Magazine Journal intime

Tu T'Es Vu Quand T'As Bu?

Publié le 27 mai 2008 par Mélina Loupia
Je présente par avance toutes mes excuses à l'artiste que j'étais venue applaudir et écouter ce soir-là, mais malgré tous mes efforts, j'ai dû vomir cette pilule trop lourde et dure à avaler. Dès que j'ai su qu'il venait chanter pas loin, j'ai ouvert mon agenda de ministre ( c'est comme ça que les jaloux prononcent mon carnet de notes) et j'ai immédiatement hachuré la journée entière. J'ai rabattu toutes les paires d'oreilles que j'ai pu croiser entre temps et ai fini par décider Copilote de m'accompagner à cette soirée, non pas parce qu'il n'aime pa le cd que je passe en boucle toute la peu sainte journée, mais juste que le samedi soir, quand on a quarante ans moins une poussière de jours, on est aussi gai, frais et disposé à faire la fête qu'un flan démoulé quinze jours avant d'être gobé par un octogénaire. Mais soit. Il m'aime, moi aussi et c'est lui qui conduit. Nous voilà lancés modérément sur la départementale sinueuse et humide, prêts à passer de l'autre côté des Corbières le temps d'une soirée. Arrivés devant le café, déjà, la foule avait investi la terrasse, que l'orage avait momentanément épargné. J'ai repéré mon hôte, ainsi que l'artiste qu'il avait l'honneur de représenter et rapidement, je me suis plongée dans l'ambiance plutôt détendue et bon enfant du lieu. On a décidé de manger dehors. Avec les musiciens. Et les copains. J'ai pris un apéritif, un Communard que ça s'appelle, vin rouge de table habilement acidulé grâce à la crème de cassis, et je me suis arrêtée là, un ça va, trois ça va, ça va, ça va... Copilote s'en est tenu à la traditionnelle anisette bien de chez nous qui ne l'est pas. Quand les pichets de rosé et de rouge sont passés à table en même temps que nous, nous n'y avons pas touché plus que de raison, juste assez pour faire passer le magret. Un convive a cédé sa place à un autre qui avait plus faim que lui et qui visiblement avait grand besoin d'éponger son apéro prolongé très peu comique. Après tout, je n'étais pas là pour picoler, mais pour assister à un concert, mais j'ai joint l'utile à l'agréable, puisque j'avais décidé de commenter la performance de l'artiste plus tard, dans le cadre de mon boulot.Le naturel a pris le dessus et j'ai pris quelques cibles au hasard dans l'assistance que j'ai eu le loisir d'observer au fil de la soirée. Les voir évoluer. Au fil des heures. Au fil des verres. La progression plus ou moins lente de la déchéance éthylique. Il y a les comportements de certains très prévisibles, d'après les rumeurs que j'entendais s'échapper de la part des habitués. "Et voilà, il va foutre sa petite merde, comme d'habitude" "Ah, allez, dans cinq minutes, il se fait chopper par le collet et foutre dehors." "Tain, j'espère que ça va pas gâcher le concert hein." J'écoutais, je regardais, pas une miette de regards, de gestes, de mots ou de lourds silences ne m'ont échappée. Et le concert a enfin commencé. Immédiatement, je suis entrée dans la bulle de l'artiste dont la métamorphose sur scène me procure encore cette nuit le frisson de l'avant-veille. J'ai vu des gens qui avaient su s'arrêter de s'hydrater à temps pour profiter pleinement du spectacle faire la ronde autour de l'artiste et des musiciens et s'animer simultanément, au diapason avec les notes, les mélodies et l'énergie présente. J'ai vu des mains d'inconnus se joindre pour la musique et le bonheur de partager. J'ai vu des lèvres bouger et chanter religieusement ce que leurs propriétaires avaient déjà entendu chez eux. J'ai vu des pieds battre la mesure, même des récalcitrants assis dans le fond. J'ai vu des épaules remuer timidement d'abord et franchement se désarticuler ensuite. J'ai vu des sourires illuminer les visages les plus sombres et mettre à jour une beauté que seule la musique est capable de dévoiler. J'ai entendu des refrains à la cantonade. J'ai entendu des mains taper, taper et taper encore, en demandant la suite, et vite. J'ai crié, chanté, dansé, sauté. Et je suis sortie pour fumer à l'entracte. Et j'ai revu ceux qui avaient préféré la musique de la pression qui mousse dans les verres. L'oeil hagard. La consonne traînante. La colère facile. La tristesse au bord des lèvres. La gestuelle ankylosée.Les premiers verres qui se brisent au sol.Les premiers éclats de voix au sein d'un couple plus avîné qu'un quintet pour un regard un peu trop appuyé plongé dans une poitrine vertigineuse et justifiant de tout casser aux alentours. La tristesse mêlée de honte des voisins de tables dont les coudées avaient été moins franches. J'ai fumé riche comme on dit par chez nous. La vision que j'ai eue de cette terrasse a rendu ma pause cigarette triste et amère. Je suis retournée m'abreuver de cette musique dont j'étais déjà en manque. Ah oui, c'est à ce moment que Copilote m'a offert une bière à la bouteille, une de mes préférées, que j'ai bue en plus d'une heure. L'artiste a profité d'un léger flottement au bar pour nous présenter, mes Brèves de tiroir et moi, et conseiller au gens