Magazine Journal intime

Au nom du père (le fils et le Saint Esprit, eux, sont au bar)

Publié le 19 juin 2008 par Corcky



Marrant comme les évènements, parfois, se télescopent comme des boules de billard, sans que tu aies rien vu venir, et finissent, après une bonne dizaine de rebonds complètement bordéliques,  par former quelque chose d'à peu près identifiable.
Si je te dis que je suis en train de terminer un excellent bouquin de Jean-Paul Dubois, que je pars en vacances à Cuba  et qu'aujourd'hui,  je me suis longuement attardée sur le blog de Kanou et MaB, tu commences par penser que j'en branle décidément pas une, et que mes journées sont à peu près aussi remplies que le panier de la ménagère en ces temps de flambée des prix (enfin, la ménagère de Sarcelles, hein, pas celle de Neuilly sur Seine).
Mais si je te précise que je lis le bouquin le soir avant de pioncer, que le voyage à Cuba est dans deux mois, et que je lis les blogs des potes entre deux patients hystériques et pas lavés, peut-être que tu mets un peu d'eau dans ton vin et que tu te dis que finalement, je suis juste une bouffonne moyenne.
Un peu comme toi, oui, voilà.
Quoi qu'il en soit, le bouquin s'appelle "Si ce livre pouvait me rapprocher de toi", l'article de Kanou s'intitule "De mon paternel" et si je vais à Cuba, c'est quand même bien pour remonter un peu aux sources de ma génétique personnelle, aussi tordue soit-elle.
Tout ça pour te dire qu'il est pas mal question de pères, en ce moment.
A ce propos, j'ouvre une parenthèse et je te conseille vivement le bouquin sus-nommé de Jean-Paul Dubois, c'est de la balle, mais je vais pas en faire la critique ici, parce que ma femme est cent fois plus douée que moi pour chroniquer un livre et te donner envie de le lire. Ma femme, elle est à la littérature ce qu'Alain Ducasse et Bernard Loiseau sont à la grande cuisine, sauf qu'elle, elle ne prostitue pas son amour des romans pour du flouze, et le jour où elle fera de la pub à un auteur en échange d'un gros chèque, Carla Bruni sera certainement entrée au couvent et Jean Sarkozy aura choisi l'action humanitaire. Je referme la parenthèse, merci de ton attention. "Mon père, ce héros", donc.

Moi, j'ai longtemps eu envie de dire "mon père, ce zéro".

Je me suis longtemps dit, putain, padre, regarde-toi, tu te fais vieux, t'as trois gosses, trois ex-femmes et pas de famille, au bout du compte. Presque plus de potes, t'as réussi à faire le vide de ce côté-là aussi. Il te reste quoi? Un fils qui t'admire autant qu'il te hait, une grande, grande fille qui a choisi l'exil dans les pâturages suisses, et moi, qui n'ai pas choisi d'être là où je suis, mais qui remercie le Destin chaque jour de m'avoir fait pousser à Paris plutôt qu'à La Havane.  T'avais bien ce chien, ce petit roquet tout crade qui t'a suivi, un jour, dans la rue, et qui s'est installé chez toi...ce pauvre clébard qui prenait ta rancoeur et ton amertume dans la gueule quand, à défaut de pouvoir nous blâmer de tout, tu pétais un plomb en solitaire...Mais je viens d'apprendre qu'il t'a lâché aussi, en fin de compte, tumeur au cerveau, paraît que c'est l'âge. "Tumeur", "tu meurs"...alors, te vl'à tout seul? Avec ta Révolution qui part à vau-l'eau, à laquelle tu ne crois plus, et tes bouts de famille dispersés aux quatre vents...
On dirait qu'on ne parle pas la même langue, qu'on vit dans deux mondes complètement hermétiques l'un à l'autre.

- Dis donc, gamine, un peu de respect, bordel! C'est de cette paire de couilles, que t'es sortie, quand même!
- Ha! T'as raison d'être fier de ta microscopique contribution, tiens!
- Non mais, tu te prends pour qui? T'as pas de leçons à me donner!
- Nan, c'est vrai. Moi, j'ai pas fait trois gosses que j'ai jamais élevés.
- Vous n'avez jamais pensé à demander à vos mères pourquoi elles étaient parties?
- Tu crois vraiment qu'on avait envie d'entendre le remake de Kramer contre Kramer?

Et puis, ces derniers jours, j'ai pas mal repensé à lui, comme ça, sans l'avoir prémédité (t'en as beaucoup, toi, des pensées préméditées?).

Je me suis dit qu'en fin de compte, je ne savais pas grand-chose de lui. 

C'est vrai, qu'il a un ego plus haut que l'Empire State et qu'il s'est longtemps pris pour le nombril du monde. Qu'il a un caractère de merde, et qu'il l'aura sans doute jusqu'à la mort, même si l'âge a sur lui l'effet d'un comprimé de Novocaïne sur un abcès dentaire. Qu'il a longtemps été incapable de prendre soin de sa famille, parce qu'on ne peut pas à la fois essayer de combler tous ses désirs, et s'intéresser à ceux des autres.  Et puis après?

C'est un con. Bien sûr. Qui n'a pas dit ça, au moins une fois, de son paternel?
T'as qu'à voir ce que ma femme
écrit sur le sien, de vieux, quand ça chie dans le ventilo entre eux...
Mon père est sûrement un con, oui.
Un con de 65 balais. Tout seul et tout nu, aujourd'hui. Un con nu, quoi. En plus, il se traîne deux ou trois saloperies que le rhum et le tabac lui ont chevillé aux tripes aussi sûrement qu'une chaîne à son boulet.
C'est un mec qui a autant de mal à admettre ses propres conneries qu'à ne pas dramatiser celles des autres, selon le bon vieil adage de la paille et la poutre.

Mais. Un mec qui me prépare, chaque soir, quand je prends la peine de traverser l'Atlantique, un énorme milk-shake à la mangue avant d'aller dormir, comme si j'avais encore cinq ans. Un mec qui m'a emmenée aux urgences, y'a six ans, et qui a dormi assis sur une chaise pourrie toute la nuit, pendant que des médecins un peu bourrins me charcutaient dans tous les sens. Qui m'a raconté l'histoire de mon grand-père, ce salaud qui avait tout juste le courage de battre sa femme et ses mômes, et qui m'a dit, après son enterrement: "J'ai fini par faire la paix avec lui, en fin de compte, c'était mon père", quelque chose que je serais sans doute bien incapable de faire. Qui a des photos de moi plein sa chambre, sur les murs, sur les meubles, à tel point que ça en devient gênant chaque fois que je retourne dans la maison familiale. Qui dort par terre pour me laisser son lit, parce que c'est tout petit chez nous, et qui ne s'en plaint jamais. Qui m'a dit, après mon "coming-out" un peu trop rapide, de lui laisser "le temps de digérer"...et qui, ensuite, a toujours eu un petit mot gentil, un petit cadeau, pour mes copines de l'époque. Qui, après que j'aie mis fin à une relation pourrie de neuf ans, m'a calmement suggéré de "trouver la bonne, celle avec laquelle tu feras pas neuf ans, mais cinquante, contrairement à moi". Et qui, le jour où j'ai accepté de me faire un remake des Envoûtés de John Schlesinger, avec sang de poulet et patte de bouc, initiation afro-mystique et battements de tambours, m'a serrée dans ses bras en me disant, avec sa grosse voix d'ours:

- J'espère que cette cérémonie t'apportera la paix et l'équilibre qui m'ont toujours fait défaut, ma grande, et que tu ne passeras pas ta vie à regretter tes erreurs et à en payer le prix fort comme moi. Ouais, ça aussi, c'est mon paternel.

Je refusais de te résumer le bouquin dont je te parlais au début de ce billet un peu décousu, parce que j'ai du mal à chanter les livres, je préfère livrer mes chants d'emmerdeuse.

N'empêche que si tu le lis un jour, tu pigeras peut-être pourquoi, bizarrement, je ne mets pas à la place du héros, ce quinquagénaire en pleine crise existentielle qui se barre au Canada sur les traces de son paternel disparu.

Non, moi, de page en page, c'est mon vieux, que j'ai vu.

Et tu sais quoi?

Parce que je l'aime, ce dugland, cet imbécile maladroit, j'espère qu'il aura le temps de faire son propre trip intérieur, comme le personnage du roman, pour faire la paix avec le monde avant d'aller vérifier que le rhum est meilleur là-haut qu'ici bas.

J'espère.


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