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Sauver Palmyre

Publié le 26 mai 2015 par Rolandbosquet

Palmyre

      L’Orchestre Symphonique Régional donnait, l’autre jour, un concert à l’Opéra-Théâtre de la grande ville. La salle est comble comme à l’accoutumée, remplie jusqu’au dernier strapontin par les têtes chenues habituelles. Congratulations rituelles au foyer pendant l’entracte. Il convient, ici, non seulement de se montrer affable mais d’afficher surtout une culture de bonne aloi. Beethoven, Bach, Mozart, Schubert, Liszt à la rigueur, sont traditionnellement au répertoire de la formation. Le précédent chef s’était jadis enhardi à interpréter le "Karl Koop Konzert" de Bernard Cavanna mais les belles âmes locales l’avaient peu apprécié. Ici, on regarde avec méfiance la culture vivante. On préfère s’extasier avec componction dans les musées où les conservateurs enferment celle de nos ancêtres. C’est d’ailleurs, pensent nombre de responsables municipaux, pour répondre aux souhaits de leurs électeurs qu’ils puisent dans la cassette de la culture d’aujourd’hui pour "boucler" leur budget. Ce souci patrimonial est certes parfaitement honorable. Le moindre village de France s’enorgueillit avec raison de posséder une église du XIIIe siècle. Quand bien même a-t-elle été convertie en grange à la Révolution et rafistolée au XVIIIe. Quand bien même serait-elle aujourd’hui désertée par un clergé de plus en plus rare et par des fidèles de plus en plus âgés. Elle s’inscrit dans le patrimoine culturel de notre beau pays et tous les sacrifices sont permis pour en financer des restaurations toujours plus coûteuses. La file d’attente devant le guichet des services sociaux peut bien s’allonger démesurément, les jeunes peuvent bien s’ennuyer à mourir les dimanches et jours fériés, les sans-logis peuvent bien errer sans fin à la recherche d’un abri, les locaux affectés à l’accueil des nomades et autres gens du voyage peuvent bien être définitivement délabrés ! Il faut sauver le patrimoine. Comme il faut anéantir les colonnes barbares des islamistes pour sauver Palmyre. Chaque jour, des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants meurent de leurs mauvais traitements. Des millions de réfugiés Kurdes, Irakiens, Syriens survivent dans le dénuement le plus complet. Mais il faut, toute affaire cessante, sauver Palmyre, le patrimoine de l’humanité. L’humanité, en l’occurrence, consisterait plutôt, à mon sens, à apporter plus aides à ces gens qui souffrent et meurent. Les bâtisseurs des temples, des théâtres et autre Tétrapyle de l’antique Thadmor savaient bien qu’ils construisaient de l’éphémère. Ils y ont mis tout leur savoir et tout leur art pour la plus grande gloire de leur dieu Bel ou de leur roi ; mais ils connaissaient d’autant mieux la fragilité des œuvres humaines. Toutes les civilisations ont ainsi bâti lorsque, parvenues à leur apogée, elles possédaient les richesses suffisantes pour en distraire une partie au profit du superflu.  Leur déclin inexorable a entraîné la ruine de leurs ouvrages. Il n’est pas indifférent, bien sûr, de savoir comment vivaient nos ancêtres. Mais la vie des hommes, des femmes et des enfants d’aujourd’hui aurait-elle un moindre prix ? La vie des innombrables ouvriers qui ont élevé ces monuments avait-elle d’ailleurs un prix pour leurs maîtres ? Pharaon se souciait-il vraiment du bien-être physique et moral des cohortes d’esclaves qui édifiaient sa pyramide ? Notre civilisation, si soucieuse du coût de chaque chose, accorde-t-elle, comme lui, plus de valeur aux ruines qu’aux peuples qui les entourent ? (photo : http://fontaine.photo.free.fr/empreintes) 

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