mes mots avec ses notes. J'avais amené quelques exemplaires avec moi. Sept pour être exacte. J'en ai dédicacés et vendus deux dans cette foulée promotionnelle. La soirée a continué dans cette veine, on venait de parler de moi dans un micro alors j'ai suscité un petit intérêt. On est venu me voir. "Alors, t'as écrit un livre? Combien il coûte? Ah, j'ai plus d'argent, j'ai apporté juste de quoi me payer un coup à boire, mais je le commanderai sur Internet, bravo, t'as pas une clope?" "Tu as un exemplaire là sur toi? -Oui, je vais te le chercher. -Je peux l'avoir? -Bien-sûr. Je te le dédicace, attends. -Bon, entre nous, on va pas parler argent hein, aujourd'hui quinze Euros, c'est quoi pour toi et moi, rien, ça va rien changer entre nous que je te donne de l'argent pour lire ton livre. -Bien-sûr... -Merci à toi et à ton mari de m'avoir offert le livre et la bière." C'est sûr que pour quelqu'un qui vit de ses multiples rentes et que peut faire à peu près tout ce qu'il veut à moins de cinquante ans, quinze Euros, finalement, c'est rien. "C'est toi qui travaille à la radio? -Oui, et toi, tu es un tiers du trio que je présente toute la semaine et qui fait rire tout le monde? -Oui, voilà, écoute, on m'a parlé de ton livre..." Je garde la suite de la conversation pour moi, mais si le petit bout de femme ne m'a pas dispensé ses paroles en l'air, je suis ravie de lui avoir offert mon livre en guise de tube à essais. "Écoute, je ne lis pas, j'aime pas ça, mais je soutiens les artistes locaux, tiens, quinze Euros, tu peux me le dédicacer? -Ok, j'achète ton album et je veux aussi une dédicace de tous les musiciens présents ce soir. -Ok, c'est vingt Euros pour l'album et le single." J'ai perdu au change, mais à ce moment de la soirée, je me fichais bien de savoir ce que j'avais perdu ou gagné, la musique était là pour adoucir le peu de moeurs qui erraient entre le bar et le trottoir. Car au bar, justement, à la fin de la soirée, alors qu'il me restait un exemplaire, j'ai entrepris une discussion avec un des musiciens qui avait signé l'album que je venais d'acheter. Pour la blague, je me suis défiée, je voulais le lui vendre à lui, tant il n'avait pas été correct au repas et exécrable cinq minutes auparavant sur la terrasse, insultant copieusement toute l'assemblée, pour des raisons encore obscures mais probablement justifiées par la haute teneur en tannin de ses levées de coudes régulières. "Tu sais, je suis au RMI, j'ai des gosses et c'est pas facile, je vis de rien, mais allez va, je te l'achète ton livre, mais je veux une belle dédicace. -Ok." Je m'exécute, sincèrement et lui tends ce qui était sur le point de lui appartenir, moyennant le billet de cinq Euros qu'il tentait de me mettre dans la main. Gentiment, je lui fais remarquer que la couleur et la valeur n'étaient pas tout à fait bonnes. "Alors ton bouquin de merde, je te le prends pas." C'est vrai qu'aujourd'hui, avec le RMI, on ne vit que très difficilement. Et d'autant plus quand le RMI, on le boit. J'ai remballé mon livre que j'ai trouvé tout d'un coup souillé, sali et ai récupéré Copilote sur la terrasse, qui tentait de se débarrasser d'un trop jeune homme que l'alcool empêchait de comprendre qu'il devenait incorrect. Les autres musiciens ont bien vu le manège et sont venus présenter leurs excuses au nom de leur compagnon. Je me suis contenue et suis restée extrêmement polie avec ces hommes qui  n'en étaient pas à leur premier sauvetage. Et nous sommes repartis. Fatigués. Pas grisés. Mais aigris. Sur le chemin, pas un mot n'a été échangé. J'ai refusé de passer le cd que je venais d'acheter dans le lecteur de Troicencette, la digestion était douloureuse. "Finalement, c'était génial, j'ai vraiment aimé le concert. Et toi, alors t'as vendu tes bouquins? -Deux vendus, un offert, un escroqué, un prêté et un volé. Il m'en reste un." J'aurais préféré tous me les faire voler. Au moins, celle ou celui qui a osé m'en chiper un exemplaire n'a pas eu besoin de prétexter  la futilité de l'argent ou d'avancer de vagues excuses de contexte financier difficile, ou encore la prétention de se faire offrir un livre par une écrivaillonne. Après tout, je n'étais pas venue pour ça. Ni pour me gâcher la soirée. J'étais juste venue écouter un de mes artistes préférés en concert et en faisant abstraction de tous les parasites extérieurs, j'ai apprécié chacune des notes jouées, de la première à la dernière. Je rends hommage à l'artiste et à quatre des cinq musiciens qui ont su m'emporter là où j'avais besoin d'aller. Le seul responsable de la soirée, le seul et unique coupable des méfaits qui se sont produits, c'est l'alcool, malheureusement la seule excuse valable aux comportements de ces gens dont j'espère qu'ils ne sont pas aussi vils à jeun. Ils ont à leur avantage et je l'espère pour eux de ne se souvenir de rien le lendemain. Moi si. Ce matin, ne réussissant pas à vomir les déchets toxiques de la soirée, j'ai arraché la page de la dédicace avortée et mis le Cd et le Single à la poubelle.

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