Magazine Humeur

La petite semaine du professeur Blequin (21)

Publié le 13 novembre 2016 par Legraoully @LeGraoullyOff

05-08-Siné

LUNDI 7 NOVEMBRE

– Bonjour, madame Kervella.

– Bonjour, professeur ! Vous allez bien ?

– Ça va, mais je ne me suis jamais senti aussi européen que depuis cette semaine !

– Rôôôh, ne pensez plus à ça ! Tenez, je vous offre un vin rouge… Parlez-moi plutôt de votre escapade à Montélimar : c’était bien ? Vous n’avez pas mangé trop de nougat ?

– Le nougat, le nougat… On ne retient que ça ! C’est très réducteur : saviez-vous qu’on trouve à Montélimar l’un des rares palais romans du Xe siècle à avoir été conservés comme tels ? Oui, le château des Adhémar, qui avait été bâti par la famille dont il porte le nom, était bien un palais au sens plein du terme et non pas un château fort. Il faut dire que les Adhémar étaient des seigneurs territoriaux, ce qui veut dire qu’ils étaient maîtres sur leurs terres et n’avaient de compte à rendre à aucun autre souverain !

– Ah bon ? Alors, si je vous suis bien, au moyen-âge, la France n’était toujours pas unifiée ?

– Eh bien non ! La « patrie éternelle », c’est de la couille ! Les patriotes nous prennent pour des cons !

– Ça, je m’en doutais déjà un peu avant ! Vous avez fait bon voyage, pour le retour ?

06-9

MARDI 8 NOVEMBRE

– Ben ça a été long : il y a quand même sept heures de route entre Brest et Montélimar, sans compter le changement à Paris ! Mais ça m’a laissé le temps pour faire quelques observations : ainsi, dans le train, j’ai pu assister à une scène de contrôle des titres de transport qui m’a franchement navré…

– Encore un type qui voyageait sans billet ?

– Même pas : c’était un jeune homme qui avait son ticket mais pas la carte de réduction avec laquelle il l’avait acheté ; il pensait qu’une photocopie suffirait. Alors le contrôleur lui a demandé de régler le surplus en lui promettant qu’il serait intégralement remboursé dans n’importe quelle gare sur simple présentation de sa carte…

– Alors tout va bien ?

– Ben non : il ne pouvait pas payer vu qu’il n’avait pas de liquide et que sa carte bancaire était bloquée ! S’il avait pris une carte de réduction, c’est qu’il y avait une raison !

– Ah. Alors il a été mis à l’amende ?

– Ben oui ! Quant au remboursement, il l’aura dans l’os si jamais il a eu la mauvaise idée de jeter son billet à la poubelle dès la descente du train comme le font machinalement beaucoup de gens…

– Mais pour se faire rembourser en voyage, il FAUT présenter le titre de transport !

– Je sais, mais ça, les contrôleurs se gardent bien de le dire ! Le même gag m’était arrivé quand j’étais étudiant… C’est la taxe sur la misère ajoutée, quoi !

sncfn

MERCREDI 9 NOVEMBRE

– Et votre séance de dédicaces au Tudor, ça s’est bien passé ?

– Ça s’est passé. On n’a pas eu grand’ monde : organiser ça en semaine n’était pas une très bonne idée. Enfin, on a quand même réussi à vendre deux exemplaires, ce qui n’est pas si mal vu le calme qui régnait dans le bar, dont un à une ressortissante britannique.

– Encore une qui se dépêche d’importer des produits français avant que l’Angleterre redevienne une île ! Ah ! Ah !

– …

– Vous n’arrivez toujours pas à rire du repli identitaire, hein ?

– …

– Bon, d’accord : vous voulez qu’on parle littérature ?

Les patrons du Tudor vu par votre serviteur.
Les patrons du Tudor vu par votre serviteur.

JEUDI 10 NOVEMBRE

– Je veux bien : j’ai terminé Insieme per siempre, le premier roman de Sam Valdez.

– C’est bien ?

