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L’écrivain Leonardo Padura face à la mémoire de la guerre d’Angola à Cuba

Publié le 25 avril 2016 par Icipalabre

Séries Mania a présenté au Forum des images, à Paris, en première mondiale, les deux premiers épisodes de la série Quatre saisons à La Havane, adaptée des polars de Leonardo Padura. L’écrivain cubain fait paraître presque en même temps un recueil de récits, Ce qui désirait arriver, traduit par Elena Zayas, aux éditions Métailié (en librairie le 6 mai).

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Leonardo Padura est attendu au Festival Étonnants voyageurs à Saint-Malo (14-16 mai). Nous l’avons rencontré à Séries Mania, le 21 avril. Les récits et la saga du détective Mario Conde ont un point commun : la participation des troupes cubaines à la guerre civile en Angola (1975-2002).

« L’Angola a été la guerre de ma génération, raconte Leonardo Padura. Il n’y a pas de guerre qui ne soit pas traumatisante. En 1989, lorsque je travaillais au quotidien Juventud Rebelde, on a rapporté à Cuba les cadavres de Cubains morts en Angola. J’étais surpris par le nombre réduit de victimes fatales au cours d’une guerre aussi longue [2.000 selon des chiffres officiels]. Beaucoup sont décédés à la suite de maladies ou d’accidents, mais très peu en combat.

« C’était une responsabilité pour des gens qui n’étaient pas préparés à cette épreuve. Moi-même je suis resté un an en Angola comme journaliste. Dans des conditions extrêmes, les gens révèlent leurs plus grandes bontés de caractère et aussi leur mesquinerie. Cette expérience a marqué ma génération et un personnage clé de la série, Carlos el Flaco, cloué à sa chaise roulante à cause d’une blessure. Face au pessimisme nostalgique de Mario Conde, il représente l’optimisme de celui qui est foutu. Il sert d’ailleurs d’appui à son ami.

« Si l’Angola n’est pas plus présente dans notre mémoire collective, c’est sans doute parce que cette guerre a été suivie par notre Période spéciale [euphémisme désignant l’effondrement de l’économie cubaine après la chute du mur de Berlin et la fin des subsides soviétiques]. La crise n’était pas propice à la réflexion sur les événements passés. Il fallait monter sur son vélo et chercher de quoi manger. Face aux difficultés inouïes de la vie quotidienne, il semblait préférable de tourner la page.

« Le procès, la condamnation et l’exécution du général Arnaldo Ochoa, ancien commandant des troupes cubaines en Angola, ainsi que d’autres officiers, en 1989, a mis un point final à l’idéal de perfection de la génération de Mario Conde et a laissé des traces profondes. Pendant la guerre d’Angola, les Cubains avaient connu leurs meilleures possibilités d’accomplissement personnel et économique, grâce aux largesses de l’Union soviétique. Après, nous avons découvert le pays réel.

Du roman à la série, sacrifice et réincarnation

« Le travail de la mémoire viendra inévitablement examiner la façon dont a été écrite l’histoire de ces années. Lors de sa visite à La Havane, Barack Obama nous a invités à oublier le passé et à commencer une nouvelle relation entre nos deux nations. La réponse officielle a été : nous ne pourrons jamais oublier. L’examen mémoriel devra être total et non pas partiel.

« Procéder à l’adaptation de ses romans pour une série télé relève à la fois du sacrifice, parce qu’il faut beaucoup éliminer, et de la possibilité d’une réincarnation. Pendant le processus, nous l’appelions familièrement boucherie. Et c’était mon épouse, Lucia Lopez Coll, qui maniait le couteau, car elle avait davantage de distance par rapport à des romans bien plus littéraires que cinématographiques, malgré les apparences. Le langage audiovisuel fonctionne à d’autres niveaux, déploie d’autres moyens. Lorsque Lucia se disputait avec le réalisateur Félix Viscarret, aussi têtus, passionnés et ambitieux l’un que l’autre, j’étais ravi de me tenir à l’écart. »

« Pour diverses raisons, on ne pouvait pas reproduire l’échelonnement des romans au fil des années, explique Félix Viscarret. Nous avons choisi ce passé où les ordinateurs et les téléphones portables n’avaient pas encore bouleversé le travail des policiers, avec une image de La Havane à la fois puissante et stylisée. » Les intérieurs ont été tournés aux Canaries, mais la plupart de l’équipe était cubaine. Le tournage à La Havane a pris 14 semaines, contre 4 à Tenerife.

« En dépit de ma cinéphilie, je vois aujourd’hui plus de séries que de films, confie Leonardo Padura. Les deux derniers films qui m’ont touché personnellement, abordent des sujets liés à mon métier : il s’agit de Dalton Trumbo (Jay Roach) et de Truth : le Prix de la vérité (James Vanderbilt). Quand je vois une série comme House of Cards, je suis soufflé, je reste littéralement avec le cul dans l’eau (anonadado), comme disait l’écrivain cubain Virgilio Piñera. »

Cuba retrouve la mémoire


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