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Savoir tomber

Publié le 06 juillet 2015 par Bobo Mademoiselle @bobo_mlle

Savoir tomberAmi lecteur, la vie n'est pas un long fleuve tranquille. Non, le chemin est souvent escarpé, semé d'embûches même. Pour peu qu'une souche échappe à ta vigilance et c'est la chute, le roulé boulé tête la première. Tu tombes et restes au sol quelques minutes, sonné, mais bonne nouvelle : à part quelques égratignures qui cicatriseront forcément tôt ou tard, tu restes parfaitement intègre et même endurci, prêt à en découdre. Et sache-le, parfois il faut bien ça pour se remettre sur le droit chemin.

Il y a plusieurs années, je finissais ma licence de mathématiques et - jeune requin que j'étais - j'avais fermement décidé de présenter ma candidature à un magistère de finance, une formation prestigieuse très sélective, censée garantir un emploi de trader à la City et des bonus de fin d'année, à condition d'accepter de vivre au rythme des trois bourses et de s'habiller comme un croque-mort.
Eh bien je n'ai pas été admise.
Moi.
On aura tout vu.

Alors non, ami lecteur, tu ne te trompes pas : il y a bien une pointe de susceptibilité et d'orgueil dans ma réaction, car j'essuyais là mon premier échec (si on décide de faire abstraction du permis de conduire). Je me l'expliquais d'autant moins que j'ai été élevé comme un cheval gagnant, une espèce de valeur sûre, qui n'avait tellement pas l'habitude de se planter qu'on avait réussi à la convaincre que l'échec n'arrivait qu'aux autres (par des interrogations du genre : " Mais si tu n'as pas ton BAC, qui l'aura ? "). Alors je suis tombée de très haut et je me suis fait très mal. De mauvais gré, en pleurnichant, je me suis rabattue à contrecœur sur une maîtrise de mathématiques sinistre, au cours de laquelle j'ai surtout peaufiné ma tactique de résolution du Rubik's Cube. J'ai bougonné (beaucoup), j'ai pleurniché (de temps à autres), j'ai piétiné et claqué quelques portes. Mais fort heureusement, avec le temps (qui, contre toute attente, peut parfois devenir un allié), j'ai eu envie d'autres choses. J'ai fini par oublier la finance (sans rancune) au point qu'aujourd'hui, si je devais recroiser le jury qui, il y a quelques années, a décidé de me fermer la porte de ce magistère, je le remercierais chaleureusement de ne pas m'avoir acceptée.

Ce que j'étais loin d'imaginer, c'est que je n'étais pas la seule à devoir tirer un trait sur l'univers impitoyable de la finance. Après deux années de bons et loyaux services dans un gros groupe bancaire, voilà que Géraldine est licenciée manu-militari de son poste d'assistante de direction et à fortiori, priée de vider son bureau au dernier étage d'une tour de La Défense, là où - je cite - les fenêtres ne s'ouvrent pas pour éviter que les banquiers ne soient tentés de sauter. Non pas que ce poste ait jamais constitué pour elle une véritable vocation, mais comment ne pas s'investir dans un emploi où le salaire est confortable, les augmentations substantielles et les promesses de bonus respectées ? Consciencieuse, Géraldine organise, planifie, gère, coordonne pendant bien plus que 35h par semaine, sans pour autant mettre de côté le franc-parler qui la caractérise, qu'elle s'adresse à des personnalités de la haute sphère financière ou non.

C'est que Géraldine et moi partageons - entre autres - ce même mépris du politiquement correct : acheter une Aston Martin cash et s'en vanter ne constituent pas des motifs suffisants pour inspirer notre respect. Détenir un compte en banque à quinze zéros non plus. Et inutile de dire qu'aucun lien de subordination ne saurait freiner notre incontinence verbale. Quoi qu'il en soit, dans ce milieu-là, un caractère bien trempé est souvent apprécié. Sans aucune raison donc, Géraldine est invitée à dégager de son bureau, et plus vite que ça. Elle s'en va, anéantie, avec un arrière-goût d'incompréhension et de défaite des plus désagréables.

Pendant que je passais mon temps à me lamenter et à jouer au Rubik's Cube (en me réjouissant de chaque seconde gagnée sur mon record), Géraldine, elle, luttait pour faire valoir ses droits auprès de ses ex-employeurs et décidait de se tourner vers plus malheureux qu'elle. Tout en menant de front son plan d'attaque aux prud'hommes et sa recherche d'emploi, elle sert chaque soir la soupe populaire.

Ami lecteur, j'aimerais te dire que pendant ce temps-là je daignais au moins prendre le temps de faire du tri dans mes placards pour céder quelques vêtements à des nécessiteux mais point du tout : j'étais bien trop occupée à me chercher un avenir, en éclusant des verres de Sancerre avec mes potes de fac. Géraldine, qui reconnait quand même avoir un penchant pour le champagne (nul n'est parfait), a, elle, enfin trouvé sa voie : aider son prochain à se réinsérer. Ras le bol des milliardaires en Aston Martin, des transactions aux montants vertigineux, du bling-bling : elle décide de revenir à ses propres valeurs, à des fondamentaux qui correspondent davantage à sa nature. Elle qui n'a plus d'emploi s'est fixé comme objectif d'aider ses pairs à en trouver un.

Depuis, Géraldine est une conseillère emploi épanouie et accomplie. Ami lecteur, je n'aimerais pas te donner l'impression de tout ramener à moi sans cesse, mais de mon côté on en est encore à l'étape de l'apitoiement, du Rubik's Cube et du verre de Sancerre. Cela dit, le témoignage de Géraldine (recueilli lors de mon appel du 1er juillet) a rempli son objectif : il est l'exemple parfait d'une énorme claque qui se transforme en opportunité. Il est toujours possible de retomber sur ses pattes, tant qu'on reste fidèle à soi-même et qu'on choisit un nouveau chemin avec conviction. Dans ce parcours semé d'embûches, Géraldine vient de me prouver qu'il était tout simplement indispensable de savoir tomber. Et qu'en sachant tomber, on était capable de se relever.

Comment ne pas conclure en paraphrasant Jack Beauregard (et que celui qui n'a jamais vu " Mon nom est Personne " se dénonce immédiatement) et la morale de la fable du petit poussin enseveli dans une bouse de vache : " Ceux qui te mettent dans la merde ne le font pas toujours pour ton malheur " ?
Je ne sais pas.


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