Magazine Journal intime

Les envahisseurs

Publié le 17 juin 2008 par Corcky





Tu connais forcément le générique d'une certaine série culte, dans laquelle David Vincent se paume comme un con en rase campagne et tombe nez à nez avec des playboys en costumes moule-bite venus envahir la Terre en levant le petit doigt comme des crétins de buveurs de thé britanniques.
A la fin du générique sus-nommé, la voix off sépulchrale tout droit sortie d'un show radiophonique des années quarante martèle avec emphase: "Maintenant, David Vincent sait que les envahisseurs sont là, qu'ils ont pris forme humaine et qu'il lui faut convaincre un monde incrédule que le cauchemar a déjà commencé".
Bon.
Ben David Vincent, il peut bien aller se rhabiller, parce qu'à côté de ce que je vis au quotidien, ses petite blagounettes assaisonnées de soucoupes volantes accrochées à des câbles, c'est de la bouillie pour infirme moteur cérébral.
Moi je te fais le remake des Envahisseurs, quand tu veux, du lundi au vendredi, à n'importe quel moment de la journée, et c'est aussi facile que d'écrire "lol" sur le forum de discussion des fans d'Hélène Ségara.
Imagine que tu disposes d'une infirmerie relativement spacieuse, faisant également office de bureau.
Imagine que cette infirmerie dispose d'une armoire à pharmacie fermée à clés, dans laquelle tu entreposes quelques trucs de première nécessité.
Imagine encore que cette pharmacie soit en théorie réservée à tes patients, c'est-à-dire aux gars un peu paumés et mal rasés que le Foyer dans lequel tu bosses est habilité à héberger.
Bien.
Maintenant, imagine-toi entouré d'une faune professionnelle parfaitement classique, dont je t'ai déjà un peu parlé ici et là.
Et  c'est là que ça se rapproche d'un mauvais film de science-fiction.
Parce que si David Vincent vivait dans une trouille perpétuelle des Envahisseurs, moi je baigne dans la parano la plus complète à cause des Emmerdeurs avec qui je travaille.
Les Emmerdeurs, au premier abord, tu pourrais penser que ce sont des gens que j'apprécie particulièrement, rapport au titre de mon blog et à mon propre surnom.
Que nenni, ami lecteur.
Oncques ne fus liée à icelles, non plus qu'à iceux, vil manant.
Les Emmerdeurs sont mon cauchemar.
Ma Némésis.
Le furoncle dans mon nombril.
Le poil rétif sur mon menton.
Et en plus, comme le mec possédé que Jésus a exorcisé dans sa grotte à chèvres, les Emmerdeurs, on les appelle Légion, parce qu'ils sont beaucoup.
Et tu les retrouve partout, quelle que soit la boîte dans laquelle tu bosses, pour peu que tu sois l'unique blouse blanche du coin.
C'est lié à la fonction, sans doute.
La blouse blanche, même virtuelle, attire les Emmerdeurs.
Bien sûr, tu as plusieurs catégories d'Emmerdeurs, leur seul point commun étant de posséder, quels qu'ils soient, un majeur raide comme la Justice, impossible à plier, qui leur donne l'air d'être perpétuellement en train de te suggérer d'aller te faire mettre.
Les Emmerdeurs Faucheurs, par exemple, débarquent dans ton bureau sans frapper.
Ils entrent avec l'assurance et l'aplomb d'un gladiateur qui pénètre dans l'arène avec la certitude d'exterminer absolument tout le monde sans difficultés.
Leur démarche est toujours ferme et conquérante.
Sans même t'en demander la permission, ils s'emparent de la clé de la pharmacie, précieux Sésame en principe planqué dans ton tiroir le moins exposé, puis après un demi-tour quasi militaire, ils se dirigent droit vers l'objet de leur convoitise, l'ouvrent, te délestent d'une tablette entière de Paracétamol, referment, rangent ta clé, t'adressent leur sourire le plus innocent, et se contentent de te balancer joyeusement:
- Tu permets? J'ai un petit mal de crâne persistant, là.
Et pfuiiit!
Ils disparaissent.
Dans une version un peu plus pathologique, tu as les Emmerdeurs à Psychotropes, et ceux-là ne te piquent pas le Doliprane mais le Lexomil, le Temesta ou le Tranxène, et se contentent de grogner vaguement:
- Chuis un peu stressé.
Alors que tu vois bien, au premier coup d'oeil, qu'ils sont à peu près dans l'état du jeune Hannibal Lecter peu de temps avant qu'il ne dévore le foie de son contrôleur du fisc.
Mais c'est pas tout.
Après les Emmerdeurs Faucheurs, tu risques, à un moment ou un autre, de te retrouver confronté à un emmerdeur Squatteur, et celui-là est pire, si tant est que ce soit possible.
