Magazine Journal intime

Sus aux hommes à poils

Publié le 19 juin 2008 par Anaïs Valente
Dimanche.  Réveillées à l'aube.  5 heures pour Eugénie.  6 heures pour bibi.  Si c'est pas malheureux.  Une petite papote, encore, puis dodo à nouveau, jusqu'à 8 heures, c'est plus décent.  Re-papote.  C'est dingue ce que deux filles ensemble peuvent causer.  9 heures, direction la douche puis petit déjeuner.
Mmmmmmmmmmmmmmh, le petit déjeuner.  De tout de tout de tout : lard, œufs brouillés, œufs coque, viennoiseries en tous genres, fruits frais, salade de fruits pour les fades de mon espèce qui n'ont ni le temps ni l'envie d'éplucher quoi que ce soit un dimanche matin dans un quatre étoiles, céréales, charcuteries, fromages, thés, cafés, jus…  Nirvanesque.  
Opération "empiffrage".  Opération engloutissement de victuailles.  Le tout sous une verrière pleine de soleil.  Contrairement aux prédictions de Miss Météo, il ne nous quittera quasi pas de la journée.  Parfois pâlot, mais toujours présent.  
Ensuite, nous partons à la découverte de la seconde partie du centre, composée d'une piscine à 28 degrés (sont fous, 28 degrés, c'est frouaaaaaaaaaad), de tas de jacuzzis et d'un paquet de saunas, sans oublier la salle de repos, le bar à jus frais et l'espace bronzage naturiste perdu dans la verdure.
Passque oui, cette partie du centre est naturiste.  Bien sûr, Eugénie m'avait avertie "y'a une partie naturiste, pô grave ?"  Dans mon esprit petit petit petit, j'ai pensé "une partie", j'ai pensé "partiellement", j'ai pensé (enfin extrapolé) "à part"… Eugénie (filoute) ne m'a pas détrompée, que nenni.  Lorsque, après réservation, j'ai compris la réalité de ce qui m'attendait, il était trop tard.  J'ai alors repensé à ces fameuses 24 heures durant lesquelles j'avais "testé vivre nue chez moi", et me suis dit que ce serait peut-être l'occasion de "tester vivre nue au milieu d'autres nus".  Peut-être...
N'ayant jamais vécu l'expérience du naturisme de masse, je me sens à la fois impatiente et un tantinet effrayée.  Chuis pas du genre à croiser des hommes nus à chaque coin de rue, moi, encore moi des hommes nus inconnus.  
Mais quand faut y aller, faut y aller.
Alors on y va.
On commence soft en se dirigeant vers un grand jacuzzi entièrement vide.  Argh, homme nu à babord.  Prendre l'air blasé de celle qui a toujours été naturiste mais qui exceptionnellement, vu le froid extérieur, a revêtu un bikini (passque le naturisme n'est point obligatoire).  Ne pas regarder.  Surtout ne pas regarder.  Ne pas regarder.  Argh, mince, j'ai regardé.  Enfin, ce qu'il y avait à regarder, savoir une mini saucisse TV racrapotée de timidité.  De dos, ce n'est pas mieux : des fesses tristes.  Déception.  Où sont les apollons, les top models mâles, les potentielshommesdemavietoutnus ?
Ensuite, nous décidons de prendre des risques et d'aborder les autres jacuzzis, pleins de monde.  En maillot, le monde.  Ouf.  Installation.  Délectation.  Discussion.  (On ne change pas une équipe qui gagne).  Argh, homme nu prêt à l'abordage.  Ne pas regarder.  Ne pas regarder.  J'ai regardé.  Impossible de ne pas voir cette énooooooooooooooooorme chose qui se balance de gauche à droite, puis de droite à gauche, puis encore de gauche à droite.  Hypnotique.  Femme nue à tribord.  C'est l'invasion.  Homme nu assis, à demi-caché par un essuie vert, se gratte les coucougnettes avec délectation, à de nombreuses reprises, jambes écartées.  Homme nu couché sur le dos, lit son journal, jambes écartées également, service trois pièces étalé sur le transat.  Je ne vois plus que ça : des hommes nus partout.  Et gros.  Ventripotents.  Tous.  Rien de musclé.  Que du bedonnant.  Et s'ils sont emballés dans de grands essuies, mon imagination se met en branle (oups, mot mal choisi dans ces circonstances).  Je ne vois plus que des pervers autour de moi, mais ce doit être moi la perverse.  Eux sont juste naturistes, tout simplement.  J’ai la chanson « le zizi » en tête, pas moyen de m’en défaire.
Nan, vraiment, j'aime pas ça.  Le naturisme en solo sur ma terrasse, j'adhère.  Le naturisme parmi la foule, je boycotte.
