Nadège, tu dors?

« Nadège, tu dois encore dormir. Je te rappelle que je passe te chercher pour le déjeuner avec les parents. J’espère que ton voyage s’est bien passé. Bon, je te rebippe dans un quart d’heure pour voir si t’es réveillée… »

Le lendemain matin, un appel de ma sœur m’arracha de ma gueule de bois. Merde, j’avais complètement oublié. Le rendez-vous familial! Après avoir gobé un aspirine et bu une cafetière entière, m’être douchée et pomponnée, j’étais à peu près présentable lorsque Myriam sonna à la porte. J’enfilai mes lunettes noires.

– Tu es seule ?

– Oui, Jeff a pris les enfants avec lui. Ca va ?

– Oui, ça va, merci !

Quand ma sœur est au volant, nous avons une capacité de parler bien plus élevée que la normale. Comme si le fait de ne pas nous regarder, d’être assise l’une à côté de l’autre et d’avancer nous décoinçait. Dans la voiture, Myriam s’enquit de nouveau de mon état (ce qui eut don de m’exaspérer) :

– Nadège, tu es sûre que ça va ?

– Oh oui, ça va ! Si tu arrêtes de me le demander tous les cinq minutes.

– Tu es injuste Nadège.

– Oui, et je l’ai toujours été.

Je déteste lorsque les gens répètent mon nom à tout bout de champs. J’ai l’impression d’être immédiatement colonisée. Ma sœur se concentra sur la route, je l’avais vexée. Je tentais de récupérer le coup.

– Excuse-moi. J’ai encore mal à la tête.

– Ce n’est pas grave. Ce n’est pas comme si je ne te connaissais pas…

– Désolée, j’ai un peu bu hier soir.

– Tu as fait la fête ?

– Oui, avec une nana que j’ai rencontrée dans l’avion. Trop sympa !

– Ah oui ?

– Elle est hassidique.

– Mmh, mmh, je vois que tu n’as toujours pas cuvé.

– Si, si, je t’assure. Elle est incroyable. Rosie, elle s’appelle. Je crois qu’elle s’ennuie avec son mari. Ils s’aiment mais ils n’ont pas d’enfant. Et bien sûr, pas question d’avoir recours à la médecine moderne…

– Et ils t’ont proposé un plan à trois ?

– Mais non, t’es conne. J’ai l’impression qu’elle a besoin de voir du monde. Ils doivent être comme des parias ou des bohêmes chez eux. Elle est professeur de musique et lui, modéliste. T’imagines, à son âge, elle devrait avoir une dizaine de gosses déjà !

– Et bien, c’est maman qui va être contente !

– Oh ne commence pas !

– Je crois qu’elle voulait te présenter un bon parti. Le fils d’une amie d’amie à New-York. Un ancien surfeur trader devenu rabbin. Si ce n’est pas le genre idéal, ça !

– Je m’en fous.

– Maintenant que tu fréquentes les orthodoxes, tu vas arrêter de faire ta rebelle. Et puis, ta nouvelle copine, elle va sûrement te trouver un bon mari !

– Mais non, elle ne sait même pas que je suis juive.

– Tiens donc, comme c’est étonnant ! Franchement, grandis un peu, petite sœur. Un jour, il faudrait quand même que tu cesses de te croire orpheline…