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Les empêcheurs : le client

Publié le 26 août 2015 par Bobo Mademoiselle @bobo_mlle

Les empêcheurs : le clientC'était avec l'écervelé que je voulais conclure cette série des empêcheurs de tourner en rond mais je me suis ravisée. Notons toutefois qu'avec le client nous ne sommes pas loin de l'idée de départ (je ne parle pas de tous les clients, entendons-nous, seulement de certains d'entre eux)(les miens en l'occurrence).

Ami lecteur, je te vois d'ici, avec ton air circonspect, te demander pourquoi je parle de clientèle, alors que je suis censée tirer au flan depuis quatre mois et passer mes après-midis à la plage ou étendue sur le canapé, quand je ne suis pas en cavale à travers l'Europe. Eh bien on peut faire tout ça tout en se construisant une petite clientèle pour des missions ponctuelles, qui n'ont comme seul avantage que celui de payer le loyer.

J'ai bien conscience qu'on ne peut pas toujours travailler avec des prix Nobel. J'ai bien essayé de combattre cet orgueil déplacé - après tout je n'ai pas non plus ce genre de récompense exposée sur le manteau de ma cheminée (et d'ailleurs tant mieux car je n'ai pas non plus de cheminée) - et puis j'ai finalement arrêté de lutter : parfois le client est un empêcheur de tourner en rond, de ceux qui confondent freelance et bouche-trou, collaboration temporaire et esclavagisme.

On a les clients qu'on mérite, me diras-tu, et effectivement je me suis, plus qu'à mon tour, attribuée l'entière responsabilité du nouvel environnement professionnel que je me suis créé. Après tout, mon besoin urgent de liberté et mon envie de mener une vie nomade ne m'ont pas laissé le temps de faire la fine bouche : sans faire de tri, j'ai donc pris ce qui se présentait, tant j'étais déjà ravie que quelque chose se présente. Depuis quelques mois, j'enchaine donc des contrats peu exigeants sur le papier, à priori faciles à boucler entre deux voyages. C'était sans compter sur l'irrationalité de certains clients.

Malheureusement pour lui, le client auquel je pense est à lui seul tous les empêcheurs de tourner en rond. Fondateur d'une petite PME, pas florissante mais pas misérable non plus, il connaît une notoriété suffisante dans son quartier (un périmètre qui ne dépasse pas le kilomètre carré) pour avoir le sentiment d'être le nouveau Steve Jobs. Égocentrique donc, tyran de surcroît, il est aussi capable de sournoiserie quand il essaie d'étendre les responsabilités qui m'incombent bien au-delà du contrat qui a été convenu, arguant le malentendu ou - pire - les vacances à cause desquelles ses bureaux sont désertés. Alors non Mr le client, pour le même prix, je ne vous préparerai pas en plus le café. Ce n'est pas écrit dans le contrat (d'une précision suisse) que je vous ai fait signé et je n'ai nullement l'intention de me substituer à votre secrétaire pendant le mois d'août.

En plus du reste, le client en question est un écervelé : il ne lit rien (ni le contrat, ni les mails, au point que je le soupçonne d'avoir égaré le mot de passe de sa messagerie), s'étonne de tout (" Roger-de-la-compta est parti en vacances ? mais qui donc va le remplacer ? " - ça lui apprendra à ne pas lire les feuilles de congés de ses employés) et, cerise sur le gâteau, transforme toute situation en un drame Shakespearien (" Nous ne survivrons jamais quinze jours sans Roger-de-la-compta "). Au départ, déroutée par ce tapage, je tentais de calmer l'hystérie en envoyant des compte-rendus optimistes jusqu'à ce que je m'aperçoive qu'il ne les lisait pas (quelle n'a pas été alors ma déception quand j'ai compris que jamais il ne saisirait toute l'ironie contenue dans mon " Très cordialement " final). Aujourd'hui je préfère attendre le retour de Roger sans broncher.

La situation est telle que je me demande comment ce type a fait pour en arriver là, à la tête d'une entreprise de dix personnes - pas florissante mais pas misérable non plus - et, à l'heure où je te parle, à la table d'un restaurant de la Riviera sicilienne, à s'enfiler des mojitos tout en commentant sur un ton véhément le fait que je ne veuille pas faire le job de Roger-de-la-compta jusqu'à son retour de vacances.

Ami lecteur, je ne me plains pas, bien au contraire : cette expérience me galvanise tout autant qu'elle me décomplexe. Avec ce client-écervelé, je soigne mon amour-propre, celui là même sur lequel je m'essuyais les pieds il y a encore quelques mois. Pas prête une seconde à me surinvestir, comme j'ai pu le faire par le passé, pour une mission alimentaire, j'apprends à m'imposer et à faire valoir mes compétences. Hors de question désormais de me laisser exploiter, qui plus est par un écervelé. Mais tout écervelé qu'il est, il dirige une PME, certes pas florissante mais pas misérable non plus. Alors si lui l'a fait, pourquoi pas moi ?


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