Nous décidons d'oublier cet étrange épisode du séjour en nous offrant un petit lunch dans le complexe, en peignoir et mules, en bonnes curistes que nous sommes devenues.  C'est journée buffet.  Va pour le buffet : poissons, jambon de parme et melon (orgasmique, le melon), mousses, crudités, bonnes banalités.  Va pour le buffet de desserts : tarte au citron meringuée, tarte à la poire "frangipanée", soupe de fraises et rhubarbe, mousse à l'aspect étrange mais surmontée d'une framboise alléchante.  Evidemment, je n'en rate pas une : après avoir mangé la framboise, je réalise que la cuiller qui m'a été fournie pour la dégustation n'entre pas dans le tube contenant la mousse étrange.  Rires.  Le serveur rit aussi en m'apportant une autre cuiller.  Il rit moins en constatant par après que je n'ai pas mangé cette mousse au goût aussi étrange que son aspect.  Quant à la soupe de fraises et rhubarbe, je m'en suis servi une pleine portion.  A ras bord, comme on dit chez nous.  Sauf que la coupe est montée (exprès, va comprendre - paraît que ce serait pour un accès plus facile) de travers, ce qui fait que si je la dépose, tout coule… Qui a dit "la gourmandise est un vilain défaut" ?  En effet, un vilain défaut… j'ai trop mangééééééééééééé.  Pris deux kilos au bas mot.  Me sens obèse.  Suis obèse.
Après le repas, nous décidons d'éviter l'indigestion d'hommes nus et nous retournons sagement dans la partie non-naturiste.  Tranquille.  Safe.  Maillot addict moi y’en a être deviendue.
Et c’est reparti pour quelques heures de papote, d’observation et de planche.  J’ai choppé la planchite aiguë depuis la veille.  Donc je planche tant que je peux, forte de mon nouveau talent.  Puis je sors de l’eau afin de profiter des derniers rayons du soleil.
Et j’observe.  Eugénie aussi.
Deux hommes poilus comme des singes (ou des ours) profitent des jets massants. Ils forment un duo comique, de par leur pilosité assortie, mais surtout de par leurs statures mal assorties, à la Laurel et Hardy.  
Un homme s’inspecte consciencieusement l’épaule, puis se lance dans la chasse à quelque chose d’invisible qui s’y trouve : un poil rebelle ?  un bouton purulent ?  Je l’ignore, mais la chasse dure un temps fou.
Quelques tatouages égaient des peaux bronzées.
Un superbe torse me tourne le dos.  Je lui proposerais bien un massage.
Un bel homme semble triste.  Il va et vient dans la piscine, perdu.  Je croise à plusieurs reprises son regard et j’en frémis d’émotion.  Et si j’allais lui parler, un peu comme dans un roman photos « vous avez l’air bien triste, puis-je vous aider ? », « je me sentais seule jusqu’à cet instant, mais maintenant tu es là, mon amour ».  Oui, bon, c’est comme ça dans les romans photos, je le sais, na.
Soudain, le temps se fige.  « Ils sont plus de deux mille et je ne vois qu’eux deux », disait Jacques Brel dans « Orly ».  Ici aussi, nous ne voyons plus qu’eux deux.  Ils sont bruns.  Ils sont beaux.  Ils sont dans l’eau, à un mètre l’un de l’autre, et pourtant on les sent tellement proches, comme soudés.  Ils se rapprochent.  Lentement.  Très lentement.  Ces secondes semblent durer des heures.  Figer le temps.  Comme un ralenti vraiment très ralenti.  Il arrive enfin à sa portée.  Lui embrasse doucement l’extrémité du nez.  S’éloigne.  Se rapproche.  Effleure ses lèvres.  S’éloigne à nouveau.  Elle passe ses mains autour de son cou et ils entament un long baiser langoureux.  Long.  Et langoureux.  Vraiment très long et très langoureux, au milieu de la piscine, au milieu des nageurs, en public.  Ni Eugénie ni moi ne parvenons à les quitter des yeux.  Nous échangeons un petit regard complice, un bref instant.  La sensation est la même.  Nous nous comprenons.  Nous avons compris.  Il se dégage d’eux une sensualité, un érotisme incroyable pour une scène si banalement banale.  L’amour se ressent et se diffuse comme une onde de choc.  Le baiser s’arrête, mais leurs regards ne parviennent à se détacher.  J’ai des frissons.  Eugénie a des frissons.  C’est beau comme dans une comédie romantique.  Je n’ai jamais ressenti ça de ma vie en observant un couple échanger un baiser.  Soudain, elle le regarde encore plus intensément et murmure “je t’aime”, de façon inaudible, mais ses lèvres ne me trompent pas.  Il répond par quelques mots incompréhensibles.  Ils continuent encore à se regarder.  Puis, ils s’en vont, et nous restons, Eugénie et moi, en état de choc, après ce morceau de vie involontairement partagé et si prenant.  Si passionnant.  Si... excitant.  Nous faut un homme, là, de suite.  Un homme à embrasser de la même manière.  Un homme à qui dire « je t’aime » avec un tel regard.  Elle devra attendre 22 heures pour retrouver le sien... mais je soupçonne qu’il subisse les représailles érotiques de cette scène d’amour improvisée.  L’émotion et les rires se mélangent, à l’idée des retrouvailles de 22 heures...
Il est maintenant temps de partir.  De regagner notre petite vie, métro, boulot, dodo, marmots.
Après cette parenthèse enchantée.
C’est clair, ce n’est pas un adieu.  Mondorf, prépare-toi, on reviendra.
(Photos de reproductions géantes de cartes postales anciennes, prises dans le parc, à l’occasion de l’expo pour les vingt ans de Mondorf)
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