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Déclic intellectuel

Publié le 06 mars 2015 par Rolandbosquet

culturel

     Son Mathieu étant quelque part aux États-Unis pour vanter les mérites de l’une de ses dernières trouvailles de céramiste, ma voisine Juliette m’a confié la garde de sa fille Anaïs. « Le temps de faire mes courses ! ». La donzelle se précipite sans attendre devant l’ordinateur et manipule gaillardement mulot et clavier : « Parler Papa ! » Plus ou moins convaincue par mes discours suggérant que son Papa doit probablement dormir à cette heure-ci, elle réclame du papier et un crayon pour écrire. Dûment munie d’une page de vieux manuscrit et armée d’un gros crayon gras de couleur bleue _elle est actuellement en pleine période bleue_, elle entreprend de dessiner un escargot. C’est la figure que sa main encore maladroite maîtrise le moins mal. Elle parvient certes et avec une grande dextérité à agripper les disques et les livres rangés sur leurs étagères, à sortir les couverts de leur tiroir et ses chaussures, chaussettes et collant pour s’habiller et se déshabiller à tout propos. Mais ce ne sont là que des gestes gratuitement fournis par dame nature. Mais dessiner relève d‘un mode autrement plus personnel. Les archéologues ont trouvé des pierres et des coquillages vieux de plus d’un demi-million d’années présentant des traces de gravure. Soit 300 000 ans avant l’apparition de Sapiens. Le ou les auteurs n’agissaient manifestement pas pour se protéger ou se procurer de la nourriture. Voulaient-ils marquer leur territoire, signaler leur chemin, transmettre un message ? Il est évidemment impossible de le savoir. Mais leur intention dépassait manifestement leurs besoins immédiats. C’était là, comme pour Anaïs, un geste que l’on pourrait qualifier d’"intellectuel". Et l’interrogation donne le vertige. Que s’est-il passé dans le modeste cerveau de cet hominidé qui vivait alors en bandes au hasard de ses cueillettes de baies, racines et autres fruits offerts par son environnement ? Pourquoi, tout à coup, s’éveille en lui ce besoin d’exprimer quelque chose de si différent ? Comment s’est produit ce déclic ? Par quel cheminement chimique ? Par quel détour des neurones et autres synapses cérébraux ? Peut-être ne le saurons-nous jamais. Mais c’était alors le début d’un long processus où l’intelligence allait peu à peu dominer toute sa vie. (Enfin presque !) À cet instant, notre lointain ancêtre qui marchait déjà debout sur ses pattes arrière se distinguait un peu plus des autres hominidés qui l’entouraient. Il devenait réellement ce que l’on appelle aujourd’hui un être humain. Il allait par la suite élaborer mille arguments pour expliquer cet extraordinaire moment. Le plus commun étant l’invention d’un dieu omnipotent qui en aurait donné l’impulsion. Les esprits cartésiens réfutent bien entendu cette théorie. Mais les leurs n’en demeurent pas moins d’aussi simples hypothèses. Tant que l’on ne comprendra pas, preuves scientifiques à l’appui, comment et pourquoi s’est accompli cet évènement, on ne pourra jamais qu’émettre des conjectures. Que l’on croie en un dieu ou que l’on se croie athée, on ne répond pas vraiment à la question. Et peut-être ne saura-t-on jamais y répondre. Ce qui ajoute encore au mystère de nos origines humaines. Pour l’heure, la demoiselle Anaïs a abandonné le dessin pour promener son doudou dans un petit chariot à quatre roues confectionné à son intention. Et le monde autour d’elle poursuit, imperturbable, sa marche triomphante sur les chemins de son futur.

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