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Jean-louis Fournier, TROP

Publié le 28 juin 2014 par Rolandbosquet

JLFournier

       Sarah, la fille de mes voisins Hélène et Sébastien, utilise  l’expression "c’est trop" à la moindre occasion.C’est ainsi qu’elle ne boit pas son thé parce qu’il trop chaud mais qu’elle reprend un macaron parce qu’il est trop bon. Jean-Louis Fournier, qui affectionne particulièrement endosser l’uniforme du vieux bougon de la ville, n’hésite pas à son tour à "en faire trop" avec ce petit mot de quatre lettres qui agace tellement ceux-là mêmes qui manquent de tout.  Il nous invite aujourd’hui à l’accompagner dans les allées de son hypermarché préféré. Musiques lancinantes, couleurs tonitruantes, animateurs à l’humour potache, foules impatientes et anxieuses, courses dignes des 24h du Mans pour saisir la bonne aubaine, la remise flash, le bon cadeau qui pousse à la dépense. Comme toute bonne ménagère, il est confronté à tant d’options tout au long des innombrables étals que les notions d’abondance et de liberté s’estompent bientôt pour faire place à l’angoisse du choix. Comment se nourrir bon et à moindre coût sans ruiner sa santé ? Comment se vêtir à la dernière mode à vil prix ? Comment laver, récurer, astiquer, décrasser, décaper, lessiver et faire briller son petit intérieur sans faire appel à l’huile de coude ? Bientôt l’œil ne distingue plus que de vagues symboles qui ont perdu toute signification L’esprit s’évade vers des lointains inaccessibles. L’âme chavire. Une seule solution pour sortir de l’enfer : procéder comme cette jeune femme qui ne savait pas lire et qui n’achetait que des emballages de couleur orange. « Parce que j’aime bien la couleur orange en ce moment ! » Mais observez le sourire malicieux de notre faux grincheux. Il pointe du doigt les travers de nos cathédrales de la consommation alors qu’il sait très bien qu’il lui suffirait d’aller faire ses emplettes dans la superette du coin de sa rue. Là, après avoir salué le patron et son fils qui réapprovisionnent les rayons avec les derniers arrivages,  il achèterait tout simplement une tablette de beurre normand, si goûtu au printemps. Il complèterait en toute logique avec une baguette de pain traditionnel en provenance du fournil voisin tenu par un artisan boulanger. Il ajouterait un paquet de quatre yaourts de la nature, un camembert de Normandie et une bouteille de cidre bouché pour faire bonne mesure. Et il terminerait par  une boite de savon noir pour nettoyer son évier qui ne doit pas être aussi surchargé de vilaines bactéries que le laissent entendre les publicités. Comme il aurait du temps devant lui n’en ayant pas perdu dans les embouteillages, il fixerait l’aiguille des stations de son vieux poste Radialva sur France-Musique et écouterait sereinement la huitième sonate pour piano de Mozart interprétée par Daniel Barenboïm ou Christian Zacharias selon l’humeur du moment. Mais comme il doit fournir un manuscrit de 200 000 signes espaces compris, il délaisse son écran de télévision pour celui de son ordinateur et ajoute sans vergogne des pourtant, des cependant, des néanmoins et des subséquemment aux toutefois et aux quoique. Hélas, sa mauvaise conscience et son goût du travail bien fait le rappellent à l’ordre et il glisse courageusement ces adverbes, locutions et adjectifs superfétatoires dans la poubelle qui, cette fois, sera emportée par l’éboueur de son logiciel informatique. En réalité, il ne faut pas le prendre trop au sérieux ; il en serait chagrin. Il vaut bien mieux se contenter tout benoîtement de passer  en son aimable compagnie un agréable moment. Pendant ce temps, en effet, le monde tourne peut-être un peu moins de guingois. (Trop, Jean-Louis Fournier, éditions de la Différence)

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