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édouard et Valérien

Publié le 10 décembre 2016 par Barbu De Ville @barbudeville
édouard et Valérien

À l'automne d'une surprise, en octobre de l'an 1894

Joséphine est en douleur. Son mariNapoléon ne peut que la regarder souffrir. Elle a commencé sa mise basil y a déjà 36 heures. Le bon docteur Pacifique Desroches est tellement au boutte de ses solutionsqu'il a demandé à son infirmière un chapelet pour la suite de l'accouchement.

Dehors, il ventait à écorner les boeufs, des arbres aux feuilles de toutes les couleurs en perdaient leur plumage. Un vieux chien finissait sa vie entouré d'une meute de loups affamésLes sifflements du vent embaumaient la côte de sable, pendant que Napoléon Beauséjour priait les deux genoux au sol en face de l'énorme crucifix du salon. Les hurlements des loups à la lune et les cris de Joséphine aux saints du ciel s'entremêlaient à l'ombre de la nuit.


Pendant ce temps-là, dans le ventre de Joséphine, la légende dit quele p'tit Édouard retenait son frère Valérien par les pieds, question de rester le plus longtemps possible dans le ventre chaud de sa môman. Édouard n'aimait pas le changement. Même avant de naître, il était accroché à ses habitudes. Déjà,dans le ventre de sa môman , Édouard avait peur. Il était probablement le plus pissou des pissous à l'est de la Rivière du Nord tant et tellement, que sa réputation avec le tempsa fait le tour du comté d'Argenteuil, des Laurentides au complet et dune bonne partie de Lanaudière. Il n'était qu'un embryon et déjà, il avait peur. C’était dans sa nature profonde. La peur était le moteur de son existence.

Il avait peur de découvrir ce qu'il y avait au-delà du tunnel. Valérien luiétait prêt depuis la 40esemaine de grossesse de sa mère. Il poussait avec vigueur comme celle d'un futur gars de cour à bois. Il poussait avec les mains, les pieds, la tête, peu importe, il poussait, il avait le désir de se mettre au monde! Après 47 heures, Valérien sest retrouvé dans les bras du bon docteur Desroches. Édouard ayant échappé son frère, son lui-même qu'il pensait, ne pouvait plus imaginer la vie dans le ventre de sa mère sans Valérien. Il poussait lui aussi comme son frère, par en avant, mais avec peur. À la surprise du bon docteur, de sa mère, de son père, Édouard est arrivé dans le vrai monde comme une mauvaise surprise.
Il est arrivé à 1 minute d'intervalle et tellement rapidement, que Joséphine n'a pas eu besoin de pousser pour le deuxième des jumeaux.Valérien était au sein de sa mère pendant qu'Édouard était bouche bée dans les bras du docteur. Il regardait la face embrouillée du gros docteur, la bouche toute grande ouverte et il tremblait de peur. Il était terrifié et cherchait son grand frère des yeux, celui qui avait une minute de plus dexpérience de vie que lui! Avec bonheur et réconfort, il découvrit un deuxième ami après Valérien, c’était le sein gauche de sa mère. La chaleur du gros sein l'enveloppait comme à l'époque où il était un foetus.
Sans le sein gauche ou Valérien, Édouard pleurait sans cesse, presque toujours jusqu'à épuisement. Il pleurait de peur. Il a longtemps pensé que le bon docteur Pacifique Desroches était le Bonhomme Sept Heures déguisé en docteur.
Les premiers et derniers jumeaux dans l'histoire des Beauséjour étaient nés. Depuis ce jour jusqu'à aujourd'hui, aucun Beauséjour n'est arrivé en double, c'est vous dire comment ils étaient spéciaux les jumeaux de Napoléon.Janvier 1897, cest l'hiver de toutes les misères, celui qui a vu la cour à bois de Napoléon s'envoler en fumée! La fameuse ''Lachute Number'' était la proie des flammes à -30°. Le gagne-pain des Beauséjour n'était plus après seulement quelques heures.
À l'époque, les pompiers roulaient en chevaux et traînaient avec eux leurs eaux. Ils sont arrivés au galop, faisant sonner la grosse cloche qui leur sert de sirène! Mais il était déjà trop tard.Napoléon avait les deux genoux à terre et pleurait toutes les larmes de son corps, toutes les larmes d'une vie. Il pleurait l'héritage qu'il voulait laisser à ses fils!

