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Gratuité, philo et blasphème

Publié le 28 janvier 2015 par Legraoully @LeGraoullyOff

Gratuité, philo et blasphème

Enfin, la vie reprend son cours et on n’est plus tous Charlie même ceusses qui ne l’ont jamais feuilleté et même ceusses qui s’en réclament et qui trouvent dans le même élan Manuel Valls bel homme quand il adopte son ton martial . Enfin, on a le droit d’être unanime tout seul, enfin on peut chier sur la police, le drapeau tricolore, le travail, la famille et toutes les Églises. Merci au passage à Cédric Boyon d’avoir écrit un des meilleurs papiers que j’ai pu lire sur le sujet. De toute façon, un gars qui aime le blues, le Morgon et qui prône l’infinie supériorité des bas affriolants sur les collants vulgaires ne saurait être qu’un homme de goût.

Mais en fait non, on ne peut pas encore décemment conchier tous les emmerdeurs qui veulent nous regrouper sous une bannière commune pour voir si personne ne dépasse. Comme je n’ai pas le loisir de faire une chronique sur chaque sujet, tour d’horizon des casse-roupettes (j’ai appris le pluriel des mots composés dans Mignonne, allons voir si la rose de Cavanna, alors sois sûr que ça s’écrit comme ça) qui nous cassent, donc, les roupettes et la glande à réflexion.

– les hommages méritoires aux victimes de Charlie Hebdo ont plu comme les humiliations sur le FC Metz des trois derniers mois. Et que Cabu était un fou de dessin comme Hokusai, et que Wolinski était un sale phallocrate plein de tendresse, et que Charb était le digne héritier de La Boétie qui n’a eu pas le bonheur de voir la victoire de Syriza. Certes, certes. Curieusement, les média généralistes ont pris moins de temps pour disséquer la pensée de Bernard Maris, dit Oncle Bernard. Analyser une pensée de longue haleine, qui emprunte autant à l’économie qu’à la philosophie et à la poésie, ça fait mal aux yeux et au cerveau, c’est tout juste bon pour une deuxième partie de soirée sur Arte. Et en plein vote de la loi Macron, c’eut fait mauvais genre de développer des théories qui font l’apologie de la gratuité, de l’économie du savoir et du partage, qui rappellent le rôle de la monnaie et de la collectivité dans l’initiative économique; qui soutiennent, sur le mode freudien, que le désir d’accumuler du profit est une émanation de la pulsion de mort; que la « science économique » est encore moins fiable que les prévisions météorologiques et qu’elle s’appuie sur une croyance aussi débile (au sens étymologique de « faible ») que celle des frères Kouachi; que la croissance et le plein emploi sont totalement incompatibles avec l’exigence écologique; et qu’enfin l’économie est la guerre de chacun contre tous. Réduire la pensée des dessinateurs de Charlie à leurs crobards les plus connus ou les plus polémiques, c’est aussi très réducteur, mais bon j’avais qu’à pas allumer la télé et tout cela ne m’aurait point marri à ce point.

– un dicton soutient qu’en chaque homme, il y a un cochon qui sommeille. Ça m’étonnerait un peu, attendu que le cochon ne se roule dans la fange que parce qu’on l’y oblige, alors que l’homme sème la merde par pure malignité. Mais aujourd’hui la métaphore porcine est obsolète. Pour être dans le coup, il faut supputer qu’en chaque enfant, un terroriste fait la maurienne. Aussi nos hautes autorités ont estimé qu’il était louable de réhabiliter l’enseignement de la morale, de l’éducation civique et p’têtre bien du fait religieux à l’école pour éviter que nos lardons aillent se faire péter la cafetière pour soixante dix innocentes ou du raisin, ça dépend des traductions. Tu ne m’enlèveras pas de l’idée qu’associer la morale au civisme et à la religion, c’est aussi con que relier la réussite d’un mioche au baccalauréat à ses performances au ping-pong en EPS. Au lieu d’inculquer auxdits mioches que Dieu et la République peuvent s’aimer et s’étreindre comme Hollande et le Medef, pourquoi on n’élargirait pas plutôt l’enseignement de la philosophie?

