Magazine Beaux Arts

Le Tintoret: Mars et Vénus surpris par Vulcain.

Publié le 06 juin 2008 par Bonamangangu
mars_venu_tintoret.jpg

Cara Giulia,

 

« …Je ne te parlerai que de ton intervention sur le Mars surpris par Vulcain de Tintoret. Plusieurs fois, tu as touché juste et tu m’as fait voir ce que je n’avais pas vu. Par exemple, tu as raison de dire que Vulcain, penché au-dessus du lit et du corps nu de Vénus, évoque un satyre découvrant une nymphe. J’aime cette idée du désir inopiné du mari devant le beau corps de sa femme. Mais j’en tire, tu le verras, des conclusions très différentes des tiennes. De même que, quand tu dis que l’érotisme de ce corps, généreusement offert au regard, incite les femmes qui regarderaient le tableau à s’identifier à la déesse de l’amour, ta conclusion commence bien.

Mais quand, ensuite, sous le prétexte que seul Vulcain serait digne, alors que Vénus serait honteuse et Mars ridicule, tu estimes que cette incitation est morale, que Tintoret exploite les pouvoirs de l’image et les séductions de son pinceau pour canaliser le désir féminin ( ce ne sont pas tes termes, mais c’est à peu près ça), je ne te suis plus. Tu affirmes, par exemple, que Vénus cherche à couvrir sa nudité surprise ; mais qu’est-ce qui te dit qu’elle ne la dévoile pas au contraire, cette nudité, pour séduire Vulcain ? Pourquoi n’ y aurait-il pas de l’humour dans ce tableau ? J’ai l’impression que, toi, si rieuse d’habitude, tu n’as pas voulu faire joyeusement de l’histoire de l’art.

Comme si c'était un devoir professionnel de ne pas rire, ni même de sourire. Ce ne serait pas sérieux. Serio ludere, "jouer sérieusement." tu connais pourtant ce proverbe de la Renaissance, et son goût pour le rire et le paradoxe. On dirait que, pour être sérieuse, tu devrais te prendre au sérieux, être seriosa et non seria comme vous dites en italien, montrer patte blanche à ces gardiens de cimetière qui se drapent dans la prétendue dignité de leur discipline et, au nom d'un triste savoir, veulent qu'on ne rie jamais devant la peinture. Toi, Giulia, seriosa?, Par pitié..! »

 
Daniel Arasse. On n’y voit rien. Descriptions. Folio essais. Page 12-13.

...........................................................................................

"Que fait-on quand on regarde une peinture? A quoi pense-t-on? Qu'imagine t-on? Comment dire, comment se dire à soi-même ce que l'on voit ou devine? Et comment l'historien d'art peut-il interpréter sérieusement ce qu'il voit un peu, beaucoup, passionnément ou pas du tout?"

Daniel Arasse propose des aventures du regard en six courtes fictions narratives. 

A lire, le chapitre intitulé "La toison de Madeleine". C'est d'une jubilation divine, d'une drôlerie jouissive, sans équivalent 

Merci à Toscane de m’avoir fait parvenir cet ouvrage remarquable !


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Bonamangangu 60 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossier Paperblog

Magazines