Magazine Journal intime

texte écrit avant l'accident pour Histoires à mourir de vivre 2 (qui sortira un jour, retard dû à mon accident...) : LE PACTE

Publié le 18 mai 2016 par Anaïs Valente

Il est beau. Si beau. Un apollon. Un dieu. Dieu de l’harmonie. Dieu de la réussite. Dieu de l’esthétique.

Il se sait beau, depuis toujours. Il en a tant profité. Il a tant séduit, tant jeté, tant détruit. Mais il a cessé tout cela, il est désormais le seul à profiter de sa perfection. Il se suffit à lui-même. Nul besoin d’un faire-valoir. Il est parfait.

Mais la beauté n’est pas éternelle, et petit à petit, il s’autodétruit. Une ridule par-ci, un cheveu blanc par-là. Rien de grave. Pour le commun des mortels, du moins. Mais il n’a rien de commun, lui. Il n’a rien en commun avec ces mortels. Sauf le fait d’être mortel, et ça le tue.

Il ne peut se faire à l’idée que le pire reste à venir. Que chaque jour va voir sa beauté se faner, disparaître, inexorablement, inéluctablement.

Dans Blanche-Neige, son personnage préféré, ce n’est pas le Prince Charmant, ce n’est pas Blanche-Neige, ce n’est aucun des nains, c’est la vilaine belle-mère, que le culte de la perfection rend folle. Il la comprend. Il est elle, en version masculine. Il l’aime, au-delà de son sadisme, au-delà de son narcissisme, au-delà de sa déraison.

Jour après jour, cependant, son énergie s’étiole. Voir son reflet dans le miroir devient un supplice. Chaque nouveau cheveu blanc prend des allures de drame. Chaque ridule stigmatise toutes ses angoisses. Cet avenir qui l’attend, il n’en veut pas.

Alors il décide d’en finir. Rester jeune à tout jamais. Rester sublime à tout jamais. Fabuleux destin. Fabuleux dessein.

Et c’est là qu’elle apparaît. Son équivalent en femme. Une beauté intemporelle. Il ne comprend qu’à moitié ce qu’elle lui expose, subjugué qu’il est par ce physique presqu’irréel. Il écoute, sans vraiment entendre. Il ne comprend que quelques mots « pacte, beauté éternelle, conséquences, perte d’un être cher ». Il n’en retient que « beauté éternelle », son vœu le plus cher, peu importent les conditions, il s’en moque, il veut être beau. Éternellement.

Lorsqu’elle lui tend la main, pour sceller leur accord, il la prend, la serre, et conclut cette alliance qu’elle lui propose. En symbole de ce pacte, elle lui glisse un anneau au doigt. Une alliance pour une alliance. La boucle est bouclée.

Le voilà grisé par cet avenir qui s’offre à lui. Plus d’angoisses. Plus de miroir à anéantir. Rien que lui, lui, lui, et sa splendeur éternelle.

Avant de disparaître, elle lui rappelle d’une voix monocorde « n’oubliez pas que pour chaque requête, il y aura des conséquences, ne l’oubliez jamais ».

Peu importe, il est heureux. Oubliés, les projets d’en finir.

Il redécouvre même le plaisir de séduire, lui qui ne cherchait plus qu’à s’auto-séduire, et se perd durant de longues années dans des aventures dénuées de sens, mais qui éveillent tous ses sens. Et c’est si bon. Le sexe, à l’état pur. Sa vigueur retrouvée. Ces femmes qui s’offrent à lui, tels des fruits à peine mûrs. Ces femmes si jeunes, de plus en plus jeunes. Plantureuses. Brunes, rousses, blondes. Belles, si belles, tellement belles. Jeunes, si jeunes. Vierges, parfois. Ce pouvoir de les dépuceler le transforme à nouveau en Dieu. Il jouit d’elles, comme il jouit en elles, sans jamais se lasser. Parfois, il ne connaît même pas leur prénom. Aucune importance. Sa vie n’est plus que ça, une jouissance totale et absolue. Irréelle, presque.

