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Allan Beffroi #4

Publié le 20 octobre 2014 par Yannbourven

Lou vient d’avoir 6 ans. Et il est assis par terre dans un coin de la cuisine près de la litière du chat. Il regarde sa mère qui se doigte debout, en pleurant, le petit ne comprend pas, la Mère pète, se branle tout en pétant, elle jouit et se met à se chier dessus, la merde presque liquide s’écoule lentement sur ses cuisses de chair de poule, elle attrape une assiette et se la brise sur la tête, le petit ferme les yeux tandis que la Mère, étourdie, ramasse sa merde à pleine main, et à l’aide d’une fourchette la mélange à son café, elle tend la tasse, la considère, larmes aux yeux, et boit le breuvage… Le fils essaie de se faufiler, de ramper afin de sortir de la cuisine, la Mère l’en empêche, elle hurle, et se coupe les poignets avec un morceau d’assiette, ça saigne, ça goutte sur les cheveux du petit Lou, qui s’ébouriffe, et qui demande qu’est-ce que t’as maman, je n’ai rien mon fils, elle souffle, fixe ses mains en sueur de sang et de merde, elle s’assoit par terre, pardon mon fils, maman ne va pas bien, maman est fatiguée, va dans ta chambre s’il te plait… Lou, regard perdu par la fenêtre, ébloui par les derniers rayons d’un soleil qui ponctua outrageusement cette Réalité-jour. Un monde existe par-delà les barres d’immeubles et les océans, un monde nouveau qui s’offrira à lui. Mais pour le moment Lou attend impatiemment l’arrivée de la Lune avorteuse, qui ne fit pas son boulot lorsque sa Mère était enceinte de lui, il se dit que sa maman aurait dû pousser, pousser encore, fort, dans la cuvette, et que lui se serait échapper par les égouts, mais la Lune n’avorta pas la Mère, Lune ne fait pas vraiment ce qu’elle devrait faire de façon systématique, Lune est caractérielle, elle n’en fait qu’à sa tête, dommage que Lune soit un satellite muet fustigeant la nuit des hommes, mais Lune est admirée malgré tout. Le petit Lou avait eu le droit de posséder une tablette pour lui tout seul, sa mère l’encourageait souvent à regarder des films Disney dans sa chambre, à jouer aux jeux vidéo etc.  Elle lui demandait de mettre le volume à fond, et de ne pas sortir, surtout lorsque l’Homme Penché venait à la maison… Alors Lou s’enfermait dans sa chambre et les laissait tous les deux, mais la plupart du temps l’Homme Penché frappait et insultait sa mère, malgré le son de la tablette monté à fond Lou entendait quand même les cris terrifiants de sa mère. Sa mère toujours en pleurs, sa mère sculpture de douleurs. La Lune avorteuse vient de faire son apparition. Elle fixe le petit Lou, qui ne sait plus où se mettre. L’Homme Penché vient d’arriver, Lou reconnait sa grosse voix, Lou ne le voit pratiquement jamais en vrai, l’Homme penché n’est qu’une grosse voix, et ce soir elle hurle plus fort que d’habitude, on distingue nettement des insultes, salope, je vais te saigner comme une truie, regarde-moi, je vais vous tuer tous les deux, comment il s’appelle, dis-moi où il habite, parle-moi maintenant t’as intérêt ! Non je n’ai rien fait, me frappe pas je t’en prie ! Si salope, t’es la pute du quartier, sale chienne de merde, j’vais te défoncer ! Me touche pas ou… Lâche ce couteau, t’es trop conne pour t’en servir ! tu vas te faire mal, me menace pas salope ! tiens voilà, tu vas morfler, ça t’apprendra ! je vais te le foutre dans l’cul ton couteau ! comme ça !  bien profond ! alors tu brailles moins maintenant ! lève-toi, pute ! fais pas semblant, t’as rien !… oh ? parle-moi ! ouvre les yeux ! merde, qu’est-ce que j’ai fait, bordel. Le petit… Lou ? Lou ? t’es dans ta chambre ? ne bouge pas… ta mère a fait un malaise, il faut qu’on parte… il faut qu’on l’emmène chez le docteur, ouvre-moi la porte mon p’tit, s’il te plait… Au bout de quelques minutes, l’Homme Penché défonce la porte à coups de pieds, mais Lou s’est déjà enfui par la fenêtre. Il s’est retrouvé sur le balcon des voisins absents, la porte-fenêtre était restée ouverte, il s’est introduit dans l’appartement, il a ouvert leur porte d’entrée, et a quitté l’immeuble en courant, s’est faufilé dans la Réalité-nuit !
