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Mémoire vive (53)

Publié le 15 novembre 2014 par Jlk

Venezia, alla Calcina, ce samedi 15 novembre 2014.- Cattiva prima notte a Venezia, ma non ci vedo alcun segno negativo. Le résultat probable de pas mal de stress ces derniers jours, des médiocres raviolis d'hier soir (en élégante forme de corolles compliquées mais pâteux et baignés de sauce lourdement salée) que j'ai arrosés d'à peine deux verres de Brunello. D'ailleurs l'insomnie m'a donné l'occasion de faire un tour, à quatre heures du matin, par les marges voyageuse de Jean Prod'hom, en lequel j'ai découvert un  arpenteur singulier des lieux les plus divers, de nos hauteurs préalpines aux quatre horizons. J'y reviendrai plus souvent qu'à mon tour, comme on dit.

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Thierry Vernet dans ses Carnets: "En matière de peinture, la lumière n'a rien à voir avec l'éclairage". Or ça vaut particulèrement à Venise, dont le décor ne serait que de carton théâtral au seul éclairage électrique, alors que la lumière change tout, comme l'a vu Cendrars et comme je le vois ce matin gris luminescent.

Le Cendrars de Bourlinguer: "Je ne souffle mot Je regarde par la fenêtre Venise. Venise. Reflets insolites dans l'eau de la lagune. Micassures et reflets glissants dans les vitrines et sur le parquet en mosaïque de la Bibliothèque Saint-Marc. Le soleil est comme une perle baroque dans la brume plombagine qui se lève derrière les façades des palais du front de l'eau et annonce du mauvais temps au large, crachin, pluies, vents et tempête. Je ne souffle mot".

À La Calcina, le parquet lustré et la marche de marbre qui nous fait descendre dans la chambre, le lit étroit à montant de vieux bois et le miroir ovale doivent dater du temps du petit Marcel, qui y est venu après John Ruskin dont on voit la blanche barbe en remontant les quatre volées d'étroites marches de l'escalier du Souvenir; j'ai feuilleté hier soir le très volumineux press-book de la maison, mais de tout cela, de toutes ces Références, je me fiche pas mal ce matin de me retrouver à Venise comme pour la première fois. Cependant  à cela aussi je sais que je reviendrai. On ne va pas etre snob au point de cracher sur tout ce qui rappelle la Culture. D'ailleurs un grand panneau rouge à lettres d'or le rappelle, devant la Salute où j'ai passé tout à l'heure, par ces fortes paroles de Sa Sainteté polaque Jean-Paul II, santo subito: "La cultura è ciò per cui l'uomo, in quanto uomo, diventa sempre più uomo". 

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C'est donc le premier jour de mon retour à Venise plus de vingt ans après notre bref passage sur le chemin de Dubrovnik où se tenait le mémorable congrès du P.E.N-Club (mémorable parce que les Croates y avaient fomenté l'exclusion de la section serbe, à quoi le Président hongrois Györgi Konrad s'opposa fermement), et ce matin, au bout du quai des Zattere, je me suis rappelé la note de Philipe Sollers dans son Guide amoureux de Venise, qui affirme  que ce lieu, en face de la Giudecca et du Redentore, à la pointe de la Salute représente "le plus bel endroit du monde". On connait Sollers,qui a tendance à proclamer que le lieu où il se trouve est forcément le centre du monde, et d'ailleurs son Guide amoureux ramène très souvent à son cher lui-meme et à son oeuvre, laquelle me réjouit de plus en plus, au demeurant, par la fluidité, les micassures et les reflets de soleil liquide dans le ciel de ses pages à la fois nacissiques et ouvertes au monde - à ce qu'il appelle le "multivers"...

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Philippe Sollers dans le très épatant et tres exaspérant Médium, écrit à Venise pas loin d'où je crèche: "L'univers, ou le multivers,infiniment grand ou petit, se rit de vous, de vos prétentions, de votre idiotie. Il est mort de rire, l'univers, en considérant vore dimension d'insecte". Et ceci d'assez tonique aussi: "De toute façon, Dieu, s'il existe, semble considérer de très loin ce bordel". 

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Quant à moi, non moins infime insecte que le putain de moustique que j'ai fini par éclaffer cette nuit, j'ai fini hier, dans le Pendolino, les trente pages du premier des sept chapitres de mon roman intitulé La vie des gens, dont le thème est en somme la quête d'immunité d'un fils de grand littérateur se payant de mots et qui exorcise, plus précisément, la tristesse d'enfance venue des mots qui font mal...

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Philippe Sollers: "J'ai traversé mille fois le pont de l'Umiltà, le quai des Incurabili, celui du Santo Spirito. Je ne compte plus les cafés bus au soleil contre le miroitement de l'eau et son battement régulier sous les planches. Le Linea d'ombra a disparu, Aldo aussi. Gianni, La Calcina et La Riviera sont là. Chaque jour, matin et soir, la messe est dite aux Gesuati, Santa Maria del Rosario. Passant ou passante, allume ici un cierge pour moi. Je suis Incurable, mais peut-être que le Saint-Esprit me protge. L'Humilité devait me faire pardonner mes erreurs. Et comme l'a dit bien meilleur que moi, en s'avançant sur le devant de la scène, pour signifier la fin du récit:" Let your indulgence set me free"...


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