Modiano, je m’en fous !

« La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres ! » (Stéphane Mallarmé)

« Tu vas quand même pas faire une fleur à Pellerin ? » (Ma conscience)

C’est la polémique bidon de ce début de semaine : la ministre de la culture a été prise en flagrant délit d’ignorance, elle n’a pas réussi à cacher qu’elle n’a jamais lu Modiano, récemment couronné du Nobel de littérature… Ben moi non plus, je ne l’ai jamais lu, et après ? Je ne suis pas le dernier pour critiquer le gouvernement, mais là, j »avoue avoir eu un peu de mal à comprendre ce qu’on reproche à Fleur Pellerin : avouer franchement qu’on n’a jamais lu un auteur, c’est toujours plus honnête que s’y intéresser subitement du jour au lendemain, uniquement parce qu’il a reçu un prix, démarche qui ne vaut guère mieux que celle du gros beauf’ qui achète systématiquement le prix Goncourt… Et puis après tout, personne n’est censé avoir tout lu, tout vu tout bu, il n’y a que les charlatans qui prétendent y être arrivé, et vivre en ayant déjà tout lu, quand bien même ce serait possible, ce serait surtout mortellement ennuyeux : Mallarmé était incompréhensible la plupart du temps, mais il s’était fait exceptionnellement très clair pour dire qu’être en état d’avoir lu tous les livres est le plus sûr moyen pour que la chair soit triste.

« Ah ouais mais quand on est simple employé, on se doit d’être compétent et d’avoir une conscience professionnelle dans son domaine, alors quand on est Ministre, c’est pas grave, c’est ça  ? » J’ai de quoi répondre à cette objection qui me rappelle tragiquement un épisode marquant de ma vie de collégien : en entrant dans la salle de cours, un jour, j’ai eu le malheur de laisser échapper un rot, ce qui en général ne m’arrive jamais. J’étais gêné, mais le prof m’a dit que ce n’était pas grave…ce qui ne fut pas l’avis de mes « camarades » qui furent au moins une dizaine pour protester que si la même chose leur était arrivée, ils auraient été exclus sur le champ (ce qui était évidemment faux)… Mais revenons à nos moutons, ce que je fais en débutant par un aveu : non seulement je n’ai jamais lu Modiano…mais je n’en avais même jamais entendu parler avant ! Et pourtant, j’un bac L et un master de lettres, j’étudie les lettres depuis des années, j’évolue depuis longtemps au milieu de gens férus de littérature et pourtant ni AUCUN de mes professeurs ni AUCUN de mes collègues ni AUCUN de mes proches, pas même dans ma famille, ne m’a jamais conseillé la lecture de Modiano ! Même ceux, parmi mes connaissances, pour qui la lecture n’est qu’un loisir (approche que je ne saurais condamner et que je ne peux même qu’encourager) ne m’en ont jamais parlé ! Certes, n’importe qui peut passer à côté de quelque chose de très important, mais là, il s’agit quand même de plusieurs dizaines de personnes issus de milieux divers et variés aussi bien du point de vue des classes sociales que des niveaux de culture, avouez que ça ne plaide pas en la faveur de cet auteur et que j’ai ainsi de bonnes raisons pour penser qu’il n’est ni très fondamental ni très important… L’avis du jury du prix Nobel ? Dans un domaine où le caractère inévitablement subjectif d’un avis est exacerbé, comme c’est le cas dans la littérature et dans l’art en général, je ne crois pas qu’une poignée de personnes, aussi brillantes soient-elles, puisse faire autorité contre une dominante que je constate dans des milieux relativement divers, à plus forte raison dans le cas d’un jugement émanant d’une institution qui attribue le prix Nobel de la paix au président des Etats-Unis ou à l’Union européenne… De toute façon, il y a gros à parier que ce jury n’attribue jamais son prix qu’à des auteurs au vocabulaire plus que châtié et à l’abri de toute réputation sulfureuse, autant dire ce qu’il y a finalement de moins intéressant en littérature : Cavanna, Frédéric Dard, Pierre Desproges, Charles Bukowski et Alphonse Boudard  étaient eux aussi de très grands écrivain, ils n’ont pourtant jamais été gratifiés de cette récompense, et il y a gros à parier qu’un auteur comme Nadine Monfils, dont les romans sont pourtant de vrais joyaux, est à l’abri de cet « honneur » très relatif.

Conclusion : si Modiano est aussi peu intéressant que mon expérience personnelle me le laisse croire, j’irai jusqu’à dire que la ministre de la culture fait relativement bien son travail en ne lui accordant pas plus d’importance. Bon, si on parlait d’autre chose ?

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