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Discussion chez madame Kervella : des vautours et des hommes

Publié le 26 novembre 2015 par Legraoully @LeGraoullyOff

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– Oh, regardez, madame Kervella : un vautour !

– Beuh ! J’aime pas ces bêtes-là, moi ?

– Ah bon, pourquoi ?

– Ben c’est un charognard, c’est une sale bête !

– Alors là, je ne suis pas d’accord avec vous ! Qu’est-ce que vous pouvez lui reprocher ? Il se nourrit de cadavres, pas de danger qu’il s’attaque à vous !

– Quand même, c’est lâche et cruel… L’aigle au moins, c’est un noble prédateur…

– De quoi ? Le vautour ne fait de mal à aucun animal puisqu’il ne tue pas lui-même les bestioles qu’il mange ! À la limite, il est moins cruel qu’un aigle ! Et ce dernier n’est pas moins lâche puisqu’il ne s’en prendra jamais qu’à plus petit que lui ! Cette histoire de l’aigle soi-disant « noble », vous savez bien que c’est une invention de militaires pour justifier les boucheries qu’ils commettent eux-mêmes !

– …

– Ne perdez pas de vous que les charognards sont très utiles à l’écosystème : imaginez un monde dans lequel, au lieu de nourrir d’autres animaux, les cadavres se contenteraient de pourrir au soleil : ce serait une infection ! L’odeur serait telle que plus aucun être vivant ne pourrait voir le jour sans être aussitôt étouffé !

– Là, vous exagérez !

– À peine !

– Enfin, quand même… Manger des morts…

– Ben quoi ? C’est bien ce que nous faisons nous-mêmes presque tous les jours ! Un jour, un végétarien m’a dit « tu te rends compte que tu manges des animaux morts ? », je lui ai répondu « ben évidemment, je ne vais pas les engloutir vivants ! » Il ne s’attendait pas à ça, ça lui a cloué le bec ! La vie est ainsi faite ! Quand on est mort, on est mort, on ne peut même plus souffrir du sort réservé à notre dépouille ! Alors permettre à un autre animal de vivre ou autre chose, franchement…

– Oui…mais…enfin… Enfin, le vautour qui guette la mort d’un animal et attend l’heure de sa pitance, c’est une image assez répugnante…

– Vous trouvez ça répugnant parce que vous regardez cette scène avec vos yeux humains : vous plaquez sur le vautour des catégories morales qui n’appartiennent qu’au genre humain ! Je vous jure qu’à part l’homme, aucun animal ne trouve répugnant ce que fait le vautour ! De toute façon, nous, les hommes, sommes très mal placés pour lui faire des reproches : pendant des siècles voire des millénaires, nous n’avons pas fait autre chose que lui !

– Comment ça ?

– Ben oui, rappelez-vous : quand nos ancêtres voyaient passer un troupeau de mammouths en pleine migration, qu’est-ce que vous croyez qu’ils faisaient ? Vous vous imaginez peut-être qu’ils fonçaient dans le tas et essayaient de perforer les grosses bébêtes avec leurs petites lances de rien du tout ? Il y a sûrement bien eu, de temps à autre, un crétin pour tenter l’aventure, l’idiot de la tribu à coup sûr, et les autres ont bien vu que c’était le plus sûr moyen de constater que les mammouths n’écrasaient pas que les prix ! Alors, pas fous, ils suivaient la procession et attendaient gentiment : mathématiquement, il y avait forcément au moins un mammouth un peu moins costaud que les autres qui calanchait en route, et alors, il n’y avait qu’à se servir ! Durant ces « âges farouches », on n’était pas regardant sur les moyens pour survivre dans un monde sauvage, alors toutes ces tonnes de barbaque pour bouffer, les os et les défenses pour se faire des outils et des armes, la fourrure pour se faire des fringues… Ils auraient eu tort de se priver ! Qui les en aurait empêchés ? Certainement pas les mammouths qui avaient autre chose à faire que se préoccuper du sort d’un congénère mort en route parmi beaucoup d’autres… Vous voyez : les vautours, ils sont au même stade que nos ancêtres, ce sont eux aussi de pauvres bougres qui essaient tant bien que mal de survivre dans un monde hostile… Heu, dites, vous me suivez ? Vous avez l’air songeur.

– C’est parce que là, vous me faites penser à un truc horrible : et si les vautours évoluaient à leur tour au point de nous rattraper en intelligence et de prendre le contrôle de la Terre à notre place ? Après la planète des singes, la planète des vautours !

– Cessez de dire des bêtises et servez-moi un autre Sauvignon !

– Oh, parlez-moi gentiment, quand même, je pourrais être votre mère…

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