Magazine Journal intime

Quand Cariolette Est Chaude Comme Une Baraque A Frites.

Publié le 22 mai 2008 par Mélina Loupia
Puisque Fan n'as pas franchement eu le temps de m'écouter lui raconter le drame de ma vie du moment, j'ose espérer qu'il comprendra à quel point c'était important pour moi de lui confier mon désarroi. Ou pas. Car voilà. Cariolette est au plus mal. Je la savais âgée, usée, érodée par les ravages du temps et des contrôles techniques, mais je m'étais toujours refusé de croire qu'un jour, comme ça, sans prévenir, elle serait sur le point de rendre son dernier souffle. D'air. Car ils 'agit bien d'air. Ce mardi, je me lance sur la départementale en cours de lissage, avec à mon bord les valises de mon petit teuton sur le départ, qui avait oublié son doudou. Je roule cool, et tant mieux Raoul car la Marée-Chaussée m'attend à l'entrée d'un village. Et là, même si je sais que Cariolette et moi sommes bien sous tous rapports, je pense que l'uniforme m'a impressionnée et bien joué son rôle dissuasif, à l'idée que si on me collait une olive dans le fondement, je ferais bien un litre d'huile de première pression à froid tant le sentiment d'être hors-la-loi m'habitait avec son démon. Mais l'interro surprise a été une réussite et je reprends la route après avoir, enfumé copieusement mon bourreau qui était une fille, malgré la voix de Roger forcée et la queue de cheval qui refusait de se soumettre au képi et tentait une évasion subtile par le creux de la nuque. J'arrive devant le collège et prends place sur la murette, allume une cigarette en sifflotant, le nez face au vent. L'heure qui suit se noie dans un torrent de larmes européennes et intergénérationnelles, personne ne veut partir, même pas le chauffeur de bus, mes ados justifient  les yeux bouffis par l'invasion de graminées auxquelles ils ne sont pas allergiques et je masque mon cafard en riant comme une baleine ou une mère maquerelle, au choix selon les inimitiés de chacun envers ma personne. Nous repartons sans un mot, juste le concert de grincements des rhumatismes de Cariolette qui semble soudain se plaindre de la chaleur alors qu'il ne fait que vingt-trois degrés dehors. "Maman, ça sent la grillade. -C'est pas l'heure et me demande pas ce soir de faire griller, j'ai pas la tête à ça. -Non, mais ça sent plutôt le chaud, tu vois, par exemple comme quand je laisse ma PSP au soleil trop longtemps. -Pardon? -Enfin je veux juste illustrer pour que tu comprennes comment je sens que ça sent, mais l'allergie fausse mon odorat. -Oué, tu t'en sors bien." En attendant, il a plutôt raison. Je parlerais plutôt d'une paire de gants Mappa laissée au soleil sur le capot d'une voiture blanche, pour que les ménagères de plus ou moins cinquante ans matérialisent parfaitement le fumet qui emboucannait maintenant l'habitacle. "Maman, mais c'est normal? -Oui, aucun voyant n'est allumé. C'est juste probablement la chaleur, Cariolette est restée plus d'une heure en plein soleil sans écran total. Elle en sera quitte pour un bon cancer de la carrosserie. -Mais si c'était les fils de contacts des voyants qui avaient cramé? -Bon, écoute l'allergique de cinéma là, tu te cales au fond, tu te planques sous la couverture, on va repasser dans le village peuplé de gardes de la paix là. Museau. -Je peux respirer? -Je croyais que l'allergie t'avait bouché le nez." Nous arrivons finalement à bon port indemnes, nos trois paires de narines parfaitement familiarisées avec l'odeur de ce que nous avons fini par désigner de  "Chaude". J'arrête le moteur, papote avec maman, redémarre, recule et reste une minute environs au point mort à discuter avec un de mes concitoyens. Quand soudain, alors que l'heure légale du travail qui ne l'est pas moins était dépassée, voilà que notre conversation passionnante sur l'échelle oubliée dans un jardin est littéralement couverte et interrompue par le chant d'une scie à métaux, qu'un ouvrier zélé qui, naïf, pensait travailler plus pour gagner moins, avait orchestré. Même si je suis pour la promotion d'une nouvelle scène et d'artistes tout aussi indépendants qu'émergents, je ne peux m'empêcher de penser que la scie à métaux, c'est vraiment de la daube et que ça ferait jamais la première