie trônant dans la salle à manger. Le canapé avec le vieux gilet de J.P. La cheminée où on avait fait griller des marrons. Des heures à crever la dalle... La statuette de chat sur la table basse. La cuisine qui me rappelait inévitablement la fois où j'avais mis plein de sauce tomate sur son sweat blanc immaculé, alors qu'il avait décidé de faire des calamars, qui finalement étaient immangeables. Sa sale manie d'adorer le blanc aussi...
Non, revenir ici, c'était au-dessus de mes forces. C'était trop tôt. Trop douloureux, encore. Quand serai-je prête à franchir ce seuil en ne voyant qu'une simple maison, un simple canapé, un simple salon, une simple dame, un simple monsieur ? En serai-je jamais capable ? Et je me sens incroyablement triste. Et dépossédée. Et j'ai l'impression qu'on m'a volée. Et je me dis que c'est mieux comme ça.  Et pendant que je ressens le besoin d'écrire sur lui, sur nous, il m'oublie. Et pendant qu'il me manque encore, pendant que je pense à lui, il "profite", comme il le dit si souvent. Et en ce lundi soir, où cinq malheureuses minutes à converser avec mon ex belle-mère, charmante au demeurant, ont suffi à me foutre en l'air, je me demande si lui et moi avons vécu la même histoire. Bientôt, il m'aura reléguée sur le même plan que les deux précédentes. Celles que j'étais si fière d'avoir surpassées... Tout ça pourquoi ?
Et je doute sur tout. Sur ces quatre ans. Sur tout. Et je sais que je ne pouvais pas rester avec lui après ce qu'il m'a dit. Et il me semble tellement ne plus avoir fait partie de sa vie depuis longtemps. C'était moi. Moi qui l'empêchais de vivre sa vie là-bas. Moi l'empêcheuse d'avancer. Plus j'y réfléchis, plus je me dis que les week-ends n'étaient pour lui qu'un lieu de transit. Mon appartement, la maison de mes parents des sortes d'hotels où passer un moment agréable avant de rentrer chez lui. Vous savez, ce genre d'endroits qui nous sont agréables parce qu'on sait que ce n'est que provisoire... Je voulais juste être celle qu'il choisirait.
Je garderai mes doutes pour moi. Pourtant, j'ai parfois le besoin de savoir. Juste pour lui demander... M'as-tu vraiment aimée ? Ai-je vraiment compté ? Garderas-tu un bon souvenir de moi ? Est-ce que tu sauras préserver les instants magiques que nous avons vécus ensemble ? Et j'ai si peur de la réponse que je ne poserai jamais cette question. Parce qu'au téléphone, il y a cette indifférence. Les deux cents kilomètres, et ses copains derrière. Et son boulot. Et son appartement que je n'ai jamais réussi à marquer de ma présence. Toute cette partie de lui que j'ai mal connue. Tout ce qu'il ne me disait pas. Tout ce que j'aurais voulu savoir. Ma vie, c'est là-bas..., me disait-il. C'est là que j'ai commencé à souffrir.
Et je me dis que la vie continue, sans lui. Après tout, elle continue bien là-bas, sans moi. Je lui disais : tu verras, bientôt tu m'auras oubliée... Je le lui disais, oui, tout en espérant me tromper, de toute ma chair. Et je ne veux pas qu'on vienne me dire que ça va aller. Que je vais l'oublier. Qu'il me faut tourner la page une fois pour toutes, que lui ne se gêne pas pour le faire. Souvent, ce sont les gens mariés-casés-heureux et fiers de l'être, écrasant les autres sous le poids de leur bonheur qui sont les plus prompts à sortir ce genre de banalités. Et je suis méchante en disant cela. Sans doute. Mais bon. Tant pis. Etre deux, c'est un luxe. C'est être deux, à chaque instant. Ne pas se sentir seul quand on marche dans la rue, ne pas se sentir seul dans les bars, ne pas se sentir seul tous les matins, tous les soirs. Ne pas se sentir seul devant son ordinateur, à 20 h 07, à écrire un texte triste à pleurer.

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