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C'est l'intention qui compte.

Publié le 10 août 2014 par Sebastienjunca

En parcourant le site d’André Comte-Sponville[1], je découvre le courrier d’un internaute demandant au philosophe ce qu’il pense de la position de Michel Benoît sur la question de la preuve de l’existence de Dieu. D’après cet auteur, la théorie du Big-bang et la découverte du Rayonnement fossile seraient autant de preuves irréfutables de l’existence de Dieu ; à défaut, d’un projet inscrit aux origines mêmes de l’univers. Car comment imaginer qu’un tel miracle ait pu se produire sans la présence, en amont, d’une force, d’une INTENTION selon l’auteur, à même d’infléchir le cours d’évènements mathématiquement improbables ?

Poussé par la curiosité, je m’en vais aussitôt en quête du blog de Michel Benoît[2]. Ce dernier y expose rapidement sa théorie qui pour autant me semble cousue des plus grossiers arguments. Additionnant une à une les plus incroyables probabilités, il conclue que l’homme, en ne s’en remettant qu’au seul hasard, avait une chance sur 10 puissance 184 de voir le jour à la surface de notre très improbable planète. On pourrait dès lors poursuivre le raisonnement en soulignant que chacun d’entre nous, au sein même de cette humanité fragile, avait une chance encore plus infime de voir le jour.

Or, l’univers, le Big-bang, les particules élémentaires, les lois de la gravitation, les forces nucléaires fortes, faibles, les bosons, les hadrons, les leptons, les mésons, les électrons, les photons, les positons et toutes les lois connues ou inconnues auxquelles ces particules et tant d’autres sont soumises depuis au moins 13,7 milliards d’années n’ont en réalité que faire de nos observations et de nos calculs de probabilités. L’univers, au même titre que les battements du cœur ou la division cellulaire sont un seul et même mouvement, simple, unique, indivisible et indécomposable. C’est nous qui, par notre atavique besoin de fixité et d’action sur le monde, décomposons et analysons des faits originellement simples. A plus forte raison quand les sciences, qui font force de loi, poussent dans ce sens.

Certaines manières de s’exprimer conduisent immanquablement à des habitudes de penser puis à des certitudes qui, de façon insidieuse, s’insinuent dans notre compréhension du monde et faussent notre jugement. Poser la naissance de l’univers comme un évènement des plus improbables, voire impossible, sous-entend que cette « naissance », illustrée par le Big-bang des astrophysiciens, était véritablement le point de départ d’une création ex-nihilo et pour le fait absolument miraculeuse. Cela sous-entend qu’avant ce point zéro originel, il n’y avait rien, sinon le néant. Force serait donc d’admettre que notre univers serait né de rien. Ce qui apparaît déjà comme un non-sens, non seulement scientifique, mais aussi philosophique et métaphysique.

Anaxagore admettait comme vraie la théorie des physiciens selon laquelle rien n’est engendré à partir du néant. Aussi concluait-il que tout était mélangé à tout et que la génération se produisait et se produit encore par discrimination. De même Diogène d’Apollonie, pour qui rien ne naît du non-être et ne périt en non-être. Dieu lui-même aurait été bien en peine de créer le monde s’il n’avait disposé de quelque matériau brut à mettre en forme. Et s’il n’avait pas disposé de cette matière primordiale, au moins eût-il fallu qu’il sacrifiât une partie de lui-même pour créer le monde.

Le Big-bang à ce jour est le moment le plus lointain de l’histoire de l’univers que nous soyons en mesure d’ « observer ». Pour autant, il n’est peut-être qu’un moment de contraction ultime où toute la matière d’un précédent univers se serait trouvée refondue dans un Big-crunch qui aurait précédé. Contrairement à notre habitude millénaire de considérer le monde comme le fruit d’une Création ex-nihilo, peut-être est-il simplement l’une des multiples variations d’un phénomène incréé, éternel car non né. Ce qui résoudrait du même coup l’éternelle aporie du Créateur, de sa nature et de son origine.

