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Au bord du canal

Publié le 08 janvier 2015 par Ctrltab

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Intérieur, escalier de l’immeuble de l’appart de Chris Geoffroy

Ralf et Anna dévalent les escaliers. Anna a enfilé un épais manteau cape kaki. Elle est passée devant Ralf. Elle descend vite sans se retourner, la main glissant le long de la rampe. Ralf contemple sa nuque, comme magnétisé. Il pose à son tour la main sur la rampe et poursuit Anna.

Extérieur, au bord du canal

Ralf et Anna sont tous les deux assis sur un banc. Ils se taisent. Il n’y a que de la vapeur d’eau blanche qui sort de leur bouche, en raison du froid. Ils regardent le canal couler.

ANNA

T’es plutôt du genre taiseux, toi ?

RALF

Oui, je suis désolé.

ANNA

Arrête d’être désolé pour commencer, ça ira déjà mieux.

RALF

Désolé.

ANNA rit puis :

Tu savais que j’étais enceinte ? Il te l’avait dit ?

RALF

Non, je ne savais pas. Désolé.

ANNA

C’est dingue, tu ne peux pas t’en empêcher!

RALF

Et tu l’es toujours ?

ANNA

Quoi ?

RALF

Enceinte ?

ANNA

Pourquoi je suis fourrée chez la mère de Chris à ton avis ? T’es drôle, toi !

RALF

Pardon.

ANNA

Oh t’excuse pas d’être drôle. On l’est tous, malgré nous, ici. Tu fais quoi dans la vie ?

RALF

Euh, je surveille.

ANNA

C’est pas une réponse, non plus. Tout le monde fait ça ici. Moi, je parle  anglais. Je suis bonne en langues. On me fait écouter des conversations captées. Ca fait un an que je suis le même type. Je connais tout de sa vie. A mon avis, je le connais mieux que lui-même. C’est comme un ami, en plus proche encore. Rien qu’à ses intonations ou ses silences, je sais s’il ment ou pas. Je l’aime bien. Je vois du pays avec lui, je m’évade. Je pars sans avoir à partir. Tu vois ? J’espère que je ne vais pas perdre mon boulot. Qu’ils ne vont pas mettre sur le banc de touche. Maintenant.

RALF

T’inquiète pas, il n’y a pas de raison.

Elle le dévisage.

ANNA

T’es vraiment con parfois !

RALF

Je sais.

ANNA

Désolée, je parle couramment. Pardon, je voulais dire tout le temps. Bon, alors, tu fais quoi ? Je veux dire de ta connerie.

RALF

Je garde le mur.

ANNA

Ah…

Silence.

RALF

J’étais là ce matin-là. J’ai…

ANNA

Elle est comment ta fiancée ?

RALF

Belle. Elle te ressemble. Je voulais…

ANNA

Comment elle s’appelle ?

RALF

Elena. Elle est belle mais je ne l’aime pas.

ANNA

Ce n’est pas grave, ça sera pour la prochaine fois.

RALF

Quoi, la prochaine fois ?

ANNA

Dans ta prochaine vie, quand t’auras expié les fautes de celle-ci.

RALF

Je suis désolé, Anna, je ne savais pas…

ANNA

Eh c’est bon, je rigole.

RALF

Est-ce qu’on pourra..

ANNA

J’attends des jumeaux.

RALF

Ah, comme dans la chanson.

ANNA

La chanson ?

RALF

Du walkman. Billie Jean, il faut que tu l’écoutes.

ANNA

Il faut que j’y aille. J’aime pas laisser trop longtemps seule la mère de Chris.

RALF

A bientôt ?

ANNA

Je crois que ce n’est pas la peine, Ralf. Merci pour le walkman.

Elle se lève. Elle part sans se retourner. Ralf reste assis sur son banc et la regarder partir. Il prend sa médaille suspendue à son veston et la jette dans le canal. La médaille fait trois ricochets en tombant.

Intérieur cage escalier de l’immeuble de Ralf, jour

Ralf monte les escalier, sa main glisse le long de sa rampe. Il avance lentement, il traîne du pied. Il ouvre la porte de chez lui. Les décorations de la fête pendouillent aux murs à la lumière crue du jour. Il n’y a personne. L’appartement paraît plus que jamais vide, désolé. Il va dans sa chambre. Une voix l’appelle, Ralf ne la reconnaît pas tout de suite.

MERE (voix off)

Ralf, on est dans la cuisine.

Ralf se dirige vers la cuisine. Là l’attendent autour de tasses de café la mère de Ralf et Elena. On s’aperçoit que l’agencement de la pièce et le mobilier sont quasiment identiques à ceux du foyer (celui de Chris) qu’il vient de quitter. Les deux femmes sont quasiment habillées de la même manière que la mère de Chris et Anna. Elena a les yeux rouges…et les cheveux courts, coupés à moitié.

RALF

Qu’est-ce qu’il y a ? Vous en faites une tête ?

MERE

Bon, je te laisse voir ça avec Elena.

Elle pose une main réconfortante sur l’épaule de la jeune fille qui reste assise à table et sort de la pièce. Ralf s’assoit autour de la table. Silence. Il prend la main de la jeune fille.

ELENA

Tu as déjà enlevé ta médaille ?

RALF

Non, je l’ai jetée.

ELENA

Comme le walkman ?

Ralf ne répond pas.

ELENA

Te fatigue pas. Je t’ai vu dans la nuit. Le prendre. Et partir tôt ce matin.

RALF

Je l’ai vendu.

ELENA

Mais pourquoi ? Tu me l’avais offert, Ralf.

RALF

Je voulais t’offrir une bague, Elena. Pas un trophée de chasse. Une alliance. Et pas un mauvais souvenir.

Elle sourit. Une longue mèche épargnée lui tombe sur le visage. Ralf l’écarte d’une caresse.

RALF

Tu t’es coupé les cheveux ?

ELENA

Oui, quand je me suis levée, j’ai cru que tu étais parti, que tu ne m’aimais plus. J’ai cru devenir folle. J’avais besoin de me défouler. (sourire) C’est ta mère qui a arrêté le massacre dans la cuisine.

RALF

Effectivement, tu t’es pas loupée.

Ils rient ensemble.

RALF (de nouveau sérieux)

On va partir d’ici, Elena. Je veux dire. Ensemble. On va se trouver un foyer. Pour nous deux. D’accord ? Je vais changer de boulot dès que je peux. Et on sera heureux, d’accord ? Heureux malgré tout, d’accord ?

ELENA

Oui.

RALF

Et tes cheveux repousseront et oui, nous serons heureux.

Quelques années plus tard, pont entre les deux rives, petit matin, brume

Musique Us and Them de Pink Floyd.

La scène représente une des scènes originales de la vidéo Us and Them. Plan sur les chaussures de cadres dynamiques qui traversent le pont reliant l’Allemagne de l’ouest à l’ancienne Allemagne de l’est. La caméra remonte aux visages des hommes qui traversent ce pont pour aller travailler. Il fait froid, ils sont en manteaux noirs. Aucun ne dénote l’un de l’autre, ils sont presque tous comme en uniforme. Parmi eux, on reconnaît, anonyme, Ralf.

FIN


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