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Observations sociologiques au sein d’un groupe de figurants de cinéma (2)

Publié le 11 novembre 2014 par Legraoully @LeGraoullyOff

10-11-Les appretntis artistes à l'auberge de jeunesse

Je n’en ai pas l’air, comme ça, mais j’ai la culpabilité facile : aussi, j’avoue qu’après avoir écrit et publié le premier article de cette série que je poursuis aujourd’hui, j’ai été quelque peu torturé par ma conscience : avais-je le droit d’émettre un jugement sur la vingtaine de jeunes qui, comme moi, avaient participé au tournage des premières scènes du prochain film de Marion Vernoux ? Ne prenais-je pas le risque de faire croire que je me sentais supérieur à eux, que je les prenais pour des cons ? Et puis, tout bien réfléchi, pas du tout : je dis bien que j’ai mené mes observations « au sein d’un groupe de figurants », ce qui veut dire que je m’inclus dans ledit groupe, au sein duquel je n’ai joui d’aucun privilège particulier si ce n’est d’avoir été identifié comme un personnage un peu à part par les autres figurants qui, pour certains d’entre eux, sont de brillants diplômés en quête d’emploi : ma situation n’était donc pas celle de l’anthropologue imbu de sa supposée supériorité sur les peuples « primitifs » qu’il étudiait mais plutôt celle du Persan de Montesquieu ou de Meursault, « l’Étranger » de Camus.

Ce point étant éclairci, revenons à nos moutons : je vous disais hier que mes provisoires collègues ont passé une bonne partie de leur temps à pianoter sur leurs smartphone en attendant l’heure d’aller sur le plateau de tournage (je dois dire que je ne m’attendais pas à une telle attente, si j’avais pu anticiper, j’aurais apporté de la lecture). Dans la petit chambre bondée et surchauffée (il y a évidemment un lien de cause à effet), une ambiance plutôt monotone s’était donc imposée et rien ne semblait devoir perturber cette apathie jusqu’à ce qu’une jeune femme fasse une fausse manœuvre sur son smartphone et laisse en échapper l’annonce sonore d’une dépêche de dernière minute annonçant qu’un certain « jeune Thomas » avait été admis à l’hôpital : la demoiselle s’empressa de couper le sifflet à son bidule, et l’affaire aurait pu en rester là s’il ne s’était trouvé un certain nombre de personnes dans l’assistance, manifestement préoccupées par l’affaire, pour réclamer que le flux informatif ne soit pas interrompu, ce à quoi la jeune femme consentit… Une fois mes compagnons de figuration informés sur le sort de ce Thomas, je dus leur demander des éclaircissements car j’ignorais qui était cette personne qu’ils nommaient avec autant de familiarité que si elle comptait parmi leurs proches : on me répondit qu’il s’agissait du compagnon de Nabilla… J’avais eu vent, bien entendu (difficile d’y échapper, hélas) de ce qui n’était jamais qu’un fait divers sordide parmi tant d’autre, mais j’ignorais que le compagnon de la starlette siliconée se prénommait Thomas, ignorance dont je ne rougissais pas, je dois bien le dire… Bon, je ne vais pas accabler tous ces jeunes gens : rien ne dit qu’ils n’auraient pas eu la même réaction de curiosité spontanée si la nouvelle avait porté sur la chute du mur de Berlin, le barrage de Sivens, ou les dernières annonces du président de la République ; mais même en envisageant cette hypothèse, cette anecdote n’en serait pas moins préoccupante puisqu’elle signifie bel et bien que les faits divers et les aventures des individus acquérant une relative notoriété grâce à la télé-réalité sont mis sur le même plan que les affaires politiques et sociales intérieures ou internationales, ce qui est le signe patent d’un nivellement culturel par le bas caractérisé notamment par une perte totale de crédibilité de la politique et par une « pipolisation » de l’actualité que les grands médias ne se sont pas privés d’accélérer dans une logique bassement mercantile…

Pour masquer mon désarroi, je rentrai brièvement dans le jeu de l’assistance en sortant une vanne comme j’en ai le secret : « Si ça avait été elle qui s’était fait poignarder, la couche de silicone l’aurait protégée et elle n’aurait rien senti ! » (Si elle vous plaît, vous pouvez la réutiliser au cours de votre prochain repas de famille, je n’ai pas eu le temps de la déposer à la SACD) Et puis l’empressement autour du sort du jeune Thomas repartit comme il était venu, laissant le mutisme reprendre ses droits jusqu’à l’heure du repas… À suivre…

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