Les années passent, parfaites. Comme lui. Jusqu’à ce qu’un matin, il la voie. Cette ride. Elle n’était pas là hier. Angoisse totale. Puis soulagement, il sait que faire. Et il va le faire. Il enlève son anneau, le tend vers le miroir, et la ride disparaît.

Un coup de baguette magique.

Non sans conséquence.

En contrepartie de cette jeunesse à nouveau retrouvée, il le sait, il va perdre quelque chose. Ou plutôt quelqu’un.

Ce sera sa femme, depuis si longtemps négligée. Bien sûr, il l’a aimée. Follement. Il y a longtemps. Ils ne partagent plus qu’une même demeure. Uniquement. Elle s’est flétrie plus vite que lui. Il s’est vite lassé. Il n’a pas de scrupules. Aucun.

Après une brève période de deuil, question d’apparences, toujours d’apparences, il reprend le cours de sa vie. Le cours de ses vies, car ses forces sont comme décuplées. Il ne sait plus où donner de la tête. Les femmes lui semblent à ses pieds, mais il n’en a jamais assez. Oh, il prend son pied avec toutes. Chacune d’elle lui confirme à quel point il est beau, si beau, parfaitement beau, à tout jamais. Et le voilà reparti pour un marathon sexuel que même un jeune homme de vingt ans, en pleine force de l’âge, ne parviendrait à égaler. Il a l’impression que chaque orgasme est plus puissant que le précédent. Alors, il n’a de cesse de penser au suivant, dans cette fuite inconsidérée vers la jouissance ultime et absolue, si belle, tellement belle, tout comme lui, si beau, le plus beau, beau à jamais.

Les années passent comme des trains, sans qu’il ne se lasse de sa vie, puis, l’inéluctable se produit. Une ride apparaît. Le rituel est immuable, il le connaît. Cette fois, il choisit sa vieille mère, qui n’est pas au mieux de sa forme. Il a quelques scrupules, vite oubliés car elle lui a souvent dit, dans la petite chambre rose de sa maison de repos, qu’elle aspirait à rejoindre son défunt époux, parti trop tôt, que sa vie n’avait plus de sens depuis son départ, que toutes ces douleurs qu’elle avait, toute cette fatigue qu’elle ressentait, faisaient qu’elle n’avait plus le goût de vivre.

Et la voilà morte.

Et le voilà immortel, à nouveau. Empreint d’un nouvel éclat. D’une nouvelle énergie. Il se regarde dans le miroir, se trouve tellement parfait que cela lui fait mal, dans le cœur, dans le ventre, dans les tripes, et jusqu’à l’extrémité de son sexe durci par la perspective des journées à venir. À peine s’il pense au fait que cette fois est la dernière : il n’a plus d’être aimé à offrir à son anneau désormais. Le sort en est jeté.

Il est seul.

Mais si jeune.

Et si beau.

Les journées se suivent et se ressemblent, faites de son narcissisme habituel, dont il se repait sans aucune conscience de ses excès.

Jusqu’à ce qu’elle apparaisse. Vingt ans. Vingt-deux peut-être. Chevelure d’ébène et peau blanche. Il en rirait presque, on dirait Blanche-Neige. Oui, presque. Sa peau n’est pas si blanche que ça, au second regard. Et ses yeux sont bleus. Elle est d’une beauté diaphane. Il la trouve plus belle que lui, ce qui ne lui était jamais arrivé. D’habitude, il est le plus beau le plus puissant le plus grand le plus tout. Mais là, le voilà envouté. Et stupéfait par cet envoutement inattendu.

Il en oublie cette collectionnite aiguë qui l’habite depuis tant d’années. Il ne veut plus se consacrer qu’à elle, uniquement à elle. En un mot, enfin en trois, il est amoureux. Il l’aime. À la folie.

