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Auprès de Grand-arbre de Michel Deydier

Publié le 31 janvier 2015 par Pestoune
le Président Forêt domaniale de Quers

Auprès de Grand-arbre
 
Grand-arbre était si grand… Je me demandais si un jour je serais aussi grand que lui…
Les nuits de pleine lune, Grand-arbre scintillait sous le ciel noir. Par la fenêtre, je regardais ses branches se balancer avec grâce. Son ombre dansante sur les murs de ma chambre m’aidait à m’endormir. Je lui disais :
-  Bonne nuit, Grand-arbre !
Et il s’ébrouait comme un ours hors de l’eau pour me répondre.
Les matins de printemps, quand il faisait beau, je m’allongeais sur l’herbe à son pied. Les rayons du soleil se frayaient un chemin à travers le feuillage, et ils dessinaient sur mon ventre une dentelle de lumière. Un couple d’écureuils venait souvent s’amuser dans Grand-arbre. Ils passaient leur temps à se courir après le long de ses branches interminables. Lorsqu’ils détalaient à toute vitesse sur l’herbe, même le chat de la voisine ne parvenait à les rattraper.
  - Bien fait pour toi ! lui criais-je. Tu n’as qu’à les laisser jouer !
Grand-arbre donnait en été des fruits sauvages. L’automne venu, ils éclataient en tombant lourdement sur l’herbe : « Plonc ! » Alors ses feuilles se mettaient à roussir si fort qu’on aurait dit que le feu était passé par là. Durant cette saison, les écureuils s’en donnaient à cœur joie car ils devenaient parfaitement invisibles. Et Grand-arbre riait car les écureuils lui chatouillaient le ventre et les bras.
L’hiver, Grand-arbre se dressait, nu, jetant ses mille branches dans les nuages gris, comme s’il portait le ciel. Certains jours, une tourterelle venait s’y poser.
-  Bonjour, Tourterelle ! lui disais-je. Comme tu es belle !
Alors elle rougissait. Du moins ça me plaisait de le croire… Quand le chat la laissait tranquille, elle plantait son bec dans un fruit encore accroché à une branche pour en picorer les pépins.
Un soir d’hiver, en rentrant de l’école, je découvris que Grand-arbre avait disparu. On avait arraché mon meilleur ami ! Depuis ma fenêtre, je ne voyais plus que des tours, des usines, des routes, des ponts. À la place de Grand-arbre, il ne restait qu’un rond de terre noire dans la pelouse verte. Une horrible cicatrice !
Moi, je pensais que Grand-arbre m’appartenait parce qu’il vivait sous ma fenêtre.
- Tu te trompes, m’a-t-on expliqué. Grand-arbre, comme beaucoup d’autres arbres, appartient à la ville. Là-bas, il y a des hommes et des femmes qui décident de leur sort.
Alors, le mien devait disparaître ? Je ne comprenais pas pourquoi.
Mon amie la tourterelle vint me voir par un froid matin.
La pauvrette tournoyait au-dessus du rond de terre noire en battant des ailes. Son perchoir préféré s’était envolé et elle me lançait des regards étonnés… Elle finit par se poser sur l’herbe et s’intéressa à un vieux fruit qui pourrissait là – Grand-arbre lui avait laissé un souvenir. Ce n’était plus qu’une peau brune renfermant quelques pépins. Elle planta son bec et s’apprêtait à les picorer quand le chat de la voisine l’effraya et elle disparut dans le ciel blanc…
-  Vilain, le chat ! Pourquoi fais-tu peur à tout le monde ?
Le chat joua un moment avec cette petite boule toute ridée. Il la poussa de la patte, comme s’il s’agissait d’un ballon, et le fruit roula jusqu’au rond de terre noire. Il s’amusa à le recouvrir en grattant la terre, puis, lassé de son jeu, s’éloigna de sa démarche imperturbable, sans même se retourner.
Un peu plus tard, ce même jour, le couple d’écureuils vint lui aussi.
-  Bonjour les amis ! leur lançai-je alors qu’ils tournaient sur eux-mêmes comme des toupies à la recherche de leur arbre de jeu.
Comment pouvais-je leur expliquer ce que je ne comprenais pas moi-même ? Ils semblaient si tristes. On aurait dit qu’ils attendaient le retour de Grand-arbre.
Le temps était devenu menaçant et le chat avait dû rentrer chez lui. Un violent orage éclata durant la nuit. Le tonnerre grondait sans relâche, des éclairs zébraient le ciel et la pluie ne voulait cesser.
Hélas, Grand-arbre n’était plus là pour me protéger. Je grelottais de frayeur au fond de mon lit…
L’hiver se termina sans que je revoie la tourterelle et les écureuils. D’ailleurs, je ne voulais plus regarder au-dehors. Je n’ouvrais plus mes rideaux…
Et puis le printemps pointa le bout de son nez. Mais sans Grand-arbre, ma joie n’était pas complète.
Un matin, mon amie la tourterelle me réveilla en tapant au carreau.
Je me précipitai à ma fenêtre, écartait les rideaux et… « Oh ! » Je n’en croyais pas mes yeux.
-  Vite ! Descendons !
Au centre de la pelouse, dans le rond de terre, un arbre poussait. Un vrai petit arbre qui ressemblait déjà à Grand-arbre.
Alertés par la tourterelle qui virevoltait de bonheur, le couple d’écureuils vint aux nouvelles et nous dansâmes autour de Petit-arbre. Intrigué par cette sarabande, le chat de la voisine entra à son tour dans la ronde. C’était aussi un peu grâce à lui que Petit-arbre avait pu naître. La pluie de l’orage avait fait germer un pépin, mais c’est le chat qui avait enterré le fruit…
Bien sûr, Petit-arbre était beaucoup plus petit que moi, mais il allait grandir, et c’était à moi de veiller sur lui.
- Je viendrai t’arroser chaque matin, lui promis-je.
Petit-arbre était si petit… Je me demandais si un jour il serait aussi grand que moi.
 
Michel Deydier
Auprès de Grand-arbre
Paris, Gautier-Languereau, 2006


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