Magazine Journal intime

Le redoublement: un mal nécessaire? (suite)

Publié le 05 novembre 2010 par Kevinades

Précédemment dans ce blog, Le redoublement: un mal nécessaire? (1) : j'ai commencé une démonstration contre le redoublement à l'école élémentaire. Après quelques arguments implacables, j'ai abordé l'ultime raison qui prouve que faire redoubler un élève, c'est de l'hérésie. Cette raison, c'est la puberté. Parce que quand Kevin entre en CP, c'est une course contre la montre qui s'engage.

On ne va pas se mentir, notre objectif en tant que professeur des écoles, c'est de refiler le plus vite possible nos mouflets avant qu'ils ne deviennent des ados, parce qu'après on passe en catégorie Kevin poids-lourd. Nous, on n'est pas formés pour ça et on n'a pas de prime de risque non plus.

Vous allez me dire, à juste titre, que personne n'utilise jamais cet argument ; j'en suis le premier surpris, il est pourtant imparable. Je m'explique, comme d'habitude, par un exemple concret, qui servira de conclusion à mon raisonnement.

Si M. mon ministre veut me remercier de lui avoir sauvé la mise, il n'a qu'à cliquer sur le bouton contact qui doit traîner quelque part en ces lieux.

Exemple : retour d'un voyage scolaire, dans un endroit indéterminé de notre beau pays. Dans ce bus, un chauffeur, deux enseignants, quelques parents et deux classes de mômes remontés à bloc. En stock on a du Ce2, du Cm1, du Cm2... Des petits, des grands, des mignons, des chiants, des redoublants... Et bien évidemment, on a du Kevin à ne plus savoir qu'en faire (de toute façon on ne sait jamais quoi en faire ) !

L'un des enseignants est une enseignante, l'autre, c'est moi. En mode Watchmen ( Billes, Watchmen et plaque d'égout. (1) ) . Faut dire que surveiller un bus, c'est du sport : truc qui fait des gestes obscènes aux voitures, machin qui insulte bidule, bidule qui justement a envie de gerber...

Je guette donc toute incartade aux règles de bonne conduite tout en scrutant, un sac à la main, les visages verdâtres de certains de mes disciples. Mais au fond de moi, je sais que l'ennemi est ailleurs, masqué. Cet ennemi, c'est la puberté. Bon, en vérité, cet ennemi on le connaît, il n'est pas vraiment masqué. Si physiologiquement la puberté peut frapper assez tôt, la plupart du temps on est plutôt peinard à l'école élémentaire. Excepté avec les redoublants. Ceux-là, c'est la plaie. Et plus on se rapproche du Cm2, plus le risque d'incident augmente.

Qu'on soit bien d'accord, je ne vous parle pas d'une voix qui mue ou de l'apparition des poils pubiens, non, ça c'est de la gnognotte. Moi je vous cause de la puberté qui tache, celle que le commun des mortels préfère ignorer. Celle qui revient régulièrement me hanter, puisqu'il semblerait, sans que je sache vraiment pourquoi, qu'un petit plaisantin m'ait déclaré expert officiel de la question. Et visiblement on se passe le mot d'école en école (suivez mon regard).

Le bus fait donc son petit bonhomme de chemin. Je commence à me dire que je vais m'en sortir à bon compte lorsque une élève de l'autre classe vient me voir, l'air embarrassé. Et pour répondre à votre question, nous ne l'appellerons pas Kevin. Là , normalement, en bon pédagogue, je suis censé la renvoyer illico à sa place. Deux raisons pour ça: d'une, elle se balade sans autorisation dans un bus en mouvement. De deux, elle vient s'adresser à moi alors que je ne suis pas son maître. Faute grave, on en a abandonnés sur l'autoroute pour moins que ça (c'est la fameuse règle des 5% de pertes en sortie scolaire,). Mon erreur c'est que je décide d'écouter sa requête, ma bonté me perdra. En tout cas, elle a failli me perdre en ce jour maudit...

Elle: - Heu... Maître... On a un p'tit problème...

Moi: - Mais je t'écoute ma petite, parle sans crainte, je serai magnanime...

Elle: - Heu... En fait ce serait mieux que tu viennes voir...

En temps normal, devant une telle situation, je me défile assez vite en prétextant la première excuse valable. Mais là je suis dans un bus, pris au piège. Vous voyez le film Speed? Ben là, c'est pire. Je décide donc de la suivre, sachant qu'à ce moment précis je cours au devant du drame.

Nos pas nous mènent vers une jeune fille de Cm2, appelons-la Kevin. Elle a l'air encore plus embarrassé que sa camarade. Mais le plus embarrassé des trois, ben c'est moi. Ce que je vois à ce moment précis chers lecteurs, c'est le drame absolu, l'apocalypse selon St Kevin, 2012, la fin des haricots, la couille dans le potage...

Normalement, maintenant, tout ce que j'ai raconté sur le danger de la puberté, le risque de garder des élèves trop longtemps à l'école primaire te revient à l'esprit ami lecteur. Et peut-être as-tu déjà deviné à quelle horreur indicible je me suis alors trouvé confronté... Si ce n'est pas le cas, laisse moi te narrer la fin de cette aventure, car à coeur vaillant, rien n'est indicible.

En levant les yeux vers Kevin, je suis bien obligé de réaliser que cette petite morveuse a choisi pile poil ce voyage scolaire pour accéder à la puberté. Merde alors, dans la série j'ai pas d'bol, elle se pose là! C'est vraiment le bon moment pour devenir une femme! Et vas-y que j't'asperge tout mon siège, et vas-y que j'en ai partout genre je ne sais pas ce qui m'arrive! Vous connaissez le film "Carrie au bal du diable", ben là je suis en plein dedans. En plus, vous me croyez ou non, son nouveau statut d'adolescente ne la rend pas plus dégourdie, cette cruche. Elle est là, à me regarder avec ses yeux de merlan frit, attendant de moi je ne sais quel geste salvateur. Parce que je suis peut-être censé savoir quoi faire à ce moment là, moi, bordel!

Le redoublement: un mal nécessaire? (suite)

Heureusement, je retrouve vite mon sang-froid et je réagis en professionnel responsable en ne m'évanouissant pas. Mon cerveau entre alors en fusion, dopé par l'adrénaline. J'analyse la situation: bus, huis-clos, une collègue, 50 gamins, encore 150 bornes, une collègue, un chauffeur, une gosse en détresse, une collègue, une collègue, une collègue... Eureka! N'écoutant que mon courage, je file chercher ma collègue qui forcément en tant que femme saura gérer ça de main de maître. Et puis, après tout, c'est avant tout son élève!

Le sentiment du devoir accompli me gagne, la pression retombe. J'ai encore assuré! Bien calé dans mon fauteuil en prenant bien soin de ne pas regarder vers Kevin et sa puberté, je n'ai plus qu'à attendre sereinement la fin du voyage...

Lecteur, si toi et moi ne devons retenir qu'une leçon de cette rocambolesque mésaventure, c'est que la puberté est un fléau. Tirons-en ensemble les conclusions qui s'imposent et mettons fin à ce débat stérile:


Retour à La Une de Logo Paperblog