Dans un parc truffé de clodos/clandos, Lou s’essaie à la renaissance. Il emprunte des chemins de bris de verre, souffle sur des murs gris écroulés, crache par terre en réclamant sa mère, regarde autour de lui ces ombres qui filent, fantômes perdus entre deux mondes qui le frôlent, qui grimpent dans les arbres-moignons mitraillés de banches métalliques, ces hommes de la nuit sont des spectres transis dont les yeux noirs tressaillent sous la Lune qui semble bouder les mésaventures de ces enfants de la Fugue. Pour le petit ce ne sont que des monstres, des animaux voûtés vomissant des ordures ménagères, des êtres tremblants pourchassés par la Sainte Flibanque. Le jour se lève, il n’a dormi que deux ou trois heures, une vieille Rom lui a prêté une couverture, mais au réveil il est frigorifié, des flics ont vidé le parc, les vraies gens, ceux qui s’endettent et consomment tout en payant leurs impôts sans faire de vagues, ceux qui rêvent d’encore plus de sécurité, ceux qui promènent leurs enfants vaccinés, ceux qui violent cette planète de toute leur satanée force en attendant de crever, ont remplacé les êtres convulsifs de la Réalité-nuit. Alors il s’en va, il erre près de la station Stalingrad, les adultes en colère se ruent dans les bouches de métro, journée de travail, début d’une nouvelle semaine inutile, machine qu’il faut faire tourner, à tout prix, le petit Lou dans les rouages, silencieux, il aimerait tant retrouver la nuit, et cette Lune qui l’obsède, il doit avancer, s’éloigner du soleil, continuer encore, pour ne plus s’arrêter de marcher il suffirait de ne plus songer à l’Homme penché, mais c’est trop dur, surtout que ces hommes-ci, ceux de la rue, lui ressemblent tous étrangement. Six années en reclus, Lou se murait, il se rendait à l’école primaire, mais il ne disait rien, ne participait pas, ne jouait pas, son institutrice disait de lui qu’il était trop rêveur,  perpétuellement dans la lune, elle ne croyait pas si bien dire… Tandis que la Mère, belle et veuve, s’enfonçait dans les eaux noires de la vie folle, se noyait dans l’alcool et la cocaïne, l’Homme Penché n’était que son dealer au départ, mais elle s’est laissée prendre au jeu, il fallait qu’elle se défonce, encore plus, 60 euros le gramme, 120 euros par jour, plus les moyens, elle accepta donc de coucher avec l’Homme Penché, régulièrement, elle se faisait prendre sur la table de la cuisine (parfois Lou les surprenait) et puis l’Homme Penché se retirait et lui laissait deux grammes sur la table. Et Lou, ces années à essayer de grandir, à essayer de prendre soin de sa mère, son petit corps a dû en faire des allers retours entre naissance et mort, zoom vieillesse-jeunesse, il a certainement vu l’avenir se dérober, les derniers jours de l’humanité, le monde d’après comme on dit, mais à cet instant précis, tout se stabilise dans un désordre vicieux mis en place par la Sainte Flibanque : on l’a enfin plongé dans le présent ! Lou y est, tout est à découvrir, partir, s’éloigner du soleil. 
21 mars, le printemps est là, dans quelques mois ce soleil terrifiant frappera plus fort, les journées seront plus longues, les adultes seront plus fous, et la Lune avorteuse se fera plus rare. Il suit la ligne 2, remonte le boulevard, vers la Chapelle il observe les vendeurs à la sauvette, puis dans un square il aperçoit deux rats qui se battent sous un landau vide, des gens font la queue devant le théâtre des Bouffes du Nord, un Indien engueule copieusement sa femme devant un restaurant bondé, il parle vite, c’est une langue bizarre, se dit Lou, qui manque de se faire renverser par un scooter sur le passage clouté de la rue Marx Dormoy, il traverse, remonte, s’arrête sur le pont, observe un long moment les trains à grande vitesse, où vont-ils, qui sont ces gens qui partent… Il s’assoit sur le trottoir et il s’endort… Des rêves le tiraillent, il s’agite, les passants ne s’arrêtent pas pour le réveiller, Lou danse sous la Lune, sa mère se roule dans le sable en hurlant de douleur, ses poignets s’ouvrent, deux couteaux sont projetés vers la Lune, l’Homme Penché s’arrache la pomme d’Adam puis se dirige vers la Mère, il la déshabille, et la baise contre un tronc roux, son cou vomit des tombereaux d’insultes tandis qu’il pleut des bouteilles vides sur une foule de personnages colorés, la Mère veut s’échapper mais l’Homme penché l’en empêche, il la frappe à grands coups de pied, Lou veut la secourir, mais la Lune avorteuse dit : ne t’approche pas des adultes, petit, ne fais plus un geste, observe-toi dans ce ruisseau, tu verras l’avenir filer entre les carpes mortes, alors Lou ne bouge pas, sa mère est battue, hurlant, l’Homme Penché sort sa grosse queue, se l’arrache, et l’enfonce dans la gorge de la Mère qui commence à étouffer, et qui semble rire en même temps, l’Homme Penché se dirige vers Lou, qui reste paralysé, il l’attrape et le secoue, Lou a la tête qui tourne, il vomit, alors la Lune avorteuse s’éteint. Noir complet. Un deux trois Lune ! L’Homme Penché hurle, lumière ! Lumière ! La Lune se rallume, l’Homme Penché est étendu dans le sable, tout à fait mort, Lou sourit, la Mère est sauvée mais elle ne peut plus prononcer un mot, muette à jamais, une grosse queue coincée au fond de sa gorge pour l’éternité, elle s’approche de son enfant, lui caresse le visage, ses grands yeux verts absents lui disent ne t’en fais pas mon Lou, ton avenir est radieux, tu voyageras par-delà les barres d’immeubles et les océans, tu seras heureux mon enfant, tu seras heureux…

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