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Lettre à André Comte-Sponville.

Publié le 11 août 2014 par Sebastienjunca

Bonjour Monsieur Comte-Sponville.

Tout d’abord merci d’avoir pris le temps de me répondre en dépit de vos nombreuses obligations.

Permettez-moi d’abuser et de préciser ma pensée quant aux deux points de désaccord que vous avez relevés.

  - En effet, lorsque je parle d’imagination dont peuvent faire preuve la nature ou l’univers de manière générale, c’est bien entendu au sens métaphorique. J’aurais dû, j’en conviens, user davantage des guillemets. Or, voici encore la démonstration que notre façon de parler, d’écrire et de décrire des phénomènes aussi vastes et insaisissables peut conduire à de profondes erreurs et de graves incompréhensions.

  - Votre seconde remarque concernant l’identification que je fais entre l’univers, la nature ou la vie, mérite sans doute de ma part quelques éclaircissements. La vie, au sens où on l’entend communément, n’est pas selon moi un phénomène isolé ; que ce soit dans l’espace ou bien encore au sein même de l’histoire cosmologique toute entière. Au regard d’une complexité qui n’a jamais cessé de croître, le phénomène vivant se pose dans une continuité logique. Il n’est en aucune façon en rupture avec les 13,7 milliards d’années qui l’ont précédés. La vie est selon moi, la manifestation, l’expression d’un potentiel intrinsèquement présent au cœur des premiers agencements moléculaires et atomiques. Ici, peut-être, nous est-il permis de parler d’ « INTENTION », en usant de nombreux guillemets cependant.

Comme le disait Nietzsche, nous avons la fâcheuse tendance à ne retenir des phénomènes que leurs seuls aspects de « surface ». Pour les sciences dites de la vie, le phénomène vivant se borne aux seuls critères de nutrition, reproduction, échanges, assimilation et croissance. Pourtant, toutes ces fonctions sont harmonieusement reliées à ce qui les a précédées et suscitées. Elles sont la suite logique et naturelle d’une complexité dont elles semblent être les manifestations les plus abouties. Or, et de deux choses l’une : ou la vie est un terme inapproprié recouvrant quelques critères pour le moins réducteurs car trop semblables à ce que nous représentons nous-même ; ou il faut étendre le terme à l’ensemble du processus qui a entre autres permis l’émergence des fonctions reproductrices, nutritives… et conscientes.

Le problème inhérent à toute science, me semble-t-il, est d’avoir une vision toujours parcellaire des phénomènes qu’elle étudie. Comment d’ailleurs en serait-il autrement puisque pour analyser un phénomène, le chercheur doit avant tout l’isoler ? Il doit le circonscrire en lui attribuant de manière souvent empirique mais aussi arbitraire des limites auxquelles il finit par croire comme faisant partie du phénomène lui-même. Pour autant, et une fois ses mesures effectuées, le chercheur oublie le plus souvent de réinscrire le sujet étudié au sein du système d’où il l’avait extrait. Par son regard grossissant, il oublie que le sujet se veut inscrit dans un ensemble plus vaste et que certaines des fonctions décrites ont un rôle dont il ne pressent pas encore les plus lointaines applications. Pas davantage d’ailleurs n’en soupçonne t-il la plus lointaine présence.

Pour reprendre les termes de Teilhard de Chardin, la vie nécessite en amont de la pré-vie. Autrement dit, toute une succession d’agencements plus complexes les uns que les autres, de tentatives infructueuses et de hasards qui, certes de façon aveugle, mais néanmoins cohérente au regard des lois de la physique, ont préparé et participé à l’émergence progressive et non soudaine du phénomène vivant.

La vie n’est pas un surgissement spontané au dessus d’une matière froide et inerte. Elle n’est pas un « miracle » jaillissant comme une étincelle jaillit de la rencontre accidentelle de deux silex. Loin s’en faut. Elle a été une suite logique et « inscrite » (notez bien que je mets des guillemets) au cœur des particules de l’univers primordial. Au même titre que l’homme est une continuation logique de l’évolution biologique ; la vie est une suite logique et inéluctable de l’évolution cosmologique. La vie, en tant que complexification croissante, était originellement inscrite au cœur de l’univers primordial de par la nature même de ses constituants. « A sa façon, nous dit Teilhard, la Matière obéit, dès l’origine, à la grande loi biologique de complexification [1] ».

Au plaisir,

Sébastien Junca.

    


[1] Pierre Teilhard de Chardin, Le Phénomène humain, Editions du Seuil, [1955] 1970, p. 36.


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