Le principe dit du rasoir d’Ockham, du nom du philosophe franciscain Guillaume d’Ockham (XIVe siècle) pose que de deux hypothèses, la plus simple est la plus vraisemblable. Ce principe est aussi connu sous le nom de principe de parcimonie ou d’économie. Donc, de deux choses l’une : où l’humanité, après une suite infinie de causes et d’effets plus improbables les uns que les autres est un phénomène hautement miraculeux au sein d’un monde et d’un univers unique ; où elle n’est qu’un épiphénomène au sein d’une vie qui s’étend bien au-delà des formes que nous lui prêtons. Formes dont nous nous posons inconsciemment comme les phénomènes les plus aboutis et les plus représentatifs.

Or la vie, la nature, l’univers ont bien plus d’imagination qu’aucun être humain n’en aura jamais. L’univers n’est sans doute pas limité aux formes que nous lui prêtons dans l’espace et dans le temps. Nous échafaudons quotidiennement des théories au regard de nos observations. Or, nos observations toutes scientifiques et affûtées qu’elle puissent nous sembler, sont bien incomplètes et dérisoires. Et tout autant dérisoires les théories qui en résultent. Un paysage ne se résume pas à la superposition complexe de tous ses éléments : collines, nuages, arbres, maisons, feuilles, fleurs et brins d’herbe ; sans parler de tous les êtres vivants qui le peuplent et qu’un peintre aurait bien du mal à représenter sur sa toile en respectant chaque position et chaque proportion.

Un paysage, comme un homme ou un univers appellent autant de vues d’ensemble. L’oiseau qui lance ses trilles à travers la ramure se soucie-t-il de savoir quelles notes il laisse s’échapper de son gosier et dans quel ordre ? Non bien sûr. Sa mélodie, il la chante le plus naturellement du monde, aussi naturellement et simplement que tournent les galaxies sur elles-mêmes à travers le cosmos. Comme le dit Nietzsche : « Mettons que l’on estime la valeur d’une musique que d’après la quantité d’éléments susceptibles d’être comptés, calculés, réduits en formules,- pareille estimation “scientifique” de la musique, combien absurde ne serait-elle pas ! Qu’en aurait-on retenu, compris, reconnu ! Rien, strictement rien de ce qui en fait essentiellement de la “musique” !... [3]»

Certains scientifiques, que j’admire profondément par ailleurs, vont jusqu’à commettre certains abus de langage à mon sens lourds de conséquences. Dans La première seconde Hubert Reeves affirme : « On fait l’hypothèse que la nature a “choisi” de se modeler sur des fonctions mathématiques qui présentent des comportements “raisonnables”[4] » L’univers n’est pas plus à composante mathématique que l’atmosphère terrestre n’est là que pour préserver la vie sur Terre sinon l’humanité. Nous pensons toujours le monde à travers notre regard, pour ne pas dire notre nombril. Nous finissons, à travers le langage, par nous convaincre que toutes les causes ont concourues à notre existence et que l’univers s’est voulu mathématique et logique pour se faciliter la tâche et nous sembler de la sorte cohérent et rationnel.

Billevesées que tout çà et étroitesse de vue. C’est en naissant que chacun d’entre nous invente et jette un éclairage nouveau sur la succession des faits qui ont précédés sa naissance. Pour autant, l’ensemble de ces faits, et jusqu’aux origines mêmes du monde, n’a jamais été l’expression d’une quelconque intention nous concernant. C’est nous, en nous retournant sur notre plus lointain passé, qui créons un rapport de causalité entre tous ces faits. Des faits obéissant certes à une certaine logique, mais dont les formes terminales sont néanmoins aléatoires. Si l’univers rentre à merveille dans le cadre de nos formules mathématiques, c’est tout simplement parce que ces dernières sont issues de l’univers lui-même par le truchement du cerveau humain. Ce que nous voyons, ce que nous observons, même à travers nos plus puissants instruments scientifiques n’est jamais que notre propre regard sur le monde ; jamais le monde tel qu’il est.