Et elle l’aime en retour. Elle le rend plus beau encore, plus humble, plus discret. Elle le transforme. Elle a vingt ans, dans ces eaux-là. Il a l’air d’en avoir trente, mais il connaît son âge réel. Il est le seul à le connaître. Alors, il l’occulte. Et il fonce tête baissée dans cette histoire fabuleuse que lui offre la vie.

L’harmonie est totale. La complicité parfaite. Ses années d’expérience le transforment en Dieu du sexe. Il lui apprend tout, n’a plus besoin d’aucune autre, est pleinement satisfait. Elle est épanouie, découvre la vie à ses côtés, en parfaite harmonie. Heureux, il est heureux. Ils sont heureux. Leurs physiques parfaits en font un couple idéal, admirable et admiré de tous.

Lorsqu’elle lui passe la bague au doigt, faisant fi des traditions, c’est à peine s’il remarque l’anneau auquel vient s’ajouter son alliance. Il l’a presque oublié.

Presque.

Car l’anneau, lui, ne l’a pas oublié.

Et une ride se rappelle à lui. Il l’ignore, même si elle le tue, cette ride. Il le sait. Il est comblé, c’est une certitude. Mais il n’en est pas moins lui, amoureux de lui plus que d’elle, mais si peu. Trop peu peut-être. Il l’aime. Mais il s’aime tant aussi.

Négligeant son anneau magique, il laisse la vie reprendre son cours. Il oublie. Il accepte la ride, bientôt suivie d’une autre, puis encore une autre, comme si toutes ces années se volatilisaient jour après jour, comme s’il allait recouvrer son apparence normale, son âge normal…

Et ça, il ne peut le concevoir. Pour lui, mais surtout pour elle. Comment pourrait-elle aimer le vieillard qu’il deviendra au fil des mois, elle qui est tombée amoureuse d’un étalon de trente ans ?

Sa vie est un enfer, il ne peut se résoudre à la quitter. Mais il ne peut rester à ses côtés. Il ne peut accepter qu’elle découvre le subterfuge. Mais il n’a plus personne à offrir à son anneau.

Il n’y a qu’une seule personne qu’il peut sacrifier. Un seul être aimé.

Elle.

La sacrifier pour retrouver la jeunesse qui lui permettrait de la garder. Absurdité de ce choix impossible.

La quitter pour la préserver, et devenir tout ce qu’il hait. Dilemme abominable.

Son narcissisme prend le dessus. Il saisit son anneau et perd son bel amour en même temps que toutes ces rides qui avaient commencé à envahir son visage.

La douleur de la perte est indescriptible. Intolérable. Il se déchire à l’intérieur. Il meurt. Il est mort. Lui qui n’avait jamais pleuré, découvre l’amertume des larmes. Le voilà inconsolable. Il tente d’adopter l’adage « une de perdue, dix de retrouvées », habitué qu’il a été au jeu de la séduction et de la luxure. En vain. Elle lui manque. Il crève de ce manque. Et de culpabilité. Il l’a tuée. Par vanité. Par peur. Par absurdité. Elle l’aimait, elle aurait pu l’aimer abîmé. Il sort de chez lui, se laisse aborder par une multitude de femmes toutes plus belles les unes que les autres, mais ne ressent rien. Pas d’amour, bien sûr, mais point de désir non plus. Rien. Ses pas ne font que le mener au cimetière, où il passe des heures sur sa tombe, à crever de désespoir.

Il crève tant de douleur qu’il comprend que c’est tout ce qui lui reste à faire, crever. Crever pour ne plus mourir de tant souffrir.

Alors il jette son anneau, et attend la vieillesse, impatiemment.

La laideur.

Puis la mort.

Mais elle ne viendra pas.

La vieillesse vint.

La laideur vint.

Mais la mort tant espérée ne vint jamais.

Il n’avait pas suffisamment écouté : « un pacte, vous y gagnerez la beauté éternelle, mais il y aura des conséquences, pour chaque vœu que vous ferez, vous perdrez un être cher, et si à un quelconque moment vous regrettez votre choix, vous serez condamné à la vieillesse éternelle ».

