Magazine Journal intime

Fontayre 1

Publié le 19 mai 2008 par Thywanek

Autant vous le dire tout de suite, Fontayre, c’est métaphysique. Comme ça, ça vous évitera de penser que vous ne suivez pas, alors que vous suivez très bien, mais sans vraiment vous en apercevoir.
Topologiquement cela se présente sous la forme îléenne d’un regroupement de verdure au beau milieu d’une campagne agricole céréalière, dont une bonne partie des charmes ont été sacrifiés au rendement, à l’efficacité, et aux techniques de culture qui en résultent : on en revient ici et là, mais l’inversion, de la tendance déjà ancienne, est lente : obligé de se rendre compte qu’il est plus facile de détruire la nature que de la restaurer.

Fontayre y est une grande surface de terre, sur plusieurs niveaux, bordée de haies qui ont été replantées il y a maintenant plus d’une vingtaine d’année.
Des haies qui se débrouillent toutes seules depuis, ou qui s’embrouillent, où le végétal foisonnant y vit sa vie autonome avec ses sélections, ses développements propres, et tout de même quelques contingentements certaines années.
Sur le niveau médian du domaine, la maison, avec sa haute grange, sa grande terrasse couverte, son vaste carré de pierre aux ocres clairs, toituré de tuile romaine, comme tout les autres bâtiments.
Une piscine pour les jeux d’été, lorsque défilent durant deux mois les enfants, avec leurs enfants, les amis des enfants avec leur enfants, les amis sans enfants, les parents, et autres passants.
Une végétation proche environnante faite de la luxuriance de ce qui demeure immuablement confié aux règles des saisons, et des apparats floraux, rosiers, acanthes, chèvrefeuilles, lavandes, iris, et cætera, dévolus aux soins des habitants du lieu.
Une mare à grenouille, longtemps objet de débats, inintelligibles pour le profane, sur ce qu’il conviendrait d’en faire, et qui, dans son écrin d’émeraude continue à accueillir les ébats printaniers et forcenés de la gent batracienne.
Un puits, d’où la vérité remonte et ne cesse de se propager sur l’ensemble de la propriété en avis divers, en choix contradictoires, en exubérance de parole, en patience contrariée, en progrès provisoires, sans que cela ait jamais empêché finalement ce grand vaisseau terrien d’avancer dans un temps indéfinissable, camaïeux de fraîcheurs juvéniles, de maturités discutables, de vieillissements en trompe l’œil, à travers des processions de lendemains indéfinis, de saisons toutes émouvantes, d’années à perte de vue.
Arrivé hier soir, escorté tout au long de la route par les cieux d’un Tiepolo en pleine inspiration, les œuvres nées des conjugaisons de la tiédeur et des eaux de mars nous attendaient, abondance de feuillages multiples, de senteurs et de parfums, de floraisons lumineuses.
La terre, grande maîtresse des effluves charnelles, les cascades et les opulents bouquets de roses en peuples d’arômes délicatement sucrés et nacrés, les herbes profondes, le bois humide, tout en moelleux cocon dispensant aux corps secs des arrivants une eau pure en suspension, lavante et tout de suite régénératrice.
Fontayre : fontaine d’air. Un autre beau de ce même air aurait dit : « tout n’est ici que désordre et beauté, folie, mais douceur, et vivacité. » Voilà qui est fait. Si l’on veut bien passer outre ma présomption d’être le beau de cet air-là.
Chantier permanent à l’image de toute une vie. Agacement de ce qui n’a jamais de fin. Des travaux se terminent là. D’autres commencent plus loin. Et puis tiens, cette année cette chambre va être peinte.
Et puis tiens, cet été on va planter à cet endroit près du petit escalier qui vient d’être aménagé pour descendre plus commodément de derrière la grange pour rejoindre le chemin qui descend en logeant le bâtiment qu’on soit à pied ou en auto. Il y a une sorte de maladie vitale dans cette exigence constante à demander des soins, à inspirer de nouvelles tâches dont le catalogue n’est presque jamais tenu par aucun agenda.
C’est un lieu très bergsonnien : le mouvement y est roi. Pourtant de longues et authentiques tranquillités y croissent aussi. Chacun peut se les y installer.
L’étendue kaléidoscopique des intérieurs comme des extérieurs, les séparations, les orientations, le secret possible de chaque pièce, le calme de certains ombrages, les différenciations, les rythmes, savent permettre que s’y ordonnance une véritable philharmonie de goûts, d’âges, d’aspirations, d’activités, de repos, de projets, de travail, de charmes, de langages.
La maison y est, de pierre blonde, large, généreuse, typique des grandes constructions dans cette région, traversée de part en part d’un grand couloir, axe central, artère principale, endroit de tous les croisements, carrefour, longue vue d’est en ouest, quand, durant les mois où tout est ouvert, les feux du crépuscule sont visibles du jardin de devant, quand l’œil du ponant peut suivre, le matin, le soleil qui s’élève au dessus des arbres.
Ancienne ferme, ce dont témoigne encore les mangeoires de l’écurie, les bergeries où on entrepose des matériaux et où un four à pain à été construit par un des premiers résidents, la grange bien sur, et plein de détails conservés dans le nouvel ensemble, c’est une maison qui parle. Qui craque, qui chuinte, qui respire, qui gémit, qui siffle. Une maison aussi vivante que tous ce qui l’entoure.
Qui transporte en elle, sur cet océan de campagne aux vagues collines, marée immobile sous les chaleurs, les hivers et les intempéries, un royaume de bohème merveilleusement condamné à ne jamais être figé dans un ordre définitif, dans des habitudes arrêtées, dans des convenances formelles.
Résidence secondaire ? Plaisanterie ! Résidence première. Résidence primordiale. Origine. Principauté prise entre un amont aux sources innombrables que chacune et chacun peut remonter à sa guise, selon sa fantaisie, selon son mal et selon son bien, et un aval en rose des vents puisque tout repart, tout s’en va, se fait en s’en allant, se tisse en allers et retours, s’élargit de nord en sud et d’est en ouest, se récolte, se ressème, recroît et mûrit, sèche d’étés quelquefois brûlants, se détrempe en hivers spongieux, flotte au gré de vents fous, repose dans de longs feux murmurants.
Ce matin c’est quelques jours avec F. et D.
Pour une poignée de temps dans ce domaine qui est d’abord le leur et où mon greffon a pris ce qui m’attribut de fait le statut de résident permanent.
C’est ma petite chambre de bois, au dessus de la grande cuisine. Ma tasse de café. Une fraction de mon univers m’entoure. L’original d’un tableau de chansons. Une vieille bouteille de vipérine.
Des livres. Une copie d’un triptyque de Francis Bacon, un peu de fatras. Mon laptop et les mots qui coulent, capricieux, simples, hésitants, sinueux, ramifiants, timides, tâtonnants, cherchant une plénitude, dans la plénitude apprise, conquise, dans ce centre tellurique, puits de force et d’incertitudes.
C’est une chronique plus lente qui sera faite des prochains séjours, et du profond passé déjà accumulé ici, autour, plus loin, mais ici quand même, parce que c’est là que j’ai habité durant plusieurs années.
Je vais essayer de raconter Fontayre.

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