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Serge Velay, Le Palais d’été (extrait)

Publié le 05 février 2017 par Angèle Paoli

L e Palais d'été de Serge Velay réunit deux suites de fragments composés à dix ans d'intervalle (2005 et 2015), en mémoire de l'écrivain Jean Carrière (1928-2005). " Cet album est, tout à la fois, la chronique pudique d'un deuil, un portrait amoureux de l'artiste et un éloge fervent de la littérature et de la musique. "


Serge Velay, Le Palais d’été (extrait)

EXTRAIT DU PALAIS D'ÉTÉ

D ans le salon de musique, tout pétris de la pâleur docile des cierges, trois spectres font des confidences.

" Pour son galop d'essai, dit le premier, on attendait un prélude, et il nous a donné un épilogue. Ce Retour à Ithaque était un pari risqué... " Puis, rajustant sa voix flûtée : " Combien de fois lui ai-je répété : Ignore donc la mort et tu te feras ignorer d'elle ! " Il a l'assurance tranquille d'un homme immunisé contre la nostalgie et qui se soutient au-dessus du vide grâce à un goût effronté, total, de l'existence. Ce professeur de bonheur parle de toi comme on parle d'un fils.

" Grâce à l'écriture, s'interroge le second, a-t-il triomphé de ses accès d'ennui ? A-t-il échappé à l'exil intérieur ? Qui sait ? En tout cas, il sourd de ses romans autobiographiques une sorte de staccato, une petite musique personnelle qui fait danser la vie. " Et pour enfoncer le clou : " Outre le sentiment du Haut-Pays, qui m'est cher, j'ai trouvé dans son œuvre l'expression directe, authentique, d'une vie de plein vent. " C'est le plaidoyer d'un géographe, d'un amateur d'herbes folles et de sentiers improbables, instruit dans l'art de franchir les défenses et de triompher des pesanteurs.

Le troisième, qui n'a rien dit, s'est assis au piano. D'abord, ce sont des pépiements, des trilles d'oiseaux tristes, puis une aubade capricieuse dans le goût espagnol, puis un choral de cloches, ondoyant et crépusculaire. Un imagier feuillette un vieil album de vignettes sonores. À chaque nouvelle alerte pour l'oreille, comme un coup frappé au carré fait surgir l'inconnu, un miroir fascinant ranime et réfléchit des fantasmagories ; alors l'œil qui voyage, s'étonne du volètement gracieux d'un papillon, du roulis d'une barque sur l'océan ou des feux rutilants d'une salle de bal. Des saisissements enfantins, des parenthèses enchantées qui dilatent l'âme. Des tableautins au trait ferme et net. Une allusive beauté, dix fois mystérieuse, piégée dans les appeaux tendus par un fou de perfection.

L'envoûteur a rabattu doucement le couvercle sur le clavier. Un ange passe. Celui qui fut ton maître a parlé.


Note de Serge Velay : (par ordre d'apparition : Jean Giono, Julien Gracq et Maurice Ravel)

Serge Velay,
Le Palais d'été, XXXVII, précédé de J'ai oublié ma phrase, Album, éditions Domens, 34120 Pézenas, 2015, pp. 90-91.

Serge Velay, Le Palais d’été (extrait)


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