Magazine Journal intime

Danse avec les loups

Publié le 23 mai 2008 par Corcky



Tu vas finir par te dire que je t'emmerde, avec mes prises de position à deux balles sur le libre-arbitre et tout ça.
Et tu auras bien raison.
En même temps, c'est mon blog, donc en principe j'y fais absolument tout ce que je veux, j'y écris ce qui me passe par la tête, et vu que tu reviens le lire assez souvent, ça ne doit pas te déplaire tant que ça.
Ou alors tu es maso, et si tu veux, on peut en parler.
Aujourd'hui, j'ai envie de t'entretenir de l'effet de foule.
L'effet de foule, c'est pas seulement trente mille connards qui rotent leur Kronenbourg au stade du Heysel en huant trente mille autre connards en face, avant de se foutre sur la gueule comme des primates et de se piétiner à mort.
Non.
L'effet de foule, ça peut quand même être moins spectaculaire (et moins dramatique).
Par exemple, je me souviens qu'en 1986, pendant les grandes manifs étudiantes contre la loi Devaquet, pas mal de petits branleurs de collège (dont je faisais partie) se sont régalés à provoquer les CRS, à se rejouer leur minable petit Mai 68 personnel en hurlant "CRS, SS" et "Devaquet, au piquet!".
Ahhh, cette exaltation à nulle autre comparable, ce putain de sentiment d'appartenance, cette sensation presque enivrante de faire partie d'un groupe unifié!
Evidemment, entre mômes de douze ou treize ans, les dialogues de manif, c'était plutôt ça:
- Venez, venez, y'a du cassage de bagnoles à Saint Michel!
- Ouais! On y va!
- Putain, ça va déchirer!
- On va enculer les filcs!
- OUAIS!!!
- Et a fait, c'est qui, Devaquet?
- On s'en branle!
- ....
- ....
- Ouais, t'as raison! On va enculer les flics!
Faut dire que nous, en 1986, on avait absolument rien compris à la Loi Devaquet, on savait même pas qui était Devaquet, contrairement aux plus âgés qui avaient organisé le mouvement.
On n'avait aucune idée de ce contre quoi on manifestait.
D'ailleurs on s'en foutait pas mal.
Tout ce qu'on voulait, au fond, c'était se sentir membres de quelque chose.
Tu piges?
Se sentir appartenir.
C'est un peu ça, l'effet de foule.
Quand ça tombe sur des ados mal dans leurs baskets, ça reste encore compréhensible, hein.
On avait quatorze, quinze ans, on était cons, boutonneux, on écoutait The Cure et on s'habillait en noir, ou bien on était fan de Berurier Noir et on faisait des pogos avec des mecs coiffés à l'iroquoise. D'ailleurs aujourd'hui c'est la même chose, je ne m'inquiète pas pour les groupies de Tokio Hotel, y'a rien d'irrécupérable, c'est juste l'effet de groupe (Chantal, si tu me lis...) et ces gamins ne finiront pas forcément comme des trentenaires microcéphales, à applaudir André Rieu et Amel Bent au Stade de France, à lire Paulo Coelho et Marc Lévy, et à s'exprimer, comme des incultes du fin fond de l'Iowa, par borborygmes exotiques incompréhensibles ("genre", "tu vois", "délire", "trop mortel").
Mais parfois, l'effet de foule, ça touche aussi les adultes.
Et là, c'est moins rigolo.

Parce que Danse avec les loups, c'est sympa, mais Hurle avec les loups, ça le fait moyen, à mes yeux.
Je ne te parle pas des petits groupes de potes qui se réunissent autour d'une pizza pour foutre un peu le bordel, se payer la tronche de Sarkozy, de Royal, de la Reine d'Angleterre
ou du voisin d'en-dessous, descendre quelques bières et s'amuser gentiment à brocarder leur entourage. Ce genre de groupes-là, ça donne Hara-Kiri, Charlie-Hebdo (à la grande époque) et les radios libres des années 80, ça accouche de la troupe du Splendid et des Nuls, c'est jouissif et puis surtout, ça ne se prend jamais complètement au sérieux.
Non, je te parle de gens qui n'ont jamais entendu parler de second degré, de distance, de réflexion individuelle et de prises de position personnelles.
C'est pas pareil.

C'est chouette, de se sentir entouré, compris, accepté par des gens avec qui on croit partager quelque chose de spécial.
C'est chouette et surtout, c'est vachement rassurant.
On se tient chaud, on se conforte et on se réconforte, on a ce truc en commun qui fait que, forcément, on ne peut qu'être bien ensemble, et puis ensemble tout devient possible on se sent tellement plus forts, hein?
Du coup, ce qu'on aurait jamais eu les tripes de faire ou de dire en solo, on va s'éclater à le réaliser en groupe, parce qu'en groupe, on se sent presque anonyme, on n'est qu'une partie d'un "Tout" plus vaste, plus large, cette fameuse foule pas sentimentale pour deux sous, pour le coup, qui peut tout se permettre.

En groupe, on a beau être des moutons, on se prend rapidement pour des loups, et on a tendance à confondre la meute avec le troupeau.

