Magazine Journal intime

Combien de guerres du pétrole ? « Or Noir », mon histoire de l’abondance énergétique

Publié le 24 mars 2015 par Alainlecomte

Les cours du pétrole sont toujours scotchés autour de 50 dollars le baril, en baisse de plus de 50 % par rapport aux niveaux record, supérieurs à 100 dollars, des années 2011-2014. Provoqué par le très spectaculaire boom du pétrole " de schiste " aux Etats-Unis, ce contre-choc pétrolier est approfondi par la guerre des prix contre ce même pétrole de schiste que les maîtres de l'or noir d'Arabie Saoudite semblent bien décidés à mener jusqu'au bout ; le ministre du Pétrole saoudien vient ainsi d'annoncer un accroissement des extractions de son royaume, à 10 millions de barils par jour (Mb/j) contre 9,85 Mb/j en février, rapporte l'agence Bloomberg.

Les Saoudiens, détenteurs des premières réserves mondiales de pétrole conventionnel (le pétrole liquide classique), refusent de se laisser déposséder de leurs parts de marchés par les producteurs de pétroles non-conventionnels, formes nouvelles d'hydrocarbures nécessaires afin de répondre au déclin des extractions d'un grand nombre de zones pétrolifères conventionnelles exploitées depuis le siècle dernier en mer du Nord, en Algérie, en Syrie, au Gabon, au Yemen, au Mexique, au Brésil, au Venezuela, en Indonésie et peut-être demain en Russie et en Iran.

So what ?

" Vu le prix du baril ", mes chroniques du début de la fin du pétrole n'ont " plus lieu d'exister ", statuait il y a peu un lecteur.

La production de brut des grandes compagnies pétrolières occidentales décline depuis dix ans, en dépit d'un accroissement sans précédent des capitaux investis dans le développement de leurs puits. En conséquence, début 2014 (c'est-à-dire avant la glissade des cours du baril), la plupart de ces majors ont annoncé une réduction de leurs " Capex ", faute de retours sur investissements satisfaisants... Depuis l'effondrement des cours, ces mêmes majors ont toutes annoncé davantage de coupes claires dans leurs opérations d'extraction, tout comme d'ailleurs les compagnies américaines spécialisées dans le pétrole de schiste, lesquelles n'en finissent plus de fortement ralentir le rythme de leurs forages.

Résultat probable ?

Un indice : le géant américain Chevron a pris l'initiative inhabituelle de faire savoir au Financial Times que ses prévisions de production pour la fin de la décennie seront bien plus faibles qu'annoncé. La situation de Chevron n'est bien sûr pas singulière.

Hors pétroles non-conventionnels, la production de pétrole brut n'augmente plus depuis une décennie :

La situation à laquelle nous sommes parvenus pourrait n'être qu'un simple ajustement conjoncturel entre offre et demande (comme le fut le contre-choc de 1985-1986), si seulement la capacité de l'industrie à compenser le déclin de sa production existante n'apparaissait pas sévèrement contraint, et ce pour la première fois dans l'histoire industrielle ; si seulement, autrement dit, nous n'étions pas " à court d'endroits où forer à terre et en eaux peu profondes ", comme le faisait remarquer le président américain Barack Obama en 2010,... juste avant le début de la ruée vers le pétrole " de schiste ".

Quelle que soit la pérennité ( désormais plus incertaine que jamais) du boom de ce pétrole " de schiste ", celui-ci ne représente guère aujourd'hui que 3 Mb/j sur une production mondiale de quelque 90 Mb/j. Le pic du pétrole conventionnel, lequel apporte toujours 80 % de l'offre de carburants, est franchi, répète depuis 2010 l'Agence internationale de l'énergie.

Où irons-nous à partir de là ?

Sans doute l'histoire a-t-elle quelques choses à nous apprendre.

En 1998, suite à la crise financière asiatique, les cours du brut tombèrent exceptionnellement bas : 12 dollars le baril, du jamais vu depuis le contre-choc du milieu des années quatre-vingt. De quoi relancer la croissance et aider à faire reculer le chômage, notamment en France, pratiquement pour la première fois depuis les choc pétroliers des années 70.

De quoi provoquer aussi une vague de méga-fusions dans l'industrie du brut, à mesure que les pétroliers s'aperçurent qu'il devenait moins coûteux de racheter des concurrents, plutôt que de dénicher de nouvelles sources intactes d'or noir. La plus importante de ces fusions est l'absorption de Mobil par Exxon. Une fusion qui reconstitue alors, moyennant 80 milliards de dollars, la première compagnie privée de la planète, réunissant les deux principaux rejetons de la vieille Standard Oil de John D. Rockefeller (victime d'un démantèlement en trompe-l'œil opéré le 15 mai 1911 par la Cour suprême des Etats-Unis...)

Lors de la fusion d'ExxonMobil en décembre 1998, le PDG de Mobil fait une déclaration prémonitoire qui passe inaperçue dans la presse économique, obnubilée par le retour de la manne du pétrole bon marché. Lou Noto, le patron de Mobil (anciennement Standard Oil Company of New York) annonce :

" Il nous faut regarder les choses en face. Le monde a changé. Les choses faciles sont derrière nous. Le pétrole facile, les économies faciles - c'est terminé. "

Tout compte fait, les prix exceptionnellement bas enregistrés en 1998 marqueront le début d'une grimpette sans précédent par sa durée et son ampleur, qui culminera dix ans plus tard avec le record absolu de 147 dollars le baril atteint en juillet 2008. Entre-temps : la crise des subprimes (qui a peut être tout à voir avec le pétrole), le pic du pétrole conventionnel, une aggravation historique de la dépendance de l'Occident et des Etats-Unis en particulier à l'égard du pétrole importé notamment du golfe Persique, l'essor des pétroles non-conventionnels et des agrocarburants ; et puis aussi, ah oui, la guerre d'Irak...

