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Lionel Baier par delà La Vanité

Publié le 26 novembre 2015 par Jlk

4742078_7_4306_carmen-maura-et-patrick-lapp-dans-le-film_da855bf5f0b8746ccdd339ae8368967f.jpgÀ propos de La Vanité, variation douce-acide intéressante sur un thème hyper-délicat,  d'un réalisateur dont on peut attendre encore plus...

Qu’est-ce qui cloche, à mes yeux, dans La Vanité de Lionel Baier,  qui m’a touché mais également agacé, comme souvent le cinéma suisse romand quand il se pique d’humour ou de drôlerie, sur un ton qui ne m’a jamais convaincu ni chez Alain Tanner ni chez Michel Soutter non plus, peut-être par manque de naturel et fausse gouaille pataude ? 

Il y a pourtant, chez Baier, un sens du comique indéniable, supérieur à celui de Tanner et Soutter, et qui éclate ici et là dans La Vanité au fil de scènes irrésistibles,rappelant un peu le Prick up your ears de Stephen Frears, comme lorsque le vieux candidat à la mort, allongé sur le lit, demande au jeune prostitué russe de lui monter dessus et... de l’étouffer, avant que le jeune homme ne tombe de là-haut dans une chute grotesque à souhait, rompant avec le pathétique de la situation.

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Lionel Baier est, à mes yeux, le plus authentiquement auteur des réalisateurs de sa génération, comme l’est un Xavier Dolan au Canada, mais en moins intense et en moins pur. Baier est peut-être plus cultivé et plus connaisseur, en matière de cinéma, que Xavier Dolan, mais celui-ci est un vrai médium, capable d’incarner et de représenter la souffrance par le truchment de situations dramatiques beaucoup plus fortes que celles des films de Baier, qui n’a ni l’intensité émotionnelle ni l’amour fou de Xavier Dolan, plus proche à cet égard d’un Cassavetes.

Lionel Baier a probablement signé son meilleur film avec Low cost, dédié à Claude Jutra, mais l’ensemble de ses courts et long métrages, dès ses premiers documentaires, décline déjà un regard tout à fait personnel et cohérent, et fonde un espace qui doit beaucoup à la mentalité (protestante et individualiste)  et au décor physique et culturel  de notre pays, sans jamais donner dans la couleur locale. 

Cela étant, et cette impression m’a été confirmée par son dernier long métrage « à succès », Les grandes ondes, que je n’ai guère aimé à vrai dire, il me semble que ce grand talent est encore loin de donner sa pleine mesure, et cela se confirme avec La Vanité.

Or qu’est-ce qui, dans La Vanité, film plein de qualités au demeurant, me semble une fois encore inaccompli.

Ce qu’il faut reconnaître en premier lieu,c’est le grand intérêt du traitement, non convenu, d’un thème très délicat, déjà modulé de façon plus conventionnelle, sérieuse mais un peu lisse voire, édulcorée, par Fernand Melgar dans son documentaire intitulé Exit; comme aussi, beaucoup moins connu mais très intéressant, par un court métrage portant le même titre d’Exit, d’un réalisateur alémanique du nom de Benjamin Kempf, dont le point de vue tragi-comique préfigurait à certains égards celui du film de Baier.   

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Le film en question, d’une durée de 10 minutes, date de 2002 et met en scène trois personnages : la vieille Erika (Stephanie Glaser), son compagnon Ruedi (Waloo Lüönd) et l’envoyée de l’association Exit, Frau Schmid (Alice Brünggen) munie de la fameuse potion.

Confrontée à un cancer en phase terminale, Erika a décidé d’en finir au vu des souffrances annoncées, et, forte de son ascendant évident sur Ruedi, a convaincu celui-ci, plus jeune qu’elle d’une quinzaine d’années et visiblement en bonne santé, de partager son sort. 

Or,après que chacun s’est habillé « comme il faut » pour accueillir la dame d’Exit, qui les soumet à un dernier interrogatoire formel, et après qu’ils ont écouté ensemble une dernière fois leur morceau de musique préféré (Love Letters…), sur lequel Erika esquisse un pas de danse gracieux, voici, moment terrible, que, devant les deux verres de potion létale, Ruedi se rebiffe, proteste, dit qu’il a encore de la vie devant soi (la dame d’Exit acquiesce gravement), ce qui met Erika en colère, qui avale alors sa potion et va se coucher seule en boudant, dans l’autre pièce, sur le lit conjugal. Après quoi, cédant à la culpabilité, Ruedi boit à son tour la potion et rejoint Erika, à la fois triomphante et non moins sincérement émue, amoureuse pour une dernière fois. 

On ne saurait, en moins de mots et d’images , en dire plus sur une situation tragique nuancée d’une pointe d’humour noir.

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Quant au film de Lionel Baier, il joue également sur l’humour avec trois protagonistes se croisant de manière« improbable », comme on dit, dans un haut-lieu des années 60 préfigurant la société hyperfestive, au Motel de Vert-Bois, sur les hauts de Lausanne, où la piscine en bordure de forêt, la drague et le twist, notre  belle jeunesse enfin s’épanouirent sur fond de trente glorieuses…

Un demi-siècle plus tard, l’architecte David Miller (Patrick Lapp, qui crève l’écran, comme on dit, de sa présence physique), se pointe en ces lieux décatis, voire glauques, où il a rendez-vous avec Esperanza (Carmen Maura, qu’on ne présente plus, n’est-ce pas) qui représente l’agence de voyages Ad Patres - j’invente.

Or, comme le fils de David s’est défilé, le témoin de la cérémonie sera le locataire du studio d’à côté, un jeune Russe du nom tchékhovien de Treplev (IvanGeorgiev), qui fait commerce de ses charmes pour arrondir ses fins de mois comme le personnage de Garçon stupide,et se met à pleurer contre toute attente, quand il comprend le projet de David, puis à rappeler celui-ci « du côté de la vie »...

Tout cela pourrait être formidable, et certaines séquences le sont presque, de même qu’une série de plans remarquables, picturaux et lyriques à la fois, relançant la vision nocturne de Lausanne retravaillée par Baier, et l’on sourit de voir danser soudain un sachet en plastique flottant en l’air… rappelant évidemment le même plan d’American Beauty.

Mais quoi ? Pourquoi ce film si intéressant me laisse-t-il malgré tout sur ma faim ? 

À cause des dialogues (co-signés ici par Lionel Baier et Julien Bouissoux, qui me semble avoir une bien meilleure « oreille » dans ses propres livres, soit dit en passant) par trop « écrits », souvent « téléphonés » ou sonnant faux (à mon goût, je précise), ou d’un scénario parfois confus ou embrouillé, comme dans les autres films de Baier ?

Même si comparaison n’est pas raison, notamment entre un long métrage et un court de dix petites minutes, Benjamin Kempf a signé une merveille avec son Exit dont toutes les composantes (narrative, esthétique, critique, image et dialogue, profondeur psychologique, interprétation, etc.) se fondent en unité, comme une nouvelle de Tchékhov sur fond d’intérieur petit-bourgeois plus-Suisse-tu-meurs, alors que Lionel Baier, brassant beaucoup plus large il est vrai, n’aboutit pas vraiment, finalement, à cette fusion

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Mais ne suis-je pas trop sévère ? Que non pas: j’ai juste envie d’être exigeant avec le présumé « wonder boy » du cinéma romand, à proportion d’un talent dont j’ai l’outrecuidance amicale d’attendre plus…


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