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Marge d'erreur

Publié le 03 juin 2016 par Rolandbosquet

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      Certes, en ce moment, le jardinier redoute surtout les débordements du fossé communal sur ses plates-bandes, la "mouillante" qui transforme ses massifs en piscine et les gouttières de son appentis qui débordent sur son parterre de bégonias. Mais la verrue brune au milieu de la pelouse au beau vert tendre représente aussi un véritable cauchemar. C’est qu’un monde innombrable et divers grouille sous l’impeccable tapis printanier. Les plus nombreux, les insectes fouisseurs, y creusent un inextricable réseau de galeries pour se procurer leur nourriture. Ils sont, à cet égard, de précieux auxiliaires naturels en aérant la terre, en l’enrichissant et en apportant au gazon les nutriments indispensables à sa pousse ferme et régulière. Mais leur trop grande prolifération deviendrait rapidement néfaste sinon même funeste. La nature a donc invité les taupes à y faire régner l’ordre. Lesquelles taupes creusent évidemment leurs propres tunnels pour accéder elles aussi à leur garde-manger. Elles sont en effet d’habiles mineurs de fond et conjuguent la maîtrise des meilleurs ingénieurs pour l’agencement de leurs abris souterrains et la dextérité des excavatrices les plus performantes pour les forer. Il leur faut cependant à un moment ou à un autre se débarrasser des excédents de terre. Elles n’ont alors d’autre recours que de l’amonceler çà et là en petits monticules qui viennent ainsi ponctuer de taches marron la monotonie des moquettes gazonnées. Certaines années fastes, l’altitude des courtils de banlieue peut ainsi gagner quelques centimètres. Faussant d’autant les mesures savantes effectuées par les satellites les plus perfectionnés. Comme les taupes, les korrigans, les lutins et les farfadets, l’homme a lui aussi toujours été séduit et attiré par les grottes et les cavernes aux dédales protecteurs. Au point de dessiner parfois sur leurs parois ses listes de courses. Puis il en est venu tout naturellement et à l’image de ces travailleurs chtoniens à se faire porion lui-même pour extraire des profondeurs les minerais indispensables à la fabrication de ses outils et de ses armes. Mais en inventant la roue et la traction animale, il s’est bientôt vu contraint de tracer des routes en surface pour se déplacer rapidement. L’Histoire rapporte que les centurions romains se révélèrent ainsi de brillants cantonniers. Mais s’ils savaient jeter des ponts pour franchir les rivières, ils se contentaient la plupart du temps de suivre benoîtement les dénivelés des collines. Lorsque le train fut mis sur ses rails, il fallut recourir, comme au temps de Cro-Magnon, au traditionnel tunnel. La moindre hauteur est désormais évaluée avec convoitise par les compagnies foreuses. Elles ont saturé de labyrinthiques entrelacs le sous-sol des grandes villes, relié des continents en dépit des dérives géologiques et, bien sûr, traversé les montagnes. Leur dernier exploit en la matière vient d’être réalisé sous le mont Saint-Gothard en Suisse. Le défi le plus colossal ne fut pas tant alors, comme pour les taupes, de transporter les milliers de tonnes de gravats. Ce ne fut guère qu’une question de pelles et de brouettes. Il fut surtout dans le calcul du tracé lui-même. Comment faire se raccorder deux percées distantes de 57 km sans que la marge d’erreur ne dépasse pas quelques centimètres ? En dépit de toutes les précautions que je ne manque jamais de prendre et en dépit de contrôles répétés de mes mesures dans un sens comme dans l’autre, il m’arrive régulièrement de me tromper. Les géomètres suisses, eux, ont brillamment vaincu la difficulté. On voit par-là combien est immense le génie de l’Homme. Pourquoi alors ne produit-il pas les mêmes effets avec les mesures gouvernementales pourtant beaucoup plus simples comme, par exemple, l’élaboration d’une loi d’aménagement du code du travail ou d’un examen du permis de conduire ? Voilà un mystère qui laisse bien des choses à penser. 

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