Vieux, à tout jamais.

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Il est beau. Si beau. Un apollon. Un dieu. Dieu de l’harmonie. Dieu de la réussite. Dieu de l’esthétique.

Il se sait beau, depuis toujours. Il en a tant profité. Il a tant séduit, tant jeté, tant détruit. Mais il a cessé tout cela, il est désormais le seul à profiter de sa perfection. Il se suffit à lui-même. Nul besoin d’un faire-valoir. Il est parfait.

Mais la beauté n’est pas éternelle, et petit à petit, il s’autodétruit. Une ridule par-ci, un cheveu blanc par-là. Rien de grave. Pour le commun des mortels, du moins. Mais il n’a rien de commun, lui. Il n’a rien en commun avec ces mortels. Sauf le fait d’être mortel, et ça le tue.

Il ne peut se faire à l’idée que le pire reste à venir. Que chaque jour va voir sa beauté se faner, disparaître, inexorablement, inéluctablement.

Dans Blanche-Neige, son personnage préféré, ce n’est pas le Prince Charmant, ce n’est pas Blanche-Neige, ce n’est aucun des nains, c’est la vilaine belle-mère, que le culte de la perfection rend folle. Il la comprend. Il est elle, en version masculine. Il l’aime, au-delà de son sadisme, au-delà de son narcissisme, au-delà de sa déraison.

Jour après jour, cependant, son énergie s’étiole. Voir son reflet dans le miroir devient un supplice. Chaque nouveau cheveu blanc prend des allures de drame. Chaque ridule stigmatise toutes ses angoisses. Cet avenir qui l’attend, il n’en veut pas.

Alors il décide d’en finir. Rester jeune à tout jamais. Rester sublime à tout jamais. Fabuleux destin. Fabuleux dessein.

Et c’est là qu’elle apparaît. Son équivalent en femme. Une beauté intemporelle. Il ne comprend qu’à moitié ce qu’elle lui expose, subjugué qu’il est par ce physique presqu’irréel. Il écoute, sans vraiment entendre. Il ne comprend que quelques mots « pacte, beauté éternelle, conséquences, perte d’un être cher ». Il n’en retient que « beauté éternelle », son vœu le plus cher, peu importent les conditions, il s’en moque, il veut être beau. Éternellement.

Lorsqu’elle lui tend la main, pour sceller leur accord, il la prend, la serre, et conclut cette alliance qu’elle lui propose. En symbole de ce pacte, elle lui glisse un anneau au doigt. Une alliance pour une alliance. La boucle est bouclée.

Le voilà grisé par cet avenir qui s’offre à lui. Plus d’angoisses. Plus de miroir à anéantir. Rien que lui, lui, lui, et sa splendeur éternelle.

Avant de disparaître, elle lui rappelle d’une voix monocorde « n’oubliez pas que pour chaque requête, il y aura des conséquences, ne l’oubliez jamais ».

Peu importe, il est heureux. Oubliés, les projets d’en finir.

Il redécouvre même le plaisir de séduire, lui qui ne cherchait plus qu’à s’auto-séduire, et se perd durant de longues années dans des aventures dénuées de sens, mais qui éveillent tous ses sens. Et c’est si bon. Le sexe, à l’état pur. Sa vigueur retrouvée. Ces femmes qui s’offrent à lui, tels des fruits à peine mûrs. Ces femmes si jeunes, de plus en plus jeunes. Plantureuses. Brunes, rousses, blondes. Belles, si belles, tellement belles. Jeunes, si jeunes. Vierges, parfois. Ce pouvoir de les dépuceler le transforme à nouveau en Dieu. Il jouit d’elles, comme il jouit en elles, sans jamais se lasser. Parfois, il ne connaît même pas leur prénom. Aucune importance. Sa vie n’est plus que ça, une jouissance totale et absolue. Irréelle, presque.

