Magazine Humeur

Grooming et compagnie

Publié le 20 novembre 2014 par Rolandbosquet

grooning

     C’est avec un grand étonnement qu’à l’occasion d’une visite de courtoise de Sarah, la fille de mes voisins Hélène et Sébastien, j’apprends que je suis totalement tendance. Mais si Papet ! Avec ton vieux pantalon de velours râpé aux genoux et ton chandail rapiécé aux coudes, tu t’habilles en pur vintage postmoderne. C’est "trop cool" ! J’en suis fort aise, bien sûr. Pendant presque vingt ans, ma barbe noire et ma chevelure bien fournie évoquaient plus l’animateur culturel que le vendeur de voitures ambitieux payé à la commission. Je pouvais passer pour un intellectuel de gauche sinon pire encore. Je ne déparais pas au milieu des soixante-huitards partant pour Katmandou sous Pompidou. Je faisais bonne figure avec les révolutionnaires des mouvements libertaires paysans sous Giscard. Et mêlé aux professeurs gouvernementaux de la République des années 80, j’avais l’impression de participer au retour de la société vers son futur. Mais les canons de la modernité changèrent de cap et imposèrent les joues glabres et le menton bien lisse copieusement arrosé d’eau de toilette aux fragrances sauvages. Je devenais d’emblée "hors course". Suivit la mode de la barbe de trois jours pour adolescents attardés. La mienne avait acquis entretemps les nobles attributs de la sagesse conquise avec l’âge et ma chevelure quasiment disparu. Mes vêtement délaissaient la couleur noire qu’affectionnaient jadis les anarchistes en chambre pour épouser, de temps à autre, le rouge bon chic bon genre des abonnés à Télérama pour le haut, le beige profond des penseurs universitaires pour le pantalon et le mauve ecclésiastique pour les chaussettes. En un mot, j’étais définitivement devenu "has been", dépassé, démodé, désuet, obsolète. À ranger sur l’étagère du haut avec ces objets qui ne servent que rarement mais que l’on ne jette pas encore par sentimentalisme décadent. La caissière du cinéma faisait la grimace en me délivrant mon ticket à cause de la ristourne pour séniors qui obère son chiffre d’affaire. L’ouvreuse du Grand Théâtre Municipal me tenait par le bras pour me guider jusqu’à mon fauteuil de crainte que je ne chute à cause des marches trop étroites. Jusqu’à la jeune guichetière stagiaire de l’Auditorium de l’École Municipale de Musique qui vérifiait plus ou moins discrètement si j’usais ou non d’un sonotone avant de me conseiller une place pour le concert d’automne de l’Orchestre Philarmonique Régional. Mais Georges Clooney, encore auréolé de son succès télévisuel et de quelques films bien choisis, arbora soudain une barbe épaisse et drue quoique grisonnante, Frédéric Beigbeder redoubla ses prestations sur le petit écran et Michel Onfray lui-même envisagea d’abandonner le rasoir dans l’espoir de ressembler à Gaston Bachelard. En un mot, la sagesse et la virilité se logeraient dorénavant dans la barbe. Avec, en plus, mes frusques de vieux jardinier, me voici enfin logé au cœur de la vague avant-gardiste. Mon avenir, comme celui du monde, s’avance donc joyeusement vers des lendemains toujours plus radieux

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