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Falaise, orgue Parisot

Publié le 01 novembre 2014 par Rolandbosquet

falaise

   Comme chaque année à la même époque, je viens de traverser la moitié de la France pour remettre mes pas, le temps d’un recueillement, dans ceux de mes aïeux. Comme chaque année, je respecte l’inévitable détour par l’église Notre-Dame de Guibray sise au pied du château de Falaise, dans la Normandie de Guillaume le Conquérant. Chaque veille de fête, en effet, un successeur de Jean-Noël Toustain et de Marie-Claire Alain y prépare l’accompagnement des cérémonies du lendemain sur l’un des derniers orgues Parisot encore en service en France. Lorsque j’arrive tout essoufflé pour m’être baguenaudé le nez au vent dans le parc du château de la Fresnaye, la moitié des bancs est déjà occupée. Je m’assieds à mon tour sous le regard bienveillant de la statue de St Roch, non sans avoir jeté auparavant un coup d’œil vers la tribune. Deux ombres en conciliabule sont penchées sur l’instrument. « C’est Erwan Le Prado, me chuchote ma voisine, le titulaire. » Autour de nous, les conversations mezza-voce vont bon train ; deux enfants explorent les lieux avec curiosité à grand renfort d’exclamations amusées ; une religieuse tout de gris vêtue remonte la nef à grands pas.  Soudain les hautes voûtes romanes vibrent sous l’attaque d’un accord digne d’un Thierry Escaich. Les têtes se relèvent dans un même mouvement. Les deux enfants, effrayés, se réfugient dans les jupes de leur mère. Quelques arpèges échappés au hasard se lancent dans une course désordonnée. Une jeune femme se précipite vers le parvis à grandes enjambées, un bébé en pleurs dans les bras. Le silence retombe. Et les premières mesures de l’un des offertoires de Nicolas Lebègue, reconnaissable aux puissantes basses mêlées de sonores dessus de trompettes qui l’introduisent, emplissent l’air de solennité. Comme chantournées de velours, de baroques cromornes leurs succèdent et rivalisent pour exprimer la ferveur des pauvres pécheurs offrant à Dieu le modeste don de leur foi. Chaque pouce de peau frémit sous la musique qui pénètre comme mille aiguillons jusqu’au plus profond des nerfs et de l’âme. Transporté par la grandeur de cette prière immense qui monte vers le ciel, l’auditeur se sent infiniment humble et misérable. Doutes et questionnements s’effacent et se diluent dans la beauté et l’harmonie du lieu et du moment. On voudrait les voir se prolonger encore et encore. Après quelques instants abandonnés au silence, elles ne durent que le court temps d’une élévation et de quelques rapides improvisations plutôt libres sur deux ou trois thèmes de la Toccata de Jean-Sébastien Bach. Puis elles s’effilochent à leur tour, bousculées par la rumeur de la rue qui monte et s’engouffre jusqu’au chœur plongé dans la pénombre. Murmures de papier que l’on froisse. Claquement de talons sur les marches de bois de l’escalier. La répétition est terminée. L’église se vide rapidement. Le soir dépose sa nostalgie sur les vieilles maisons rescapées des bombardements alliés de 1944 et sur mes années d’enfance. Je reviendrai. (Pièces d’orgue de Nicolas Lebègue par Thierry Maeder sur les orgues Parisot de l’église Notre Dame de Guibray, disques Verany, photo : https://www.flickr.com/photos/biron-philippe)

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