Il n’y a rien d’intrinsèquement moral ni dans la République ni dans n’importe quelle religion. Déjà parce que la morale existait avant l’un et l’autre, ensuite parce que derrière toute morale que l’on est censé accepter unanimement, il y a une arrière-pensée politique. Avant que Moïse ne se farcisse l’escalade du Mont Sinaï, la plupart des gens savaient intuitivement qu’estourbir son prochain pour quelque raison que ce soit était plus une source d’emmerdes qu’autre chose. Mais au lieu de passer six mois sur l’impératif catégorique kantien, qui n’est rien d’autre qu’une modalité de la méthode Coué, on pourrait avec profit enseigner les stoïques, les cyniques, les matérialistes, les utilitaristes, le retournement des valeurs nietzschéen, et j’en passe. Bien que je convienne que l’école rende éminemment chiant le moindre sujet que ce soit, ce serait autrement plus utile que de connaître le nombre de députés à l’Assemblée Nationale et le blaze de tous les baltringues qui ont fait la Vème république. Le fait qu’on célèbre encore cette vieille toupie colonialiste et raciste de Jules Ferry suffit à prouver que le civisme est une arnaque aussi vaste que Jésus, Mahomet, et Abraham. Après, c’est vos gosses, vous en faites ce que vous voulez.

– enfin, j’ai ouï dire que Lorant Deutsch, en tant que catho royaliste de gauche (pourquoi pas) soutenait Charlie Hebdo mais qu’il n’était pas contre le retour du délit de blasphème. Pauvre lapin, si tu lis la Bible comme tu restitues l’Histoire de France, faut pas s’étonner qu’on prenne les croyants pour des gogols. Mais curieusement, depuis trois semaines, il faut avoir l’athéisme prudent. A l’époque de la manif pour tous, on pouvait sans souci affirmer que les manifestants n’étaient que les tenants d’une superstition antique qui seraient bienvenus de rattraper les dix-huit siècles de retard que leur ont causés leur névrose collective. A l’ami Lorant qui rétorque qu’on peut être croyant sans être complètement débile, je répondrai que c’est fort probable, mais c’est comme l’existence de Dieu, c’est impossible à prouver.

Néanmoins, depuis le 7 janvier, on peut gentiment clamer son athéisme, mais gare à ta gueule si tu parles d’anticléricalisme. Pas d’amalgame, te disent les autorités, entre Islam et terrorisme. A ce compte, pourquoi reprocher la Saint Barthélémy à l’église catholique alors? Je sais pertinemment que tous les musulmans ne sont pas des terroristes, je ne vois pas en quoi cela m’obligerait à respecter la croyance. Défendre la liberté de culte, lutter contre la discrimination en raison de la religion et défendre les droits du croyant en tant que personne (et pas en tant que croyant), c’est la moindre des choses. Personne ne devrait avoir honte de croire en ce qu’il veut, mais il n’y a pas de quoi en être exagérément fier non plus. Je persiste quand même à dire que je me contrefous des religions, des prophètes, des saints, du péché et de la morale antique; je continuerai à penser que les représentants des cultes invités à l’Élysée pensent plus à l’avenir de leur boutique qu’à la laïcité; et je maintiens que si tous les croyants ne sont pas des cons, Lorant Deutsch fait quand même planer un doute tout cartésien sur la question. Faudrait arrêter de croire que les athées détestent les religions: en fait on n’en a juste rien à talquer, et c’est pour ça que la Constitution ne reconnait ni ne finance aucun culte.

Bref, Charlie n’a pas fini d’avoir des raisons de paraître. La preuve, 90% des Français seraient pour un peu plus de répression.

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