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My eye begins to be obscured

Publié le 12 juillet 2016 par Les Alluvions.com

Dans "Nul encore n'a dit" une autre paire d'yeux nous propose l'énigme de sa transparence :

Ce regard est celui de l'écrivain argentin Jorge Luis Borges, qui devint progressivement aveugle à partir de sa jeunesse. Quant au poème de Sebald au-dessus, il évoque un certain Joshua Reynolds, qui me fit aussitôt penser à Christian Garcin. N'était-ce point le personnage-clé de son dernier livre ?

Si je pensais à Christian Garcin, c'est aussi parce qu'il a écrit un livre sur et autour de Borges, dont j'ai rendu compte ici même en octobre 2012 ( La coïncidence faramineuse). Dans ce livre, Sebald était lui aussi souvent présent, à travers notamment le motif obsessionnel de la coïncidence.

My eye begins to be obscured


En fait je me trompais : le dernier roman de Christian Garcin (que je n'ai donc pas encore lu), s'intitule Les vies multiples de Jeremiah Reynolds.

My eye begins to be obscured


De Joshua à Jeremiah, il n'y avait qu'un pas que j'avais allègrement franchi. Il reste que cet apparentement n'est peut-être pas anodin. Pénétrer dans les deux biographies m'a réservé quelques surprises. Commençons donc par Jeremiah. Et pour cela je vais m'appuyer sur"Une aventure au creux des pôles" une critique du livre dans L'Humanité du 10 mars 2016, par Alain Nicolas : "Pionnier en Antarctique, colonel des Mapuches, chasseur de cachalot, Jeremiah Reynolds, entre Poe et Melville."

" John Cleves Symmes Jr n'est pas Jeremiah Reynolds, mais tout se passe comme si, dans les " vies multiples " de ce dernier, il y en avait une qui venait avant toutes les autres. Tout commence avant le commencement, avec le capitaine John Cleves Symmes Jr, qui montra toute sa valeur lors de la bataille de Queenston Heights, au bord du Niagara, où la jeune armée des États-Unis fut défaite par les Britanniques. Ce même jour de novembre 1812, Napoléon franchissait la Berezina, laissant derrière lui des milliers de cadavres.

Les deux événements ne sont pas sans rapports, puisque Christian Garcin leur en trouve un. Rapport stratégique ténu, mais, historiquement, ce hasard n'en est pas un : il signe une chronologie du nouveau monde, connectée à celle de l'ancien, et cependant autonome. Du Niagara à la Terre de Feu, espace, temps, art de la guerre, tout est différent. Tout est rêve, projet, récit." [C'est moi qui souligne]

Nous retrouvons ici à la fois le thème du hasard (qui n'en est pas un) et la figure de Napoléon, apparue avec l'histoire du reliquaire de Vivant Denon. Poursuivons la lecture de l'article :

" Voilà pourquoi John Cleves Symmes Jr ouvre ces pages. Brillant officier, il est surtout un rêveur, de ces adeptes des théories de la " terre creuse ", dont l'intérieur abrite un soleil et une gamme complète de grands initiés et maîtres occultes. Reste à trouver l'entrée, que Symmes, dans son romanSymzonia, situe comme il se doit aux pôles. C'est là que Jeremiah Reynolds fait son entrée. Échappé à un destin de terrassier et bûcheron, il s'associe un temps avec l'ancien capitaine, agite politiciens et mécènes, monte une expédition et devient le premier homme à poser le pied sur un nouveau continent, l'Antarctique."

Il ne faut pas croire que ces spéculations soient désormais totalement discréditées : j'ai personnellement rencontré voici une vingtaine d'années une personne tout à fait respectable qui ajoutait foi à cette théorie de la "terre creuse" ( Hollow Earth). Et l'on peut trouver aisément sur le Net des sites qui vous invitent à entrer dans les " polars openings ": Our Earth is Hollow, par exemple. Certains sectateurs bien informés auraient même prétendu qu'Adolf Hitler et quelques nazis rescapés se seraient carapatés en empruntant une entrée située dans l'Antarctique, voire au Pôle Sud. Une idée recyclée par Umberto Eco, dans son livre Le pendule de Foucault, où il mentionne l'existence d'une société secrète proche des nazis, adepte de la théorie de la terre creuse et recherchant l' Agartha (royaume souterrain relié à tous les continents de la Terre par l'intermédiaire d'un vaste réseau de galeries et de tunnels). Le sujet, comme on voit, est riche, mais nous éloigne légèrement de notre visée première.

Revenons à nos Reynolds. Qu'en est-il maintenant de Joshua ?

Ce n'est pas un aventurier, et sa vie n'est pas multiple comme celle de Jeremiah, non, Joshua Reynolds est un peintre britannique qui s'est illustré dans le portrait et l'auto-portrait. Il fut le premier président de la Royal Academy of Arts, et compta Turner parmi ses élèves. Le poème de Sebald fait référence à la perte de la vue de son œil gauche en 1789. Il meurt à Londres trois ans plus tard, en février 1792.

J'étais jusque là totalement ignorant, je l'avoue, de l'existence de ce peintre. Or, hier soir, poursuivant la lecture du robuste ouvrage de Bernard Lahire, ceci n'est pas qu'un tableau, essai sur l'art, la domination, la magie et le sacré, (sur lequel je ne manquerai pas de revenir un de ces jours), je lis dans une note de bas de page : " Parlant de l'exposition des œuvres de Joshua Reynolds par la British Institution, en 1813, Francis Haskell écrit que, "jamais encore, dans aucun pays, on n'avait proposé de célébrer ainsi l'œuvre d'un maître disparu"(...). L'année suivante, la même institution proposa d'exposer les meilleurs tableaux des maîtres anciens flamands et hollandais. (...)"(p. 294)

Bernard Lahire souligne ensuite que, " comme toute entreprise publique, l'exposition a un effet légitimant sur les artistes qu'elle met en valeur. Elle peut augmenter, dans certains cas d'artistes en voie de consécration historique, la valeur (esthétique et économique) et l'intérêt qu'on porte à des oeuvres. En ce sens, l'exposition n'est jamais une simple vitrine, une mise en visibilité d'une légitimité déjà acquise par ailleurs : elle est aussi un tremplin, un acte performatif qui crée en tant que tel de la valeur. F. Haskell remarque, par exemple, que l'exposition consacrée par la British Institution à Joshua Reynolds en 1813 draine beaucoup de monde et produit un effet notable d'augmentation du prix des œuvres de l'artiste."

Remarquez la date : 1813.

Dans mes recherches googlisantes et qwantiennes (de Qwant, moteur de recherche français lancé en 2013, qui évite le traçage de vos données), j'étais tombé par sérendipité sur un texte de Christian Garcin, encore lui, Sebald, coïncidences en miroir, qu'il avait rédigé à propos de Vertiges, autre chef d'œuvre de l'auteur allemand.

Après avoir évoqué Borges, désigné comme "l autre maîtree jeu complexe des symétries, renvois et coïncidences m'est plus clairement apparu": des jeux de miroirs, coïncidences et indices disséminés au fil de la narration", Christian Garcin précise que c'est à la seconde lecture de Vertiges que "

"Le premier texte met donc en scène le jeune Stendhal, qui n'est jamais nommé ainsi mais par son nom de Marie-Henri Beyle, à Riva, Vérone et Venise en 1813. Le troisième texte nous montre Franz Kafka, qui n'est jamais nommé ainsi mais par son titre suivi de son initiale, le Dr K., à Vérone, Venise et Riva en 1913, soit un siècle plus tard exactement. [...]

"
Une intéressante étude de Ludovic Burel dans la revueTextimage nous apprend que Sebald a tiré la quasi totalité des images illustrant le chapitre, soit onze images sur treize, de l'Album Stendhal

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