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Inhotim sans voiles

Publié le 04 octobre 2016 par Masmoulin
William Kentrdige, I am not me, the horse is not mine, 2008

William Kentrdige, I am not me, the horse is not mine, 2008

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Restent à voir, à Inhotim, des œuvres plus classiques, ou en tout cas présentées avec moins de pompe. Et d’abord, un superbe polyptyque de William Kentridge sur huit écrans, autour de la fin du constructivisme étranglé par Staline : excepté un écran de texte (la délibération du Comité Central sur l’exclusion de Boukharine en 1937), on retrouve là le style habituel de Kentridge. Il y est question du Nez de Gogol, qui, parfois, vient masquer les personnages, d’un cheval (« I am not Me, The Horse is not Mine« ) et du monument jamais réalisé à la troisième Internationale. D’un soldat de l’Armée Rouge qui danse, on ne voit que l’ombre : tout est illusion. On aurait aussi aimé voir la performance-discours de Kentridge qui a accompagné cette installation.

Dominik Lang, The Sleeping City, 2011

Dominik Lang, The Sleeping City, 2011

Une de mes découvertes (avec Chelpa Ferro) au milieu de cet univers d’artistes bien établis, a été le Tchèque Dominik Lang (36 ans), fils du sculpteur moderniste Jiri Lang, dont certains ont pu voir cette installation, Sleeping City, à Venise en 2011 : les œuvres modernistes du père sont mises en scène, mises en perspective, mises en cage ou en vitrine, voire mises au carreau, avec un mélange de respect et de cruauté. Ces témoignages d’un glorieux passé ne sont plus pertinents aujourd’hui, mais leur âme (ou leur aura) subsiste, une amère nostalgie peut-être. Deux jambes brisées d’une statue évoquent Staline déboulonné après 1990, et un ensemble complexe de barres et de cages fait penser à Giacometti, mais Dominik Lang sait par lui-même conjuguer passé et présent, racines et invention, modernisme et futur. Il n’est pas surprenant que Jiri Kovanda soit son mentor et ami.

Yayoi Kusama, Narcissus Garden Inhotim, 2009,

Yayoi Kusama, Narcissus Garden Inhotim, 2009,

Il faut aussi citer la superbe installation sonore de Janet Cardiff et George Bures Miller, même si, quand on l’a auparavant vue et entendue, comme moi, dans une chapelle gothique, la salle de béton d’Inhotim incite moins au rêve. Le Motet pour 40 voix de Thomas Tallis, écrit en l’honneur de la reine Elizabeth (la première) fut aussi une tentative de ce compositeur catholique d’exprimer une sensibilité plus baroque et « romaine » dans une culture en voie d’anglicanisation. Même ici dans ce béton blanc, la magie opère et on va de haut-parleur en haut-parleur avec enchantement. Autre oeuvre impressionnante : le jardin narcissique de Yayoi Kusama, une mer de boules d’acier qui reflètent le ciel… ou le visage du regardeur. Mieux qu’un selfie !

Miguel Rio Branco, Blue Tango, 1984

Miguel Rio Branco, Blue Tango, 1984

Deux œuvres à mentionner parmi tant d’autres : dans le pavillon (lui aussi bien hermétique) qui est consacré à Miguel Rio Branco, parmi de nombreux travaux, certains plus documentaires, d’autres s’interrogeant avant tout sur la monstration, j’ai remarqué, un peu à contre-courant, ce panneau Blue Tango montrant le jeu d’ombres de deux danseurs de capoeira (la capoeira, combat d’opprimés contre l’oppresseur, le contraire du krav maga).

Hitoshi Nomura, Turning the arm with a movie camera, 1972

Hitoshi Nomura, Turning the arm with a movie camera, 1972

Et, au hasard d’une exposition sur le mouvement Gutai (où l’installation rouge de Yamazaki n’est hélas pas accessible), un film de Hitoshi Nomura : à gauche, l’artiste fait tourner sa caméra à bout de bras, et la moitié droite de l’écran montre l’image ainsi obtenue, un travail remarquable sur l’espace et le temps.

Tiens, aucun artiste français dans votre compte-rendu, Lunettes Rouges ? C’est qu’il y en a une seule dans tout cet ensemble, et que, quand on se souvient du choix du commissaire de la Biennale de São Paulo, également directeur d’Inhotim, on n’est guère surpris que l’artiste d’ici appartienne au même clan que celui de là-bas. Nous avons donc, sur une colline dénudée, cinq abribus… Pas grand chose à en dire, hélas, surtout face au texte explicatif (une dimension mystique, un nomadisme culturel, une psycho-géographie, et j’en passe). Pschitt, comme disait Chirac …

En résumé, Inhotim m’a semblé une oasis utopique, où l’art permettrait d’oublier la dure complexité du Brésil réel, un agréable opium de circonstance, et où les œuvres d’art sont vénérées comme des idoles dans de sombres sanctuaires au fond de temples hermétiques comme des pyramides, un rêve idéal et idolâtre, une conception (politique) du visiteur aux antipodes de celle du MASP.

Photos Kentridge, Lang et Nomura de l’auteur.

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