Les années passent, parfaites. Comme lui. Jusqu’à ce qu’un matin, il la voie. Cette ride. Elle n’était pas là hier. Angoisse totale. Puis soulagement, il sait que faire. Et il va le faire. Il enlève son anneau, le tend vers le miroir, et la ride disparaît.

Un coup de baguette magique.

Non sans conséquence.

En contrepartie de cette jeunesse à nouveau retrouvée, il le sait, il va perdre quelque chose. Ou plutôt quelqu’un.

Ce sera sa femme, depuis si longtemps négligée. Bien sûr, il l’a aimée. Follement. Il y a longtemps. Ils ne partagent plus qu’une même demeure. Uniquement. Elle s’est flétrie plus vite que lui. Il s’est vite lassé. Il n’a pas de scrupules. Aucun.

Après une brève période de deuil, question d’apparences, toujours d’apparences, il reprend le cours de sa vie. Le cours de ses vies, car ses forces sont comme décuplées. Il ne sait plus où donner de la tête. Les femmes lui semblent à ses pieds, mais il n’en a jamais assez. Oh, il prend son pied avec toutes. Chacune d’elle lui confirme à quel point il est beau, si beau, parfaitement beau, à tout jamais. Et le voilà reparti pour un marathon sexuel que même un jeune homme de vingt ans, en pleine force de l’âge, ne parviendrait à égaler. Il a l’impression que chaque orgasme est plus puissant que le précédent. Alors, il n’a de cesse de penser au suivant, dans cette fuite inconsidérée vers la jouissance ultime et absolue, si belle, tellement belle, tout comme lui, si beau, le plus beau, beau à jamais.

Les années passent comme des trains, sans qu’il ne se lasse de sa vie, puis, l’inéluctable se produit. Une ride apparaît. Le rituel est immuable, il le connaît. Cette fois, il choisit sa vieille mère, qui n’est pas au mieux de sa forme. Il a quelques scrupules, vite oubliés car elle lui a souvent dit, dans la petite chambre rose de sa maison de repos, qu’elle aspirait à rejoindre son défunt époux, parti trop tôt, que sa vie n’avait plus de sens depuis son départ, que toutes ces douleurs qu’elle avait, toute cette fatigue qu’elle ressentait, faisaient qu’elle n’avait plus le goût de vivre.

Et la voilà morte.

Et le voilà immortel, à nouveau. Empreint d’un nouvel éclat. D’une nouvelle énergie. Il se regarde dans le miroir, se trouve tellement parfait que cela lui fait mal, dans le cœur, dans le ventre, dans les tripes, et jusqu’à l’extrémité de son sexe durci par la perspective des journées à venir. À peine s’il pense au fait que cette fois est la dernière : il n’a plus d’être aimé à offrir à son anneau désormais. Le sort en est jeté.

Il est seul.

Mais si jeune.

Et si beau.

Les journées se suivent et se ressemblent, faites de son narcissisme habituel, dont il se repait sans aucune conscience de ses excès.

Jusqu’à ce qu’elle apparaisse. Vingt ans. Vingt-deux peut-être. Chevelure d’ébène et peau blanche. Il en rirait presque, on dirait Blanche-Neige. Oui, presque. Sa peau n’est pas si blanche que ça, au second regard. Et ses yeux sont bleus. Elle est d’une beauté diaphane. Il la trouve plus belle que lui, ce qui ne lui était jamais arrivé. D’habitude, il est le plus beau le plus puissant le plus grand le plus tout. Mais là, le voilà envouté. Et stupéfait par cet envoutement inattendu.

Il en oublie cette collectionnite aiguë qui l’habite depuis tant d’années. Il ne veut plus se consacrer qu’à elle, uniquement à elle. En un mot, enfin en trois, il est amoureux. Il l’aime. À la folie.

Et elle l’aime en retour. Elle le rend plus beau encore, plus humble, plus discret. Elle le transforme. Elle a vingt ans, dans ces eaux-là. Il a l’air d’en avoir trente, mais il connaît son âge réel. Il est le seul à le connaître. Alors, il l’occulte. Et il fonce tête baissée dans cette histoire fabuleuse que lui offre la vie.

