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Michaël Bishop | Carnet de C pour C

Publié le 26 octobre 2014 par Angèle Paoli
« Poésie d’un jour

CARNET DE C POUR C
(extrait)

Paroles de rien, de l’air dans l’air, paroles de chaleur et de brassage de l’être.

Passages au sein du passage, déplacements dans la plasticité de ce qui est.

Infinité indescriptible d’une finitude qui, à son tour, manque de nom.

Donner un semblant de vérité à ce qui échappe à toute saisie.

Dehors — mais ce n’est qu’un mot — la pluie accomplit son intériorité.

Quelques mots pour le plaisir d’une petite promenade autour d’un lac sans fond et n’offrant que reflet et surface.

L’image a son visage, mais il est nécessairement multiple. Il n’y a pas de vide, quitte à y voir un synonyme vide-plein.

Surgissement de l’aléatoire ? On ne sait pas distinguer entre hasard et logique aveuglante, éblouissante.

Marcher parmi vieux troncs, os des feuilles d’hier, la simple innommabilité des choses données.

L’improbable attention faite à quelques mots, comme si l’être en dépendait.

Indicible beauté des herbes, leur immense variété, la douceur de leur caresse, ici, dans l’immédiat.

Avancée dans l’air de l’être, sans attache, flottement.

Reconnaissance face à la totalité, ce qu’elle n’arrivait pas à accepter.

Jamais tranquilles, mais, qui sait, sereines peut-être, lovées au sein d’elles-mêmes, les mouvantes branches de l’été.

Là, au centre de cela à quoi on fait face, séparés, conjoints, distants, fusionnels, sans savoir où c’est, ce là.

Ils surgissent, mots et choses, sans distinction, sans savoir ce qu’ils sont.

Un pourquoi qui plane, des réponses cryptées qui s’offrent, une expérience de l’agnose qui, parfois, croit saisir.

Elle semble disparaître dans les brumes de sa voix, qui, pourtant, vibre, se transmettant.

Oser parler quand, déjà, le silence génère ses multitudes ? Mais c’est pour vivre ce que l’on n’est pas.

Bonheur du presque rien, et bonheur au sens fort du terme, refusant tout le reste, en riant…

Michaël Bishop, Fluvial, Agnose et Autres Poèmes, Éditions de la revue Nu(e), 2014, pp. 47-48-49.



MICHAËL  BISHOP

Michaël Bishop

Source

Michael Bishop est professeur McCulloch émérite à Dalhousie University (Halifax, Canada). Il a beaucoup publié dans les domaines de la poésie moderne et contemporaine et des Beaux-Arts, et est aussi poète, traducteur (Jean-Paul Michel, Yves Bonnefoy, André du Bouchet, Salah Stétié…), et directeur des Editions VVV (Halifax). Parmi ses nombreux titres : Women’s Poetry in France 1960-1995: A Bilingual Anthology (1997), Altérités d’André du Bouchet : de Hugo, Shakespeare et Poussin à Celan, Mandelstam et Giacometti (2003), Jungle (non-lieu)/Jungle (unspace) [2005], The Endless Theory of Days : The Art and Poetry of Gérard Titus-Carmel (2006), Contemporary French Art 1 et 2 (2008 et 2011), La Genèse maintenant, suivi de La Théorie de l’amour (2011), Un mot : ce n’est pas le sens/A Word: It is not meaning (2013) et Dystopie et poïein, agnose et reconnaissance. Seize études sur la poésie française et francophone contemporaine (2014).

■ Voir aussi ▼

→ (sur le site du CipM) une notice bio-bibliographique sur Michaël Bishop



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