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Albert et Yan, Templemarois ordinaires

Publié le 29 avril 2016 par Fbaillot

Ce 24 avril 2016, nous avons souhaité donner un relief particulier à la journée du souvenir de la déportation. Nous honorions la mémoire de deux déportés de la commune : Albert Prévost, qui a donné son nom à une place du village, déjà évoqué précédemment et Yan Mozejko

 

drapeau mozejko
1972, Yan Mozejko reçoit le drapeau de la section UNC de Templemars-Vendeville

Voici ce que j’ai déclaré en préambule.

Nous pensons que le retour dans notre histoire est indispensable pour toutes les générations. L'actualité internationale nous montre que l'antisémitisme, le racisme, les déplacements brutaux de population, les génocides sont toujours une réalité, y compris à proximité de nos frontières, sur notre continent parfois et dans des pays qui nous sont chers.

Nous avons le devoir d'entretenir la mémoire de chacun, d'éviter l'oubli pour que celui-ci ne devienne pas la négation.

Nous rendons hommage à tous ceux qui ont payé souvent de leur vie, parce qu'ils avaient combattu contre l'ennemi, mais souvent parce qu'ils étaient simplement attachés à leur pays et à ses valeurs, et qu'ils se sont dressés, avec leurs moyens contre la barbarie.

Et ce matin, nous avons voulu mettre l'accent sur deux déportés de la commune. En premier lieu, Albert Prévost, résistant et déporté templemarois parti avec le train de Loos, déporté et décédé à Sachsenhausen. Nous saluons à cette occasion sa fille, Thérèse Sailly, qui nous rend régulièrement visite.

Et puis, Michel Carlier va dans quelques instants retracer la vie de Yan Mozejko, un citoyen que beaucoup ont croisé, et qui nous a quittés il y a quelques années. Je salue la présence de sa femme, de sa famille, dont son petit-fils Pierre Giraud, militaire d'active. Et puis, je remercie au nom de la commune le porte drapeau de la Légion, présent avec son étendard, ainsi que le représentant du centre d’information de la légion étrangère de Lille, le président départemental de l'UNC, le porte- drapeau des médaillés militaire avec son étendard , le Président de la 34eme section de Lille, le Président des anciens du bataillon de Corée et d’Indochine, le représentant du souvenir Français, le représentant de la Chancellerie UNC Groupe NORD qui ont tenu à être présent pour cet hommage, sans oublier les porte-drapeau de l’ UNC Templemars Vendeville.

Merci également aux élus vendevillois qui se sont joints à nous, ainsi qu'à la chorale Choeur à Coeur. Je vais maintenant passer la parole à Michel Carlier, et je souligne l'investissement personnel qu'il met dans la préparation de cette journée comme dans tant de cérémonies devant ce monument. C'est notamment grâce à ce travail que la commune entretient un lien fort avec ceux qui lui ont fait honneur.

Discours de Michel Carlier, président de la section UNC-Soldats de France de Vendeville-Templemars

MIKASZEWICZE : l’hiver touche à sa fin dans ce village situé à l’est de la Pologne, a la frontière avec l’union soviétique, aujourd’hui la Biélorussie. Nous sommes le 19 mars 1933, la famille MOZEJKO compte un enfant de plus, un garçon. Ses parents le prénomment YAN. Ce petit Polonais grandit au milieu des siens sans histoire, peu perturbé en 1939 lorsque qu’éclate la deuxième guerre mondiale.

Quelques images familiales interpellent le jeune garçon. Papa et Tonton bouclant leur ceinturon, habillé chaudement, avant de s’enfoncer dans la nuit, alors que lui allait se coucher. De temps à autre il les entend rentrer avant le lever du jour.

Il comprit ce jour d’hiver 1942, lorsqu’ils sont venus les arrêter. Yan a 9 ans, souvenir terrible : la famille dehors sous la neige, papa retournant précipitamment dans la maison afin d’aller chercher les bottes de son fils qui partait mal chaussé. Ils ne savaient pas qu’ils ne repasseraient jamais le seuil de cette maison.

Transport en camion jusqu'à la gare, où ils seront entassés dans des wagons à bestiaux. Première souffrance. Fin de parcours, la Bavière, banlieue de Munich, la ville de DACHAU. Ils seront internés dans le premier camp construit par le régime, en Mars 1933. Camp qui rendra la ville de Dachau tristement célèbre. D’abord destiné aux opposants politiques. 4800 y furent internés. Ce camp deviendra plus tard ce que l’on sait aujourd’hui. Le petit Yan lui ne sait pas encore en passant sous le portail qu’il va être rapidement séparé des siens. A-t-il pu lire l’inscription à l’entrée : « Arbeit macht frei ». Le travail rend libre.

32 baraquements constituent le camp de Dachau. Travail forcé pour les hommes, 30 camps satellites exploitant plus de 30 000 prisonniers sans oublier les commandos extérieurs : routes, carrières de pierre, drainage de marécage, abattage forestier. C’est dans ce contexte que Yan passera 3 ans de sa jeune vie. Il restera discret concernant cette période.

