Magazine Humeur

Et si on mettait un peu de folie dans tout ça

Publié le 22 septembre 2014 par Secondflore

- Eh, Secondflore, tu disais que tu te moquais de l'actu et que tu attendrais tranquillement l'hiver pour lire le Carrère... Mais j'ai mes sources, je sais que tu l'as lu ! Petit cachottier, va.
- Ok, j'avoue. Quand il a été mis hors-Goncourt, ça m'a intrigué.
- Et alors, alors ?
- ça t'intéresse vraiment de savoir ce que je pense du Carrère ?
- Ben ouais.
- OK. Mais je ne vais pas t'en faire une chronique – tu sais que mine de rien, ça prend du temps, tout ça ? En un mot : j'ai lu tout Carrère depuis la Moustache et je le tiens pour un très grand (le plus grand en France assurément, depuis que Michel H. a lâché l'affaire), vu le thème j'étais tout frétillant... mais bon, avouons-le, c'est inégal – il reste cette maîtrise de la narration, cette honnêteté sans fard vis-à-vis de lui-même... et l'envie qu'il m'a donnée d'aller me replonger dans le Nouveau Testament, et de chercher la vie, la vraie, derrière des textes d'avant-hier. Bref : peut-être le sujet est-il par nature impossible, peut-être la marche était-elle trop haute, quoi qu'il en soit il y a cent fois plus de force là-dedans que dans tout ce que j'ai pu lire de la sélection de chez Drouant. Sur quoi je ne ne t'en dirais pas plus, je risquerais de m'énerver et je préfère ne pas.
- Et sinon, alors, pour s'enthousiasmer un peu, tu as lu quoi ?
- Voilà une bonne question ! Pour commencer, je te donnerais bien envie d'un peu de folie.
xla-vie-revee-de-rachel-waring_1.pagespeed.ic.rnMbA4bW2v.jpgJe te recommanderais bien la folie légère de La vie rêvée de Rachel Waring (Stephen Benatar, Le Tripode). L'histoire d'une petite bonne femme solitaire qui après un (petit) héritage décide de toute envoyer promener et quitte Londres pour Bristol, où elle se met à chercher l'amour, et à se l'inventer, quitte à passer pour une folle en abordant les inconnus dans la rue. Le tour de force du roman est de donner à voir la folie douce (et croissante) de la narratrice à travers ses seuls yeux : la plus pure définition de l'ironie dramatique, et une ironie jamais mordante, toujours tendre, qui crée l'empathie et donne envie, quand même, d'être un peu plus fou qu'on n'est.
goat-mountain_david-vann_gallmeister.jpgJe peux aussi te confier à la folie ordinaire des hommes avec David Vann. Son Goat Mountain revient vers les motifs du fameux Sukkwann Island, en plus complexe (aux figures du père et du fils s'ajoutent un grand-père (phénoménal) et un ami-de-la-famille) et avec une économie de mots encore plus grande, quatre hommes autour d'un cadavre, des fusils à l'épaule et le texte à l'os. L'assaisonnement biblico-rédempteur qui ouvre les chapitres est moins convaincant, mais peut-être suis-je trop sévère quand on touche à cette matière-là – en tout cas n'aie pas peur, ça n'enlève rien au reste.
- Tu crois vraiment que j'aimerai ?
- Je ne peux peux pas le savoir à ta place, mais si tu te piques d'écrire, vas-y voir. N'essaie pas d'imiter Carrère, tu te brûlerais les ailes ; mais de Benatar et Vann, dans deux styles complètement opposés, tu auras des leçons à prendre (j'en ai pris). Et si tu préfères la normalité à la folie, t'inquiète, je vais t'en causer bientôt avec Sophie Divry. A moins qu'on ne commence par Mileta Prodanovic, pour rire un peu et éviter de devenir fou dans une ville en guerre. Tu verras, il y a plein de bons livres quand on sort de l'autoroute. Allez, salut.


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