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Le silence de la campagne

Publié le 20 mai 2016 par Rolandbosquet

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      Visite d’un neveu et de sa compagne le temps du week-end. Elle est professeur d’allemand dans un lycée assez éloigné de leur appartement pour lui permettre de jouir à satiété des transports en commun. Il parcourt le monde pour vendre des logiciels conçus dans le cadre d’une start-up créée avec un ami. Internet exige parfois une présence humaine pour tourner rond et se développer. Après avoir stoïquement affronté les "ralentissements" qui pimentent régulièrement les transhumances des Parisiens vers la Province et suivi les recommandations plus ou moins fantaisistes de leur système GPS, ils abordent enfin mon courtil à l’heure de l’"apéro" en terrasse face au soleil couchant. Le bon air des arbres décape leurs poumons à coup de longs soupirs extatiques et le calme quasi monacal de la vallée les plonge dans un ravissement béat. Au point que le lendemain matin, devant sa tasse de thé du petit-déjeuner, elle ne trouve pas assez de mots enthousiastes dans son dictionnaire personnel pour décrire la douce quiétude qui a baigné sa nuit de sommeil. Je lui explique alors, au risque de la décevoir, que cette belle bolée de silence est trompeuse. La campagne transpire de milles bruits qui rythment son parcours nocturne. Outre les craquements, gémissements et autres complaintes de la charpente de ma vieille demeure, elle aurait pu goûter la sarabande échevelée du couple d’effraies qui a élu domicile dans les combles pour y nicher ses petits. La discrétion n’étant pas leur fort, le martellement de leurs pas sur le plancher n’a d’égal que le feulement éraillé et strident qui signale leur envol. Tenue ainsi en éveil, elle aurait pu entendre, venant des enclos voisins, des bêlements d’agneaux à la recherche de leur mère, les meuglements d’une vache isolée du troupeau qui s’ennuie loin de ses congénères, les aboiements rageurs d’un chien importuné par un chat en maraude et les réponses de ses compères en une joyeuse cacophonie qui gagne toute la région. Mais les matous ne sont pas les seuls à rôder sous le regard blafard de la lune. De nos jours, les noctambules n’enfourchent plus leur bicyclette pour gagner la discothèque. Elle aurait pu endurer les ronflements hargneux de moteurs trop sollicités qui déchirent souvent la nuit jusqu’à laudes sinon même jusqu’à prime. Elle n’aurait pas manqué alors d’apprécier à sa juste valeur la fringante mélodie interprétée par les cloches de l’église du village invitant le mécréant à se repentir avant de s’engager dans une nouvelle journée. Mais une pause s’instaure malgré tout lorsque l’aurore effleure les courbes alanguies des collines. Comme si la nature s’interrogeait soudain. Le vent d’ouest va-t-il se renforcer ou s’assoupir doucement ? Les quelques nuages boursouflés comme des angelots saint-sulpiciens qui agrémentent l’azur vont-ils se dissoudre ou gonfler comme des baudruches de kermesse et apporter la pluie ? Le soleil printanier adoucira-t-il l’air encore frisquet ou se contentera-t-il des "normales saisonnières" en dépit du réchauffement climatique ? La brise matutinale laisse pour l’heure la place à un léger murmure qui fait frémir les charmilles et danser les fragrances d’aubépine et de lilas qui sourdent des palisses. Séduits, les écureuils sortent de leur cache en quête d’aventures romanesques. Les lapins désertent leur rabouillère pour batifoler gaiement entre les ajoncs et les touffes de marjolaine. Les ramiers posent pied à terre et se gavent de gouttes de rosée aux parfums de menthe sauvage et de serpolet. Et les chats miaulent derrière la porte en attente de leurs croquettes avant de se lancer dans une longue toilette suivie d’une sieste réparatrice. Mais quand se dessineront les premières ombres, les merles envahiront la pelouse de leurs chamailleries, les pies reprendront leurs jacasseries qui ne cesseront qu’avec le soir, les tourterelles s’interpelleront inlassablement de chêne en châtaignier et les choucas s’envoleront à grands cris rauques vers le bourg pour prendre leur faction autour du clocher. En réalité, la nature ne connaît guère le silence. Mais elle n’a pas son pareil pour chasser de la tête les mille tracas du quotidien et y glisser une exquise sérénité qui laisse alors bien des choses à penser.

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