C'est moins flippant d'aller gueuler "mort aux crouilles" dans une manif du Front National avec une Jeanne d'Arc tout droit sortie du Catalogue de la Redoute et quatre-cent gorilles trépanés du bulbe que de le crier sous les toits de ton épicier de quartier (tu sais, le mec qui bosse vingt heures par jour et qui te dépanne ton gros rouge à une heure du matin, quand tu te bourres la gueule avec tes potes).
C'est moins flippant de brandir des pancartes "les pédés au bûcher" au milieu de trois mille cathos intégristes coincés du cul et mal baisés, en plein XVIe arrondissement, avec une Christine Boutin en tête de cortège, que d'aller casser la gueule de Robert, ton voisin de palier, homosexuel,  lieutenant-chef dans l'Armée de Terre et accessoirement ceinture noire de karaté.
C'est moins flippant, dans un registre un peu moins trash, d'aller baver sur ta copine Ghislaine et la traiter de pute en compagnie de Léonie, Kevina, Armele et Stacy, que d'aller demander directement à Ghislaine si c'est vrai qu'elle a couché avec le mari de Louise (qui elle, d'ailleurs, n'est au courant de rien, vu qu'elle est partie au Club Med avec Jean-Pierre, le mari de Stacy).

C'est moins flippant, et puis surtout, c'est moins culpabilisant, parce que du coup, tu es persuadé d'être dans ton bon droit, vu que vous êtes plusieurs.
Avec un chef.
Ben oui, une pseudo-meute sans chef, c'est comme une couverture du Point sans Sarkozy ou Bruni: ça n'existe pas.
Le chef, c'est celui qu'on idôlatre, qu'on vénère, aux pieds duquel on se roule comme un teckel en chaleur, celui qui a toujours raison, celui qui détient la Parole de Dieu, une sorte de Jésus-Christ Superstar moderne.
Le chef, il pense pour les autres, c'est pratique, ça fait des économies de neurones, ce partage cérébral communautaire, on peut appeler ça "un cerveau pour tous".
Un chef pour décider, un groupe pour agir, dans la certitude perpétuelle d'avoir raison.
C'est pas chouette, ça?

Eh ouais. Le groupe, c'est le meilleur remède à la lâcheté.
A plusieurs, on peut cracher, dégueuler sa bile, vociférer tout en se congratulant mutuellement pour les bons mots et les traits d'esprit qu'on est tellement fiers d'avoir sorti.
On partage, le coeur aussi gonflé qu'un portefeuille de député-maire.
On communique, mais entre soi, parce qu'on a les mêmes valeurs, très chère.
On communie, la bave aux lèvres et la paupière tressaillante.
On adhère à cent pour cent, on adhère aussi fort qu'une bernique à son rocher (et tout aussi instinctivement, sans une once de recul et d'esprit critique).
On se commémore, la larmiche au coin de l'oeil et la main sur le coeur.
Des fois, même, on s'élève des statues à coups de grandes claques dans le dos.

Bon, à force, ça finit par tourner en circuit fermé, bien sûr.
Parfois, les groupies s'apperçoivent, un peu tard, qu'elles ont réchauffé un cafard en leur sein, et je n'aimerais pas être à la place de certains Sarkolâtres, en ce moment, ni à celle des inconditionnels du célèbre blogueur "Embruns", depuis son fameux billet sur les Juifs et la Shoah (sans parler des ex-fans de Dieudonné, ceux qui ont eu l'intelligence de se barrer au moment de la poignée de main avec Le Pen et du rapprochement avec les révisionnistes).

Parfois aussi, au bout d'un moment, y'en a un qui finit par se faire éjecter.
C'est presque mathématique.
Pour peu qu'il dévie d'un millimètre par rapport à la ligne d'ensemble, eh ben PAF! Il s'en prend plein la gueule. De puissant loup de meute qu'il s'imaginait être, le voilà devenu affreux mouton noir, voire bouc émissaire.
Et se retrouve exclu du groupe.
Comme une merde.

Alors, il ne connaît ni répit, ni repos, tant qu'il n'en a pas retrouvé un autre.
A tout prix.

Et ça en demande, du boulot, nom de Dieu!
Faut se retaper le parcours du con-battant, ressortir son cirage et sa brosse à reluire, faire de la lèche souvent et de façon suffisamment subtile pour ne pas passer pour ce qu'on est, c'est-à-dire un p'tit bonhomme tout seul, paumé, faible et maléable comme une nouille trop cuite, avec cet énorme besoin de reconnaissance et d'appartenance.

Jusqu'à pouvoir intégrer un nouveau groupe (ou réintégrer l'ancien, pour peu qu'on ait assez bien manoeuvré).
Et là, le soulagement suprême.
La tonne qui s'envole des frêles épaules, comme par magie.
La légèreté retrouvée, merci le Weight Watchers idéologique ou communautaire.

Silence.
Moteur.

Ça tourne.
Action! "Bêle avec les cons", première.
Clap!

Pour être un membre irréprochable parmi une communauté de moutons, il faut avant toute chose être soi-même un mouton.

Albert Einstein

Veux-tu avoir la vie facile? Reste toujours près du troupeau, et oublie-toi en lui.

Friedrich Nietzsche



Danse avec les loups

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Corcky 6 partages Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte