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Bain de lune. Yanick Lahens. (Chronique du 31 janvier 2015)

Publié le 16 août 2016 par Rolandbosquet

lahens

      « Dans toute cette histoire, il faudra tenir compte du vent, du sel, de l’eau et pas seulement des hommes et des femmes ». Le " Bain de lune " de Yanick Lahens entraîne d’emblée le lecteur dans l’autre monde d’un Haïti torturé et humilié depuis que les franginens (nés en Afrique) sont arrivés sur l’île. Un monde d’hommes et de femmes qui doivent affronter leur propre histoire faite de misère, de luttes contre et avec la terre avare, la mer et sa fureur, les dieux vaudous, les ancêtres toujours présents et leurs vieux démons coutumiers. Un monde où les rivalités des familles sont le quotidien, le passé et l’avenir de ceux qui restent au village. Même si les violences des hommes qui attendent celles et ceux qui partent à la grande ville sont certes autrement plus terribles Mais un monde aussi où c’est surtout l’opiniâtreté des femmes qui construit comme toujours la destinée de tout un peuple. Comme partout, les pauvres, ceux qui ne mangent pas toujours à leur faim, vivent sous la coupe des puissants, des riches propriétaires, des commissaires et autres directeurs de tout qui portent le Pouvoir. Le seigneur du lieu trousse allègrement les femelles de sa contrée et plus loin encore et propage sa semence sans compter. Ainsi se créent au fil des années des liens indéfectibles entre les générations. Du haut de ses seize ans, la jeune Olmène, fille d’Hermancia et d’Orvil fils de Bonal fils de Lafleur, succombera mi consentante mi fataliste au regard et à la gourme de Tertulien, le maître, descendant de la riche famille des Mésidor. Envoûté, celui-ci l’établira, comme ses autres femmes-jardin, sur un lopin de terre, une maison en dur, une vache et un cochon, trois robes et des chaussures. La lutte des pauvres et des riches prend alors un cours dramatique avec l’arrivée au pouvoir de l’homme au chapeau noir et aux épaisses lunettes. L’ouragan portera la tragédie à son paroxysme. Nul au-delà des montagnes n’en aurait jamais rien su si, au troisième jour de la tempête, une naufragée échouée à demi-morte sur la plage ne revivait ces jours de sang. Avec ses mots, ses images et ses expressions bien éloignées de la sèche intelligence ou du savant débraillé de nos auteurs germanopratins, elle raconte. La vie et la mort ne tournent pas, ici, autour du nombril des protagonistes. Ceux-ci se battent réellement avec la dureté des jours et des nuits, la douleur et les plaisirs, la faim et les sentiments qui tordent les ventres, les rêves et les espérances. « Vivre et souffrir sont une même chose » constate l’héroïne. Elle rejoint par un singulier raccourci la sagesse désabusée de Robert Coublevie, l’homme qui marche d’Yves Bichet, lorsqu’il observe que « penser à l’amour est la meilleure manière de souffrir ».Un livre de chevet à lire et à relire à petites gorgées. Pour en goûter toute la saveur.  ("Bain de lune", Yanick Lahens, Sabine Wespieser éditeur)


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