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Pour tout dire (79)

Publié le 14 novembre 2016 par Jlk

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À propos du rêve américain selon Philip Roth devenu fantasme de pacotille, et de l'intéressante réalité américaine documentée par les séries télé. De ce qui rapproche et sépare Donald Trump et le jeune imposteur de la série Suits (Avocats sur mesure). De ce qui rapproche et sépare Donald Trump et le populiste suisse Christop Blocher sous le regard de Shakespeare...


Il faut lire ou relire Pastorale américaine, premier volet de la trilogie romanesque de Philip Roth, pour se rappeler ce qu'a été la renaissance du rêve américain, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, incarné par un héros blond et juif, champion sportif et loyal à la patrie. Le génie du plus grand romancier américain vivant, outrageusement "oublié " par les jobards de l'Academie de Stockholm, à toujours été de prendre le contrepied du conformisme de son pays, à commencer par celui de son milieu de Juifs de Newark, dans Portnoy et son complexe; mais c'est avec autant de tendre loyauté que d'esprit critique qu'il a rendu justice à son père dans Patrimoine, et autant de verve qu'il a pourfendu la nouvelle posture du politiquement correct dans La Tache, troisième volet de sa trilogie américaine.

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Soixante ans après, l'on voudrait nous faire croire que l'élection de Donald Trump marque le renouveau du rêve américain contre, précisément, le politiquement correct. Double imposture évidemment, puisque le rêve d'une société plus juste et plus ouverte s'est transformé en fantasme de pacotille frotté de racisme sélectif, alors que le politiquement correct - disons le nouveau conformisme de gauche - cristallise l'indignation vertueuse des "réalistes" et des profiteurs cyniques.

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Réagissant à l'élection de Donald Trump à la présidence américaine, qui ne l'a pas étonné, le philosophe allemand Peter Sloterdijk, à mes yeux l'un des "poètes" les plus originaux de la pensée contemporaine, redéfinit la mouvance populiste comme une "croyance dans la faculté salvatrice des incompétents, dans l'innocence de l'incompétence ".
Or comment faut-il l'entendre ? La campagne de dame Clinton a-t-elle manifesté plus de compétence que celle du sieur Trump ? Et le fait que celui-ci n'ait aucune expérience politique caractérise-t-il son incompétence ?
Comme j'ai visionné cette nuit la 5e saison de la très addictives série Suits (Avocats sur mesure), l'idée de comparer l'ascension sociale fulgurante du jeune Mike dans l'un des meilleurs cabinets d'avocats new yorkais, où il s'est introduit sans avoir passé par Harvard, en jouant de son seul talent, à la carrière guère plus conformiste de Donald Trump, m'a paru éclairante par l'analogie apparente de ces success stories et leur antinomie profonde.

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De fait, le jeune pseudo-avocat non titré de la série, quoique prodigieusement doué et s'élevant bientôt au niveau des meilleurs, ne se vante jamais de son manque de toute formation universitaire. Compétent "sur le terrain" il reste un fraudeur sur le papier et craint à tout instant qu'on le démasque, et plus encore que ses amis du célèbre cabinet, devenus complices, n'en pâtissent avec lui.

À deux heures du matin, la nuit dernière, Mike se présentait à la porte de la prison après avoir "pris sur lui" pour sauver ses confrères, et c'est parti pour la 6e saison. Quant à Trump, il est au contraire fier de ses fraudes et fait de son incompétence en matière politique un argument en sa faveur. Double escroquerie qui se moque également des diplômes et des lois, puisque le fric est à la fois juge et partie.

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Les "poètes", comme un Philip Roth ou un Peter Sloterdijk, le Dürrenmatt de La visite de la vieille dame ou l'universel Shakespeare, font toujours du plus simple avec du très compliqué, sans vider la réalité de sa substance.
De très compétents universitaires jettent, sur le genre combien populaire des séries télévisées, un regard dignement condescendant, sans y aller voir, et j’estime qu'ils ont tort. Je pensais comme eux il y a encore deux ans de ça, sans me prévaloir d'aucun autre titre universitaire que celui de Docteur Honoris causa de l'Academie mondiale des rues et clairières. Voir Lady L regarder Les experts me faisait presque honte, sanglier que j'étais. Puis j'ai découvert The Wire (A l'écoute) et sa fresque incroyablement vivante et intelligente, humainement richissime et sociologiquement révélatrice, des dessous et des coulisses de la ville de Baltimore; et dans la foulée de cette docu-fiction exemplaire j'ai vu plus d'une centaine de séries américaines, anglaises, nordiques ou d'autres provenances - mais pas une ne trouvant grâce à mes yeux en langue française ou suisse allemande - , qui m'ont souvent plus appris ou touché que nombre de romans à prétention plus "littéraire ".
La faiblesse majeure du cinéma suisse, et plus précisément romand, autant que de la littérature romande et suisse, à quelques exceptions près, tient à leur manque de sérieux en matière de scénarios et de naturel et de vraie poésie en matière de dialogues. De même les séries françaises restent-elles terriblement "théâtrales", emphatiques quant à l'interprétation et sans comparaison, du point de vue de la perception des réalités sociales , avec leurs homologues anglo-saxonnes ou nordiques. Les purs littéraires nos régions peuvent dauber tant qu’ils veulent sur les artifices techniques auxquels se réduirait selon eux la littérature américaine, et a fortiori le cinéma hollywoodien. C’est ignorer que celui-ci s’est construit avec de grands écrivains et que les séries télévisées (notamment à l’enseigne de HBO) fédèrent des réalisateurs de premiers rang, des scénaristes hors pair et des comédiens à l’avenant.

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Quoi de commun entre l’état de la narration dans notre littérature ou notre cinéma et l’avènement de Trump, le loyauté du jeune Mike Ross et la duplicité du populiste suisse Christoph Blocher se réclamant de noble valeurs et refusant d'accueillir les migrants sur la pelouse sécurisée de son château de milliardaire ? Je dirai tout à trac: Shakespeare.
En version Disneyworld , Donald va nous la jouer 5e saison de House or cards, mais on attend un scénar plus détaillé, idéalement inspiré par l'auteur de La Tempête, pour les saisons suivantes,etc.
Ce qu'attendant je vais balancer ces notes de mon TOUT DIRE matinal sur Cloud avant de lancer sur mon Top Computer le DVD de Macbeth genre série gore, voire Gomorrha, à l'écossaise ...
À la fenêtre le blanc de la neige reflète pour l’instant notre conscience immaculée de Suisses au-dessus de tout soupçon. Snoopy me scrute avec l’air de se demander si l’existence précède bien l’essence, puis soupire avant de retourner à son propre roman...


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