Magazine Journal intime

Phacochère

Publié le 04 juin 2008 par Ali Devine

Phacochère
Sortie au musée de la Renaissance. Les élèves sont sages, ou endormis. Ils discutent paisiblement de leurs programmes télévisés préférés. Je regarde le paysage par la fenêtre. Nous traversons Sarcelles, puis Villiers-le-Bel. Entre cette commune et Ecouen, la frontière est d’une netteté saisissante. D’un côté, des zones commerciales, des hard discounts, des agglomérats de petits pavillons moches ; et encore, nous restons à l’écart des grands ensembles. De l’autre côté, de jolies maisons, des jardins, une forêt, des champs même. On pourrait presque tracer une ligne rouge au sol pour marquer la limite entre ces deux territoires, qui semblent appartenir à deux pays, à deux mondes différents. Mais ce sont des villes limitrophes du département du Val d’Oise.

Dans le bois humide, nous parcourons un petit sentier qui mène au château. Je marche aux côtés de Tariq, que ma collègue et moi-même avons identifié comme la principale source d’ennuis possibles. Ce garçon est plutôt gentil, mais il est bête comme ses pieds. Peu avant l’arrivée à Ecouen, il a remarqué un fort vilain gymnase en béton du plus pur style années 70 et m’a demandé : « Monsieur, c’est ça le château ? » Quand il essaie de se concentrer sur quelque chose, quand la discussion avec les copains devient passionnante, sa bouche s’entrouvre ; il lui arrive de bavoter. Il est assez susceptible et les autres aiment le taquiner, parce qu’il part au quart de tour et manque totalement d’esprit de répartie. J’ai parfois vu les bonnes élèves de la classe jouer avec lui comme s’il était un chaton. Elles le harcelaient de petites vannes et lui, rendu muet par l’indignation, se tournait vers l’une puis l’autre, bouche ouverte.

Tariq. –Msieu, ya des phacochères, ici ?

Moi. –Non, Tariq. Sois tranquille.

Medhi. –C’est quoi un phacochère ?

Moi. –Si ma mémoire est bonne, c’est une sorte de porc sauvage, qui vit au sud de l’Afrique.

Medhi. –Ah ouais, c’est un sanglier, en fait.

Moi. –Voilà.

Tariq. –C’est gros un sanglier ?

Moi. –C’est pas très gros, mais c’est lourd et surtout très fort, parce que c’est en fait une boule de muscles.

Medhi. –Oh oui, msieu, j’ai vu un documentaire sur Animal Planet, y disaient qu’un sanglier peut peser jusqu’à 200 kilos !

Moi. –Tu vois Tariq ?

Tariq. –Et y’en a ici des sangliers ?

Moi. –Je vais te dire. Cette forêt est réputée pour être infestée de sangliers.

Tariq. –Et on va en voir ?

Moi. –Je sais pas… c’est bien possible, en fait. Il pleut, et quand il pleut les champignons poussent. Et les sangliers, ils adorent ça. C’est trop leur kif, les champipis.

Tariq. –Et mais qu’est-ce qu’on va faire si on en voit un ?

Moi. –Alors là…

Medhi. –Eh msieu, sur Animal Planet ils montraient un sanglier en train de charger, ouah ! Y renversait tout sur son passage !

Moi. –Evidemment ! Bon Tariq, écoute-moi bien. Il y a une seule chose à faire. Si un sanglier nous charge, tu te mets à sautiller sur place en chantant très fort.

Tariq. –En chantant quoi ?

Moi. -Je sais pas, moi… « Une souris verte », tu connais ?

Tariq. –Ah ouais : « Une souris verte, qui courait dans l’herbe… »

Moi. –Non non, Tariq. Pas maintenant. Seulement si le sanglier nous charge.

Le château d’Anne de Montmorency m’impressionne toujours autant, massif quadrilatère de pierres grises incrusté d’ornements, d’élégances renaissantes. Les époques se télescopent aussi autour de lui. Le bourg à peine grandi d’Ecouen est toujours blotti à son pied. Mais l’immense plaine qui s’étale au loin est semée de pylônes, et des avions de Roissy passent à basse altitude toutes les deux à trois minutes.

Dans le musée, une excellente conférencière intéresse les élèves au plafond emblématique de la chapelle, à l’épinette vénitienne, aux tapisseries qui racontent l’histoire de David et Bethsabée, à la Daphné d’or et de corail. Jean-Baptiste crâne un peu en exposant ses connaissances mythologiques, Majdouline et Mallaury prennent tellement de notes qu’elles ne regardent même plus les œuvres. Tariq et Medhi se bornent à échanger quelques discrets coups de pied dans les mollets. Je suis un peu distrait moi-même. Je me sens attiré par les vitrines pleines d’objets bizarres et fascinants de l’exposition temporaire sur la médecine au XVIe siècle. Cette exposition, je ne la verrai pas. Comme il semble loin, le temps où j’allais au musée pour moi-même ! Ma vie culturelle est quasi-nulle depuis que j'enseigne. Ce que je sais, je l’ai appris il y a longtemps. La sensation d’abêtissement est grande et pénible.


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