***

L'histoire de la puissance (économique, politique, militaire) est en premier ressort une histoire d'énergie : l'énergie nécessaire à l'effectuation (physique) de toute puissance.

On s'est beaucoup battu autour, par et pour le pétrole au XXe siècle, lorsque cette source d'énergie abondante et pas chère surpassait encore de beaucoup les besoins d'une humanité technique en train d'éclore, grâce à cette source. Que se passera-t-il lorsque, tôt ou tard, de gré ou de force, cette source d'abondance nous fera défaut, inexorablement et de plus en plus ?

Il m'a semblé utile d'écrire une histoire du pétrole. Après trois ans de travail, au cours desquels ce blog m'a parfois servi de laboratoire à bouts d'idées, cette histoire est arrivée en librairie la semaine dernière. Ça s'appelle Or Noir, la grande histoire du pétrole (éditions La Découverte, 620 pages hors annexes, 26 euros).

Pourquoi une histoire du pétrole ?

Parce qu'à l'entrée du musée chinois du pétrole est inscrite la phrase suivante :

" Le pétrole a une relation compacte avec la force politique, économique et militaire d'un pays. "

Parce qu'en 1917, afin d'appeler au secours Washington, capitale du pays de l'or noir, Georges Clémenceau écrivit :

" Si les Alliés ne veulent pas perdre la guerre, il faut que la France combattante, à l'heure du suprême choc germanique, possède l'essence aussi nécessaire que le sang dans les batailles de demain. "

Parce qu'à l'issue de la première guerre mondiale, Lord Curzon, grand homme d'Etat britannique, notait :

" On pourrait presque dire que la cause des Alliés a flotté jusqu'à la victoire sur une vague de pétrole. "

Parce que Calvin Coolidge, le président américain de ce qu'aux Etats-Unis on appelle les années vingt " rugissantes " (rugissantes comme le lion de la MGM ou comme les moteurs des automobiles) suggérait dès cette époque:

" Il est probable que la suprématie des nations puisse être déterminée par la possession du pétrole. "

Parce qu'en 1941, après avoir perdu la bataille d'Angleterre, durant laquelle les usines allemandes de carburant synthétique se révélèrent physiquement incapables de rivaliser avec la qualité du carburant offert par les sources de brut sans égales des Etats-Unis, Adolf Hitler fixait l'objectif de l'invasion de l'URSS en ces termes :

" Nous devons prendre possession des champs pétroliers du Caucase, puisque sans eux le combat aérien (...) contre l'Angleterre et l'Amérique est impossible. "

Parce que lorsque l'or noir fut découvert dans les sables de l'Algérie française, De Gaulle s'écria que ce pétrole pourrait " changer notre destin ", à nous, Français. Parce que Pompidou, qui n'avait alors pas la moindre fonction politique exécutive mais se trouvait être directeur général de la banque Rothschild, fut dépêché par De Gaulle afin de mener face au FLN les négociations secrètes préliminaires aux accords d'Evian ; négociations au cours desquelles le pétrole du Sahara, contrôlé en bonne part par la banque Rothschild, constitua la pierre d'achoppement ultime. Parce qu'avec le quitus du général De Gaulle, les services secrets français ont fait durer la guerre du Biafra dans une monstrueuse tentative de ravir des concessions de brut aux pétroliers britanniques. Parce que la Françafrique.

Parce que je me suis demandé en 2000, en 2001, en 2003 et en 2004 si les administrations Bush constituaient une singularité dans l'histoire américaine. Parce que la pseudo-nation irakienne, créée par l'Occident afin de mettre la main sur l'or noir de Mésopotamie, et qui détient aujourd'hui la dernière source sous-exploitée de " pétrole facile ", s'enfonce dans un cauchemar archaïque post-moderne depuis plus d'une génération.

Parce que le climat.

Parce que , c'est jamais, ou sinon, c'est pour quand ?

La Syrie a franchi son pic pétrolier en 1996. L'étiolement de ses ressources en énergie et en devises a largement participé au marasme économique de ce pays, marasme qui a abouti à l'exaspération d'une grande partie de la population, puis à la guerre civile. En mai 2008, le régime de Bachar Al-Assad dut réduire considérablement les subventions sur l'essence, qui absorbaient pas moins de 15 % du PIB ; le prix du carburant tripla du jour au lendemain, entraînant une forte inflation des prix agricoles. Etc. ?

Le Yemen a franchi un pic de production au début des années 2000. Ses extractions de brut ont depuis été divisées par trois, systématiquement ruinées (en même temps que les entrées de pétrodollars) par l'intransigeance des limites physiques. Concomitamment, les structures étatiques du Yemen s'effondrent, à mesure que le pays semble devoir s'enfoncer dans la guerre civile.

L'Algérie a elle aussi probablement franchi son propre pic pétrolier et gazier. Comme ailleurs (au Mexique, en Iran et au Venezuela, notamment), la faiblesse actuelle des cours du brut contribue à saper un " Etat providence " dont l'or noir permet d'acheter très cher la paix sociale à une jeunesse immense, autrement poussée à bout par l'oisiveté.

Et après ?

Or Noir, la grande histoire du pétrole, éd. La Découverte, 714 pages, 26 euros.

Combien de guerres du pétrole ? « Or Noir », mon histoire de l’abondance énergétique Je suis depuis 2010 blogueur invité de la rédaction du Signaler ce contenu comme inapproprié Monde.

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