L'emmerdeur Squatteur commence sa parade emmerdante de la même manière que le précédent, c'est-à-dire qu'il entre sans frapper.
S'il te voit en train de bosser, rassure-toi, à aucun moment il ne lui viendra à l'esprit que peut-être, éventuellement, va savoir, il te dérange un tantinet.
D'ailleurs il se gardera bien de te poser la question.
L'emmerdeur Squatteur ira directement s'asseoir en face de toi, un sourire triomphant aux lèvres, et ne passera pas par la case "comment vas-tu", ni par celle des autres politesses d'usage.
Au lieu de ça, l'Emmerdeur Squatteur, qui n'en a strictement rien à foutre de ta gueule, commencera à te raconter absolument tout ce que tu n'as surtout pas envie de savoir sur lui (ou elle).
- Eh j't'ai pas raconté? Nan? Putain attends, faut que j'te raconte! Tu te souviens de Paulo? Le mec qui me faisait kiffer grave l'autre soir quand j'étais allée au cinoche avec Gudule? Eh ben figure-toi qu'hier, il m'a envoyé un SMS. J'te dis pas comment j'étais stone! Alors moi, tu penses bien, même pas je lui réponds, quoi, je le fais mariner, tu connais les mecs...
- ....
- Ok, c'était une question idiote. Enfin bref, finalement je lui envoie un texto mais pas trop sympa, tu vois, genre, la fille qui n'en a rien à cirer, quoi.
- ....
- Au fait, je t'ai dit que Kévin m'avait rappelée? Quel con. Tu sais ce que je lui ai dit?
- ....
- Non, parce que tu vois, Stéphane, il est bien gentil, mais quand même, faut pas trop me prendre pour une conne, non plus!
- ....
- Là, je réponds à Jean-Claude que franchement, s'il n'a pas l'intention d'aller plus loin, c'est même pas la peine de me rappeler, tu vois?
- ....
- T'a pas cinquante centimes pour la machine à café?
Et c'est pas fini.
Tu as aussi les Emmerdeurs Hyponcondriaques, qui partagent avec toi la phobie hystérique du cancer, et qui sont susceptibles de débouler dans ton infirmerie n'importe quand, déjà à moitié à poil, les yeux hagards, la trouille au ventre, exhibant un unique bouton d'acné un peu purulent, et te pressant fébrilement de leur faire un diagnostique complet, là, maintenant, tout de suite.
- T'as déjà vu un truc comme ça? Chuis allé sur Internet hier, ils disaient que ça pouvait être un symptôme de la syphilis, ou le début d'un mélanome, ou un signe avant-coureur du SIDA, t'en penses quoi? Tu crois que c'est grave? A ton avis? T'as pas un truc à mettre dessus, si ça se trouve c'est une métastase cutanée, putain je savais bien que j'aurais dû arrêter la clope, merde merde merde!
Et je ne te parle même pas des Emmerdeurs allergiques à l'informatique, qui oublient souvent que tu es infirmière de formation et te confondent avec la hotline de chez Microsoft, sans compter les Emmerdeurs "Courrier du Coeur" (qui te prennent pour "Allô Macha" et viennent te demander ton avis sur leur dernier échec amoureux), et même les Emmerdeurs qui s'emmerdent, et viennent perdre un peu de temps à te faire chier pour ne pas être tout seuls à s'emmerder.
Alors là, tu vois, j'ai fort envie de passer une espèce de message collectif.
Une sorte de supplique virtuelle, un genre de prière électronique qui ira sans doute se perdre dans les limbes pixelisées du réseau mondial.
S'il vous plaît.
Arrêtez de venir taper dans mes médocs comme si vous étiez aussi fauchés que les gars dont vous vous occupez. Si vous avez mal au crâne, payez-vous une putain de boîte de Paracétamol à deux euros.
Arrêtez de prendre mon bureau pour un moulin, pour le dernier salon où l'on cause, pour l'annexe des Folies Bergères, pour la salle de rédaction du journal Parents, pour le Bois de Boulogne ou pour votre trou du cul.
Arrêtez de me raconter vos vies, vos rencontres, la taille de la bite de votre dernier petit copain ou celle des nichons de votre enième conquête, ou comment votre petit dernier a fait sa première chiée dans le pot.
Je suis infirmière, pas psychiatre, ni conseillère conjugale.
Si ça vous démange au point de me pourrir la vie et de me pousser régulièrement à bout, faites comme le Français Moyen, ouvrez un blog.
Quant aux membres actifs, passifs ou simples sympathisants de la Communauté de l'Âne O qui ont passé trois jours à flooder mon blog comme une belle bande de salopards, ce sont, de loin, les pires de tous.
Parce que la plupart d'entre eux a déjà un blog.
Et là, ça va chier.


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