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Malherbologie

Publié le 04 décembre 2014 par Rolandbosquet

malherbologie

         Il n’est pas de jour sans que je n’aille me baguenauder dans mon courtil. Je vais saluer mes chèvres naines d’un crouton de pain dur, échanger quelques mots avec mes pigeons et parler à mes arbres. Les uns et les autres m’aident à garder les pieds bien ancrés dans mon terroir sans perdre pour autant le goût de rêver à des contrées lointaines en contemplant la course des nuages. Mais il n’est pas de jour non plus sans que je ne me baisse pour arracher une herbe indésirable surgie soudain de nulle part et s’épanouissant entre mes plantations comme des lecteurs d’Anna Gavalda au milieu d’une croisière littéraire animée par Bernard Pivot. Non pas que je sois à tout prix malherbophobe. La nature est bien souvent meilleure juge que moi. Apportées par le vent, les oiseaux ou le hasard, nombre de plantes s’installent dans les parterres, au pied d’une haie ou au beau milieu de la pelouse. Si elles savent m’intriguer, m’étonner ou simplement échapper à mon regard, je me garde bien de me baisser au risque de me briser les reins pour les arracher. Je laisse leurs fleurs s’épanouir sans retenue. Mais il arrive aussi qu’elles n’apportent rien ou se révèlent inopportunes à l’endroit qu’elles ont choisi. Je me contente alors de déplacer celle-ci qui me paraît prometteuse pour la mettre en scène et lui donner tout l’éclat qu’elle mérite. Et je jette celle-là dans un recoin du jardin où elle participera, malgré tout, au compost qui enrichira plus tard la terre si gourmande du potager. Mais comment faire la différence lorsque seules quelques feuilles apparaissent ? Vous croyez que ces deux modestes cotylédons deviendront de joyeux bleuets champêtres et leur haute tige ne révèle au printemps qu’une triste efflorescence de moutarde des champs. Vous croyez détecter les premières feuilles de renouée des oiseaux. Qu’à cela ne tienne, pensez-vous, elle va ramifier en tous sens mais les oiseaux se régaleront de ses graines. Je la laisse. Or vous laissez en réalité le loup entrer dans la bergerie car il s’agit de digitaire sanguine qui va affreusement proliférer. Il n’existe hélas aucune école en malherbologie. L’apprentissage se fait directement sur le terrain. C’est sans doute pourquoi on voit tant de mauvaises herbes essaimer un peu partout. Vous venez par exemple d’être nommé Premier Ministre et il vous faut constituer votre gouvernement. Il est alors beaucoup plus difficile de faire la différence entre deux belles plantes brillement sorties des Grandes Écoles de Tout qu’entre un vulpin des champs et une pousse de blé d’hiver. L’un donnera des milliers de graines inexploitables et l’autre une farine riche en nutriments.  L’un ne prouvera que son incompétence, ce qui est rarement rédhibitoire en la matière, l’autre se dévoilera une mauvaise herbe fiscale, ce qui deviendrait fâcheux si cela venait à se savoir. On voit par-là combien il faut, pour diriger un grand pays, non seulement cultiver la souplesse neuronale qui permet à une pensée rapide de se développer harmonieusement mais qu’il est aussi indispensable d’agir en jardiner averti et impitoyable. Car le monde, quoi qu’il en soit, continue sa marche imperturbable vers son avenir radieux.

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