Plus de 12000 Polonais furent emprisonnés à Dachau. On compte également 12493 Français.

Quelles ont été les conditions de vie de ce petit bonhomme ? Ce qu’il a raconté : en avril 45 il a vu entrer dans le camp les soldats de l’armée Américaine. Ils étaient là pour lui, afin de lui rendre sa liberté. La Croix Rouge était à leurs cotés. Yan ira à leur rencontre : papa, maman, fratrie, pas de réponse, plus personne. Et c’est un garçon de 12 ans décharné que les Américains emmenèrent avec eux. Il sera conduit dans le Wurtemberg, près de Stuttgart dans un camp de réfugiés. Jusqu’en 1947 il fera partie d’une section polonaise sous contrôle américain. Malgré son jeune âge il portera l’uniforme polonais. Il séjournera ensuite dans un second camp de réfugiés près de Munich, pour finir enfin en Alsace, où il est employé dans une ferme.

Le souhait de Yan, pouvoir faire sa vie en France. Il empruntera la seule voie qui s’offre à lui. Il signe un engagement au troisième régiment étranger d’infanterie : la Légion. Il intègre le troisième bataillon le 24 Aout 1951, il a 18 ans et demi. Commence pour lui le périple auquel là non plus, il ne s’attendait pas. Entre 1951 et 1953, on le retrouve d’abord en Algérie puis au Maroc. À chacune des missions confiées à son bataillon, Yan sera du voyage.

Il est de nouveau en Algérie lorsque la France commence l’envoi de troupes en Extrême Orient. Il embarque alors sur le Pasteur. Ce bateau mythique de 212 mètres a pour mission de convoyer le corps expéditionnaire français. Près de 500 000 hommes emprunteront la passerelle de ce bateau. 61 rotations seront nécessaires.

1953 Laos, province de Luang Prabang, Plaine des Jarres. Il ira où l’emmène la Légion. Le 30 Aout 1953, il est à Manh Zan au Nord Vietnam. Lors d’un combat il est blessé à la cheville gauche par un éclat lors de l’explosion d’une mine. Il sera cité à l’ordre de la brigade, numéro 3010 du 14 octobre 1953. Le texte : « calme, courageux, payant sans cesse de sa personne, se dépensant sans compter au cours des combats ».

Dans les livres d’histoire on peut lire : l’attaque débute le 13 mars 1954 à 17 heures par une intense préparation d’artillerie. On lit également qu’auparavant le point d’appui Isabelle avait été renforcé par la Légion Etrangère, le troisième bataillon du 3 REI.

DIEN BIEN PHU, le troisième est dans la cuvette, Yan est avec eux. Ce seront 57 jours de combats sous les tirs d’artillerie et les assauts répétés. Il sera à nouveau cité à l’ordre du corps d’armée, citation1879 du 28 Décembre 1954. Le texte : « le 3 mai 54 : s’est particulièrement distingué lors d’une attaque de tranchée. A assuré le ravitaillement en munitions et en grenades pour les éléments de tête de sa compagnie sous les tirs violents de mortiers, contribuant largement au succès de l’opération. »

Le lendemain Yan est blessé une première fois, le sept deuxième blessure. Éclats à la face, à la poitrine et à l’avant bras gauche. Le soir de cette même journée 7 mai 1954 l’ordre tombe venant d’Hanoi, cessez le feu.

A Paris, la nuit tombe et les rotatives tournent à plein régime pour imprimer le journal ‘’Le Parisien’’ du lendemain.Titre à la une : « Dien bien Phu est tombé ».

A Dien bien Phu pour Yan et ses camarades sur le point d’appui Isabelle le combat continue. Il se poursuivra durant la nuit. Nous sommes le 8 mai 1954, Il est une heure du matin, le silence tombe sur Dien bien Phu. Dans les archives, document de succession militaire colis numéro 75 du 8 mai 54, une annotation retient l’attention. « Mozejko Yan matricule 84844- 3 REI disparu à Dien bien Phu ».

En réalité, Yan est en route pieds nus pour les camps Viet-Minh, 700 kilomètres parcourus à pied. L’organisme déjà affaibli, il connaîtra la dénutrition, les mauvais traitements, le manque de soins, le lavage de cerveau dans un environnement naturel hostile. Et c’est un garçon diminué, amaigri, n’ayant plus la notion du temps qui sera rendu à la France suite a la signature des accords de Genève dans le cadre des échanges de prisonniers. Ce sont des fantômes qui sont remis entre les mains des membres de la croix rouge internationale. Il est sorti de l’enfer vert.

11271 soldats du corps expéditionnaire ont été fait prisonniers. 3290 seront rendus à la France dans un état sanitaire catastrophique. Il en manque 7801. Évacué sur Saigon, Yan embarque pour la France le 9 septembre 1954. Il porte le numéro 957. Il laisse derrière lui ses camarades morts au combat. La légion a perdu 11000 hommes dans ce conflit peu connu de nos compatriotes. Il lui faudra une nouvelle fois remonter la pente et retrouver la santé. Mais son parcours ne s’arrête pas là. On retrouve Yan en Algérie pour un troisième séjour. A son retour il sera honoré aux invalides le 30 avril 1955. Début 56 il embarque à nouveau pour l’Algérie alors en situation de maintien de l’ordre. Il rentrera au pays le 29 juillet 1956. Le 27 février 1957, arrive en préfecture du Nord, un courrier du ministère de la santé publique et de la population.