En même temps que Napoléon, dix autres personnes de la région perdaient leur emploi.Napoléon Beauséjour est rentré chez eux, le coeur quelque part dans les décombres de ''Lachute Number''.Napoléonet Joséphine étaient un duo increvable. Ils se sont mariéà l'époque pour le meilleur et pour le pire. Avec le temps, ils ont rebâti leurs shop à coup d'huile à bras, de sacrifice et d'unamour sincère

Édouard a déjà trois ans. Il passe ses journées à avoir peur et à voler des gorgées du biberon de sa p'tite soeur. Un bon soir, il joue avec son frère dans le salon à faire des ombres sur le grand mur blanc. 
Il s'amuse à faire des ombres chinoises, éclairé par la lumière des chandelles et de la lampe à l'huile.Tout à coup, sur le mur, Édouard aperçoit sa propre ombre. Il devient blanc comme un drap! Il crie comme un cochon qu'on vient d’égorger. Il court et va trembler sous la grande jupe de Joséphine.
Édouard pointe son ombre à sa môman
-Édouard:Ma-mannnnnnnnnn.Il pleure à chaudes larmes, il est inconsolable aux limites du délire!
-Joséphine: Pauvregarçon, tu as tellement peur, peur de toute que tu as même peur de ton ombre. Colle ta môman.
Joséphine retient son rire, car la situation est cocasse malgré son côté dramatique. Le soir venu, elle en fait part à son mari qui racontera le tout à ses amis et ainsi de suite.Joséphine et Napoléon avaient créé un mythe sans le savoir.
La rumeur était partie! Et dans le temps il n'y avait rien d'autre à faire pour passer le temps que de se conter des peurs.

La rumeur disait que dans le coin de Lachute, un p'tit gars avait eu peur de son ombre. Le p'tit bonhomme était tellement pissou qu'il avait peur de lui-même.

La rumeur courait à une vitesse vertigineuse, plus vite que la vitesse du son et de la lumière. Elle était rendue dans tous les magasins généraux de la province, du bas du fleuve au bas St-Francois, de Baie-Comeau à l'Île Jésus, d'Alma à Sherbrooke, et même jusqu'aux limites de l'Abitibi. On disait de quelqu'un de peureux qu'il avait peur de son ombre comme Édouard.

La rumeur a fait sa tournée paroissiale de toutes les paroisses du Québec pour revenir sur le parvis de l'église St-Julien à Lachute. Elle est revenue en pleine face d'Édouard, devant ses parents. Édouard avait maintenant 6ans, on était en 1900.

-Un badaud: Commeça c'est toé ça, l'fameux Édouard qui a peur de son ombre. Viensj'vas t'montrer à ma femme pis à mes frères....Hahahaha!
Édouard faisant honneur à sa réputation, est allé se cacher derrière la grande jupe de sa mère. Tremblant comme une feuille d'érable à la vue de l'hiver. Et tout le monde sur le parvis sest mis à rire, d'un genre de rire gras qui résonna pendant bien des années dans le coeur d'Édouard et de celui des Beauséjour.
À l'école de rang, la seule chose qu'avaient les deux frères Beauséjour en commun était le fait qu'ils étaient identiques physiquement. Pour le reste c'était comme sils étaient des étrangers.Valérien avait plein d'amis, les filles voulaient lui donner des becs sucrés, la

maîtresse d'école voulait lui en donner aussi, l'arithmétique n'avait pas de secret pour lui, il était le chouchou de tous, un genre d'attraction.

Édouard était la tête de Turc de la tête de Turc, tellement que les filles n'avaient aucune idée de son existence. Il se fondait au mur drabe de l'école. Et pourtant, il était identique à son frère, mais tout était dans l'attitude.Le jour où l'attitude passa sur la côte de sable, Édouard était occupé à avoir peur des grenouilles dans le ''crick'' pas loin de chez eux. Oui oui, il avait peur des grenouilles comme il avait peur de tous les poissons qu'il pouvait y avoir dans la Rivière du Nord.Comble du comble, il était un des premiers enfants de la région à porter des lunettes.

Il n'est pas facile d'exister quand la peur habite avec vous dans votre corps, avec en primedes fonds de bouteille en guise de barniques.

La pire des malédictions qui pouvait vous tomber dessus quand vous étiez à l'école de rang, c'était d'être un gaucher. Vous avez deviné, chers lecteurs et lectrices, que notre joyeux drill Édouard était un gaucher.Et quand Édouard était le centre d'attraction, il devenait nerveux, gauche, incontrôlable, tant et tellement qu'il en perdait même le contrôle de ses sphincters.Pendant que lui recevait de nombreux coups de règle sur les doigts, sur les jointures, dans la paume de ses mains pour l'aider à devenir un faux droitier, son frère était un droitier tout simplement.Son surnom à l'école et partout dans le comté d'Argenteuil était "Le gauche à barniques"Malgré tout, Édouard est passé à travers l'école comme un grand brûlé qui brûle pour une deuxième fois. Son grand frère d'une minute de plus que lui l'a toujours supporté dans ses malheurs.

Valérien est vite devenu le protecteur de son frère. Valérien aimait d'un amour profond son frère et son frère l'aimait d'un amour profond. Valérien avait l'espoir que son frère un jour se débarrasse de sa maudite peur, celle qui avait poussé à travers ses os tellement elle était imprégnée.
En fait la peur avait poussé au même rythme que lui. Qu'il soit écrit dans ce texte qu'une seule personne ne l'a jamais surnommé ''Le gauche à barniques''. Il s'agit de son propre frère Valérien, le juste. Même sa mère et son père ont fini par le surnommer ainsi (La suite la semaine prochaine)

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