– C’est une belle histoire d’amour touchante, qui se passe entre la France et l’Italie en 1972… Il n’y a qu’une fausse note : là où certains jeunes écrivains ont tendance à tirer à la ligne, cette jeune romancière, elle, fait tout le contraire. Je veux dire qu’elle « comprime » son histoire : elle raconte beaucoup de choses en très peu de pages, ce qui procure au lecteur le même effet qu’une valise bourrée au-delà de ses capacités et dont le contenu vous saute à la figure quand vous l’ouvrez. L’action aurait gagné à être un peu plus « délayée » si vous voyez ce que je veux dire. Mais bon, l’auteur est encore jeune et elle est sur la bonne voie. Son style est très cinématographique : pour tout vous dire, je ne pouvais pas m’empêcher d’imaginer la mère de son héroïne avec la tête de Jamie Lee Curtis !

51znqr0uabl

VENDREDI 11 NOVEMBRE

– Vous m’en direz tant ! Et qu’est-ce que vous avez fait de votre 11 novembre ?

– Il ne fallait surtout pas me parler de patriotisme : j’ai participé à un vide-grenier.

– Ça s’est bien passé ?

– Ça aurait été parfait si ma voisine ne m’avait pas fait un caca nerveux sous prétexte que j’avais mordu d’un centimètre ou deux sur son espace : un rigorisme franchement déplacé puisque son emplacement était au moins trois fois plus large que le mien ! Je ne supporte cette mentalité de collabo : en raisonnant ainsi, on finit par porter plainte contre son voisin de palier sous prétexte qu’il ronfle !

– Vous ne croyez pas que vous exagérez ?

– Pas du tout : l’égoïsme de nos contemporains est tel qu’aujourd’hui, chacun a l’air d’intimer à son prochain l’ordre de ne pas exister ! Je vous avoue que la série de bouquins soi-disant humoristiques Chers voisins ne m’a jamais fait rire : tous ces messages de locataires hargneux qui rouspètent dès que leur voisin a le malheur de ne pas être aussi silencieux qu’une poussière, c’est une photographie assez fidèle de la France d’aujourd’hui, mais ça n’a rien de drôle. Enfin ! Le lendemain, je suis allé au festival du film court de Brest.

9782290059463_ChersVoisins_couv.indd

SAMEDI 12 NOVEMBRE

– Vous avez vu quoi de beau ?

– D’abord, il y a eu la remise des prix : le grand vainqueur de cette année fut Greg Clément avec son film La brêle sauvage. La ville de Brest a couronné un film foutraque qui fait l’éloge de l’inefficacité et du jemenfoutisme ! C’est pour ça que j’aime cette ville… Puis il y a une projection consacrée à la filmographie de Christophe Le Masne.

– C’était pas l’homme de Nanou Garcia, à une époque ?

– Tout à fait : d’ailleurs elle joue dans deux des trois films qui ont été projetés, Naturellement et Anna de Francia. Le réalisateur les définit lui-même comme des « films de famille », d’où une certaine tendresse qui se dégage de ces comédies pourtant assez échevelées ! Je ne pensais pas que je verrais un jour jouer à poil la comédienne qui m’avait tant fait rire à l’époque d’Objectif NulSexy Dream était plus cynique : le réalisateur n’y a fait jouer aucun membre de sa famille et a donc pu se permettre d’aller plus loin. En tout cas, ça rigolait bien dans la salle : on était loin de l’ambiance gourmée du festival de Cannes !

– Brest is the best !

11-10-salon-des-vins-et-de-la-gastronomie-festival-du-film-court

DIMANCHE 13 NOVEMBRE

– Vous l’avez dit ! Ce sera le mot de la fin, je vous laisse : je vais écouter Gildas Vijay Rousseau jouer à l’Église Saint-Michel.

– Bon après-midi, professeur ! Et soyez prudent : n’oubliez pas qu’on est le 13 novembre !

– …

– Hum ! Excusez-moi, je ne voulais pas vous saper le moral ! Holala, la vie devient difficile à vivre…

11-19-13-novembre

Share This:


Retour à La Une de Logo Paperblog

Magazine