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L'eau

Publié le 17 février 2015 par Rolandbosquet

l_eau

     Le sentier qui longe mon courtil se poursuit sur quelques perches encore avant de disparaître dans un taillis de châtaigniers. Au milieu des futaies et jaillissant d’un amas de rochers jetés là par hasard par quelque facétieuse divinité agreste, un ru de maigre condition dévale la colline jusqu’à un étang lui aussi court sur vagues dont la face argentée scintille en contre-bas dans la vallée. Grâce aux pluies de ces dernières semaines, il gambade gaillard avec des airs de torrent montagnard. Libérée des noirs miasmes souterrains, ses eaux claires et limpides caracolent à l’air libre en un murmure glacé. Par beau temps, le soleil se faufile entre les branches des arbres pour y dessiner des reflets chamarrés où s’ébrouent mésanges et chardonnerets et les matins de givre, mille chatoiements féériques l’environnent dans un léger chuchotis de poésie. Il se teintera au printemps d’un délicat parfum de menthe et dans son ciel, moucherons et libellules rivaliseront d’acrobaties pour s’enivrer de chaleur dans les rais de lumière vive. L’été tentera de le dépouiller mais en vain ; avec la timidité des grands aventuriers, un mince filet d’eau s’écoulera encore, opiniâtre et têtu. Il retrouvera toute sa fougue avec l’automne, lorsque les grues gagneront le sud et que les nuages dessineront autour d’elles des décors imaginaires. En un mot, s’il n’est certes qu’un grêle ruisseau de terroir, c’est un ruisseau charmant, résolu et hardi digne d’un Claude Monnet ou d’un Jean Fragonard. Virgile lui-même ajouterait d’ailleurs à son train bucolique un pâtre grec et son flutiau et Jean de La Fontaine un agneau s’abreuvant dans le courant de l’onde pure. Mais alors, à l’affût dans l’ombre des buissons, un loup par la faim alléché accuserait l’ingénu de troubler son breuvage. Les loups précisément semblent avoir oublié les vagabondages d’adolescent de notre modeste ru et, perdu dans ses bois, il évite leurs déversements sauvages de déchets industriels. Il ne connaît pas non plus les méfaits délétères des détergents miracles, des lessives ménagères et autres résidus médicamenteux et lui sont épargnés les décharges sauvages dont sont hélas victimes ses compères des plaines qui charrient dans leurs flots les rebuts maléfiques de nos progrès modernes. Or il faut purger leurs eaux boueuses chargées d’huiles et de toxiques, les filtrer, les épurer, les clarifier avant qu’elles ne remplissent nos verres et nos baignoires. Et si les travaux d’assainissement ne sont pas toujours à la hauteur des dégâts, les factures, quant à elles, atteignent les sommets. Et comme elles sont curieusement réparties, les plus grands pollueurs n’en sont pas toujours les plus gros payeurs. Au nom peut-être d’une rentabilité immédiate. Au nom probablement de profits bien plus larges. Au nom, dans tous les cas, d’un consensuel déni de responsabilité des dirigeants eux-mêmes. Le futur étant pour demain, ils ne croient pas urgent de le préserver dès aujourd’hui. L’eau en sera pourtant l’un des enjeux majeurs. On ne devrait pas attendre pour en assurer pour tous et en tous lieux un approvisionnement équitable et respectueux de la nature comme de la santé de chacun. Car c’est seulement ainsi que le monde pourra poursuivre sa marche triomphante sur les chemins de l’avenir. 

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