L’harmonie est totale. La complicité parfaite. Ses années d’expérience le transforment en Dieu du sexe. Il lui apprend tout, n’a plus besoin d’aucune autre, est pleinement satisfait. Elle est épanouie, découvre la vie à ses côtés, en parfaite harmonie. Heureux, il est heureux. Ils sont heureux. Leurs physiques parfaits en font un couple idéal, admirable et admiré de tous.

Lorsqu’elle lui passe la bague au doigt, faisant fi des traditions, c’est à peine s’il remarque l’anneau auquel vient s’ajouter son alliance. Il l’a presque oublié.

Presque.

Car l’anneau, lui, ne l’a pas oublié.

Et une ride se rappelle à lui. Il l’ignore, même si elle le tue, cette ride. Il le sait. Il est comblé, c’est une certitude. Mais il n’en est pas moins lui, amoureux de lui plus que d’elle, mais si peu. Trop peu peut-être. Il l’aime. Mais il s’aime tant aussi.

Négligeant son anneau magique, il laisse la vie reprendre son cours. Il oublie. Il accepte la ride, bientôt suivie d’une autre, puis encore une autre, comme si toutes ces années se volatilisaient jour après jour, comme s’il allait recouvrer son apparence normale, son âge normal…

Et ça, il ne peut le concevoir. Pour lui, mais surtout pour elle. Comment pourrait-elle aimer le vieillard qu’il deviendra au fil des mois, elle qui est tombée amoureuse d’un étalon de trente ans ?

Sa vie est un enfer, il ne peut se résoudre à la quitter. Mais il ne peut rester à ses côtés. Il ne peut accepter qu’elle découvre le subterfuge. Mais il n’a plus personne à offrir à son anneau.

Il n’y a qu’une seule personne qu’il peut sacrifier. Un seul être aimé.

Elle.

La sacrifier pour retrouver la jeunesse qui lui permettrait de la garder. Absurdité de ce choix impossible.

La quitter pour la préserver, et devenir tout ce qu’il hait. Dilemme abominable.

Son narcissisme prend le dessus. Il saisit son anneau et perd son bel amour en même temps que toutes ces rides qui avaient commencé à envahir son visage.

La douleur de la perte est indescriptible. Intolérable. Il se déchire à l’intérieur. Il meurt. Il est mort. Lui qui n’avait jamais pleuré, découvre l’amertume des larmes. Le voilà inconsolable. Il tente d’adopter l’adage « une de perdue, dix de retrouvées », habitué qu’il a été au jeu de la séduction et de la luxure. En vain. Elle lui manque. Il crève de ce manque. Et de culpabilité. Il l’a tuée. Par vanité. Par peur. Par absurdité. Elle l’aimait, elle aurait pu l’aimer abîmé. Il sort de chez lui, se laisse aborder par une multitude de femmes toutes plus belles les unes que les autres, mais ne ressent rien. Pas d’amour, bien sûr, mais point de désir non plus. Rien. Ses pas ne font que le mener au cimetière, où il passe des heures sur sa tombe, à crever de désespoir.

Il crève tant de douleur qu’il comprend que c’est tout ce qui lui reste à faire, crever. Crever pour ne plus mourir de tant souffrir.

Alors il jette son anneau, et attend la vieillesse, impatiemment.

La laideur.

Puis la mort.

Mais elle ne viendra pas.

La vieillesse vint.

La laideur vint.

Mais la mort tant espérée ne vint jamais.

Il n’avait pas suffisamment écouté : « un pacte, vous y gagnerez la beauté éternelle, mais il y aura des conséquences, pour chaque vœu que vous ferez, vous perdrez un être cher, et si à un quelconque moment vous regrettez votre choix, vous serez condamné à la vieillesse éternelle ».

Vieux, à tout jamais.

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