Pour en revenir aux arguments de Michel Benoît, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à Henri Bergson et à un passage de La pensée et le mouvant où il s’attarde sur le paradoxe de Zénon d’Elée. Ce dernier, nous rappelle Bergson, affirme « qu’Achille […] n’atteindra jamais la tortue qu’il poursuit, car lorsqu’il arrivera au point où était la tortue, celle-ci aura eu le temps de marcher, et ainsi de suite indéfiniment[5]. » Avec la simplicité et l’efficacité du langage qui le caractérisent, Henri Bergson nous dit que toute l’erreur de Zénon d’Elée est de décomposer un mouvement en autant de points que l’espace parcouru est lui-même décomposable. Or, ce mouvement, comme tout mouvement, est la réalité même nous dit Bergson. « Nous raisonnons sur le mouvement comme s’il était fait d’immobilités, et, quand nous le regardons, c’est avec des immobilités que nous le reconstituons[6]. » Nous nous efforçons, ici comme ailleurs, de fractionner, de décomposer et de diviser un mouvement en soi indivisible. Le mouvement, la course d’Achille, celle des étoiles ou de l’univers lui-même ; le cours des évènements de manière générale sont des touts indécomposables. L’analyse des particules qui constituent le monde ne nous en dira pas plus sur sa nature. Pas davantage l’étude de chacun des points qui constituent le cercle ne nous aide à en comprendre le principe.

Enfin, nous prêtons à la nature la même façon d’élaborer les différents phénomènes qui la composent que celle que nous utilisons dans notre vie quotidienne ou au sein de nos industries. Dans notre esprit pétri de sciences et de technologies, nous pensons l’univers observable comme le fragile et incroyable résultat de la superposition et de l’agencement de ses plus infimes constituants. Encore une fois, nous ramenons les faits, tous les faits, à notre dimension humaine. Or, quand à notre niveau, nous nous efforçons tant bien que mal de réaliser des équilibres contre les forces dissolvantes de la nature et des lois de la physique, la nature quant à elle, possède déjà cet équilibre. Quand nous nous évertuons à réaliser un semblant d’unité par l’association de divers éléments hétérogènes, la nature, elle, procède par infinies subdivisions au sein d’une unité déjà donnée.

L’erreur fondamentale de Michel Benoît, comme de nombreux autres chercheurs, se résume en un seul mot : anthropocentrisme. Et si l’idée d’une intention présente dans l’univers n’est pas à écarter, elle n’est pas pour autant manifeste dans la présence, même très improbable, de l’homme et de la pensée sur Terre. Nous ne sommes pas objectifs quand nous tenons de tels propos. L’homme, la pensée, la conscience, tels que nous les connaissons, ne sont sans doute pas les seules expressions de ce que la vie sait faire de mieux dans ce vaste univers. Je pense au contraire que, si INTENTION il y a, elle ne relève pas d’un projet initial dont les effets ne se feraient sentir qu’après une longue et pénible maturation de 13,7 milliards d’années.

Non ! Cette INTENTION, dont la vie, la conscience et la pensée seraient les manifestations, est une des constantes universelles dont les formes sont appelées à se développer ici ou ailleurs ; d’une manière ou d’une autre. La vie ou la conscience ne se bornent pas à certains aspects évidents pour nous. Elles débordent bien au-delà les limites que nous leur assignons et qui sont les nôtres. La Vie, comme le dit Pierre Teilhard de Chardin, est l’essence même du phénomène. De celui qui a commencé il y a 13,7 milliards d’années et qui se poursuivra encore peut-être sur une même période. Et pour recommencer à nouveau, indéfiniment, en explorant toutes les formes possibles et imaginables.

Résumer le monde à ce que nous représentons, c’est le déprécier. C’est avoir une idée bien étroite de ce que peut la nature. Notre langage lui-même falsifie les faits parce qu’ils dépassent toute forme de langage. Quant aux mathématiques, ils n’en appréhendent qu’une infime portion. Celle qui répond à notre besoin atavique et néanmoins naturel d’agir sur les choses, duquel dépend notre survie individuelle et collective. Par là même, et pour le dire avec les mots de Bergson, nous méconnaissons la réalité vraie, nous créons, de gaieté de cœur, des problèmes insolubles, nous fermons les yeux à ce qu’il y a de plus vivant dans le réel.

Sébastien Junca.


[1]    Site Internet d'André Comte-Sponville

[2]    Blog de Michel Benoît.

[3]     Friedrich Nietzsche, Le Gai Savoir, Gallimard, coll. « Folio/Essais », 1999 [1956], Livre cinquième, § 373, p. 283.

[4]     Hubert Reeves, La première seconde, Editions du Seuil, coll. Points sciences, 1995, p. 136.

[5]     Henri Bergson, la pensée et le mouvant, QUADRIGE/PUF, [1938] 1998, p. 160.   

[6]     Ibid.   


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