L’ampliation du décret référence 7985 X 56, article premier : « est naturalisé Français MOZEJKO YAN. MIKASZEWICZE POLOGNE. »

Yan est déclaré Français en date du 8 février 1957 sous le numéro 41725. Pour la petite histoire Jean devra se présenter devant les autorités comme tout bon citoyen, y compris pour effectuer le conseil de révision dans le cadre de la conscription républicaine. Appelé du contingent, c’est un homme de 24 ans qui se présente ce jour là. Fait rare, Yan possède deux livrets militaires. Je vous rassure, il ne fera pas son service national.

Le 23 mars 1957, notre compagnon Jean se présente à Wattignies en mairie, il souhaite se marier.

Problème son seul document officiel, l’ampliation de sa naturalisation. Yan est incapable de fournir une trace de son passé et pour cause. Seul document en sa possession, son certificat de baptême. L’administration tranchera, après jugement du tribunal, il sera autorisé à se marier en fournissant seulement si je puis m’exprimer ainsi, un acte de notoriété.

Le 9 Mai 1957, le français Jean Mozejko est décoré de la plus haute distinction du soldat, la Médaille Militaire sous le numéro 816248.

Muté à Lille, il occupe un poste au centre d’information de la Légion. Il termine sa carrière à ce poste. Il est versé dans la réserve et sera libéré de toutes obligations militaires envers son pays, la France, le 15 Octobre 1968.

En 1972 un ouvrage est édité, édition de luxe : histoire de la Médaille Militaire. Jean recevra un exemplaire. En première page, sa photo en Légionnaire portant la décoration. Une dédicace fait suite : « A tous ceux qui ont illustré la belle devise militaire, valeur et discipline et se sont ainsi rendu digne de porter la médaille militaire, j’exprime la reconnaissance et l’affection de la France. » Cette dédicace porte une signature : Georges Pompidou.

C’est la même année que les amicales des combattants Templemarois et Vendevillois fusionnent avec l’UNC. C’est à Jean que sera remis le premier drapeau de L’UNION NATIONALE DES COMBATTANTS. Il s’entend dire : « Reçois ce drapeau, porte le dans l’honneur et la dignité. »

En Avril 1974, Jean est décoré de la Croix du Djebel avec cette citation : « Vous faites à présent partie d’une génération qui a fait la preuve de son esprit civique. »

Novembre 198O, le facteur remet à Jean et Josiane un courrier de Madame Valéry Giscard d’Estaing en provenance de la Présidence, le priant de leur faire l’honneur de venir déjeuner aux invalides le 11 Novembre a 13 heures.

Hommage rendu à l’homme et au drapeau dont il a la garde. Jean honorera cette invitation et sa présence honorera nos communes, Templemars et Vendeville, comme il honorera son drapeau pendant plus de quinze ans.

Jean n’est plus, il nous a quittés en juin 1998. Il repose dans le cimetière de notre commune.

Je terminerai par un fait émouvant. Ce témoignage à lui seul représente ce qu’il y a de plus beau dans l’amitié entre ces hommes. Il est la preuve s’il en fallait encore une de l’attachement qu’avaient entre eux ces hommes d’honneur, même si ce témoignage peut vous paraitre étrange aujourd’hui, et pourtant ! Josiane est veuve. Elle reçoit un faire part de décès. C’est l’annonce des obsèques du président Bataillon de Corée. Le président avait préparé les enveloppes avec les adresses des personnes à prévenir. Ce qui fut fait à son décès. Sauf qu’au dos de l’enveloppe destinée à Josiane figure en guise d’adresse d’expéditeur une phrase : « Je suis parti prendre un pot avec Yan ».

Respects Président.

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Jean Mozejko

Croix du combattant

Médaille coloniale avec agrafe extrême orient

Médaille commémorative campagne d’Indochine

Croix de guerre avec étoile de bronze

Croix de guerre avec deux étoiles vermeilles

Médaille militaire

Médaille des prisonniers de guerre

Médaille des blessés en période de conflit

Croix du combattant volontaire

Médaille des porte-drapeau

Médaille du DJEBEL.

Invalide de guerre imputable au titre de la loi, aux combats et à la captivité.

Il a lié son destin à celui de la nation. Il a cru en son idéal en des périodes où ils ont dû quelquefois défier l’irrévérence. Jean, un vieux soldat ne meurt jamais. Tu as servi deux drapeaux. Sur le premier, il est écrit et c’est le seul « Honneur et Fidélité ». Sur le deuxième, il est écrit « Honneur et Patrie ».

Respects Monsieur Jean Mozejko, repose en paix. Nous n’avons pas oublié. Repose en paix soldat français, hommage te soit rendu.

Merci


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