partie de Magalie Vaé. A ce petit détail près qu'il n'y avait pas plus d'ouvrier sur la place que de Magalie Vaé à la Fnac. Et que l'espèse de son monotone exaspérant provenait curieusement du ventre de Cariolette. La fatigue, l'angoisse, la trouille bleue de nous embraser en six secondes et surtout le fait que j'étais complètement en travers de la départementale ont fait que j'ai pris mon volant à deux mains et j'ai remonté le village en première, au taquet, soit à au moins cinquante à l'heure. Au bout de cents mètres, enfin, on n'entendait plus que le doux ronron du moteur de mon cuirassé. Je détends mon sourire crispé, rassure les enfants et nous terminons en chantant notre brûlant périple. Sur quoi je rentre, je jette mon sac comme mes enfants les leurs, pense que mon portable est à l'intérieur au moment où je l'entends amortir la chute, m'enroule dans le plaid et entame la sieste la plus courte de toute ma vie d'adulte. Dix minutes plus tard, Copilote interrompt la course de mon filet de bave sur l'oreiller. "T'es malade? -Non, un peu tracassée, c'est Cariolette, elle va pas bien. Elle sent le chaud. Et tout à l'heure, elle a fait un drôle de bruit. -Genre? -...Un gars qui découpe du métal avec une scie. -Quand? -J'étais à l'arrêt, au point mort. -T'avais roulé fort? -Mais non. -Bon, je vais voir." J'aime quand mon homme prend la situation bien en main, que tout est sous son contrôle. Je le vois alors ouvrir délicatement le sein des seins de ma Cariolette et y plonger la tête et une partie de son corps sec, mais musclé du vendeur informatique sur la quarantaine. Ce que j'aime moins, c'est de l'en voir sortir rapidement et avec un petit sourire narquois du gros con macho qui va vanner sa femme. "Une question comme ça, quand ça a fait le bruit, tu t'es arrêtée? -Bah bien-sûr, attends, j'avais les enfants, j'allais pas risquer de foutre le feu à tout le monde. -Non parce que ton bruit de métal là, en fait, c'est les fils du ventilo qui se sont dénudés et qui ont frotté contre le ventilo. Mais avant de se dénuder et de se faire raboter comme ça, ton bruit de crécelle, t'as dû l'entendre au moins deux minutes. -Mais puisque je te dis que je me suis arrêtée, bordel, la confiance règne. -Bon écoute, c'est pas possible si tu t'es arrêtée quand t'as entendu le bruit. -Je te dis que je me suis arrêtée. -MAIS QUAND? -Quand je suis arrivée devant la maison patate, je suis pas débile, j'allais pas foncer dans la baraque et nous faire une baie vitrée à la cow-boy non? Bon alors c'est quoi le truc, elle est morte ou juste légèrement incommodée de la chaleur subite? -J'en sais rien je suis pas mécano, mais si c'est les fils d'alim' du ventilo, à mon avis, ruinés comme ils sont, le ventilo, tu vois, il est nase et si tu roules, juste tu pètes le moteur. -Et comment je vais à la radio moi, vendredi? -Oh mais dis-donc, ça va être de ma faute maintenant? C'est pas moi qui ai continué de rouler malgré le bruit. -Mais c'est pas moi non plus. -Te casse pas vas. Les petits m'ont tout raconté. -Mais c'est la panique, ils ont eu peur, ils ont sûrement surestimé le laps de temps entre le bruit et l'instant où j'ai arrêté la voiture. -C'est ça ouais, et toi, en revanche, t'as sous-estimé la capacité de la mécanique de ta caisse pourrave qu'a mille ans et des milliards de kilomètres. -Ah ça te va bien de dire ça, les hommes, vous êtes parfaits et nous on est des tanches. -On mange quoi? -Le petit teuton est parti. -Merde, j'ai oublié que c'était ce soir et je lui ai pas dit au revoir en partant ce matin. -On mange des Nudeln." Bien évidemment, cette petite conversation conjugale a été réalisée sans trucage et avec la complicité qui nous unit, Copilote et moi, depuis vingt ans maintenant, enfin cet été. Mais même si j'aime beaucoup et pratique souvent ce genre de joute verbale avec lui, j'avoue que cette fois-ci, j'ai frisé la correctionnelle. En dehors du fait d'avoir subi la trahison de la chair de ma chair, et de m'être fait piquer comme une adolescente en train de fumer qui passe du déo dans sa chambre la clope au bec avant de recevoir la beigne de sa vie, j'ai bien failli perdre mon sang-froid. amp;

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