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Larmes de glace

Publié le 16 avril 2015 par Jlk

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Une lecture de La Divine Comédie (33)

Chant XXXII. 9ecercle : Traîtres, tous pris dans la glace. 1e zone (Caina) : traîtres à leurs parents. 2e zone (Antenora) Traîtres à leur partie et à leur parti

La falsification et la trahison, on l’a vu - et leur condamnation va toucher, dans le 9e et dernier cercle de l’enfer, au summum de la damnation et des supplices -, sont dans La Commedia les plus graves fautes en cela qu’elles subvertissent, dans les relations proches autant que dans les liens sociaux ou politiques, tout ordre humain ou divin, toute forme d’organisation et d’harmonie. 

Or cette perversion, ou plus exactement : cette inversion totale des valeurs,excluant toute confiance et toute foi, est topoloqiquement représentée par l’entonnoir vertigineux de l’enfer dont le tréfonds offre l’aspect d’un étang gelé duquel émergent des têtes de damnés vivants et grelottants. Le monde à l'envers: on brule de froid !

« eran l’ombre dolenti nella ghiaccia

mettendo i denti in nota di cicogna ».

À relever alors que Dante n’a pas son pareil, en ciseleur de vers parfois hyperréalistes, dans l’évocation physique des faits, comme l’illustrent ces « ombres dolentes dans la glace « claquant les dents comme font les cigognes ». Un peu plus loin, il sera question des deux mêmes têtes, dont l’une à perdu ses oreilles à cause du froid, qui se heurtent l’une l’autre, le gel figeant leurs larmes de rage et de désespoir, comme deux boucs furieux...

Or,comme si le sort de ces malheureux n’était pas assez cruel, voici que Dante lui-même, tremblant lui aussi dans le froid éternel, heurte du pied une têtedépassant de la glace et se fait alors houspiller par le damné qu’il a blessé. 

S’ensuit, alors, une scène d'une cruauté... dantesque, avec la prise de bec véhémente du poète exigeant de connaître l’identité du damné et lui promettant, si tant est qu’il soit encore en veine de renommée, de parler de lui à son retour sur terre, s’attirant alors la réponse du tac au tac : « C’est du contraire que j’ai envie. / Va-t-en d’ici, ne me fatigue plus ; /tu sais bien mal séduire dans ce bas-fond »…

Si l’on se rappelle que les damnés sont, en l’occurrence, des personnages contemporains de Dante et fameux en Toscane, ce genre d’altercation prend un relief particulier frisant le règlement de comptes, sans parler du cynisme de notre champion de l'amour...

Mais ce qu’on en retient essentiellement, qui va se prolonger dans les deux derniers chants de L’Enfer, se rapporte une fois encore au motif moral et métaphysique dominant que constitue l’absolue damnation des traîtres, dont le dernier cité ici est le Ganelon de la Chanson de Roland, dûment écartelé sur terre avant de se retrouver au trente-deuxième dessous, tout à côté de deux autres damnés se mordant au cou…


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