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Deux anges passent

Publié le 12 avril 2017 par Jlk

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Une lecture de La Divine Comédie (42)

Le Purgatoire, Chant VIII.

Arrivée des anges. Nino Visconti. Les trois étoiles. Le serpent mis en fuite. Corrado Malaspina

(Dimanche de Pâques, vers 7 heures et demie du soir)

L’actuelle superstition scientiste accorde plus de crédit aux sciences dites dures qu’au doux savoir, mais l’angéologie est reconnue par l’Abbaye de Thélème et c’est ce qui compte.

Le penchant naturel (la Bête) de l’homme (et de la femme quand elle se laisse aller) tend le plus souvent vers le bas, aux ordres de son cerveau reptilien, tandis qu’un élan contraire surnaturel le fait lever les yeux vers la cime accueillant le premier soleil ( c’était tôt l’aube au pied des Aiguilles dorées, un dimanche matin de nos vingt ans) ou les derniers rayons du crépuscule en ce huitième chant du Purgatoire.

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Toute la foule qu’il y a là, autour de Dante et de ses collègues poètes Virgile et Sordel, lève ainsi les yeux en cette fin de dimanche de Pâques de l’an 1300, et pour répond en envoyant deux de ses émissaires ailés, une fois le ciel, aux regards ardents et aux hymnes, porteurs d’épées de feu et tout nimbés de vert espérance.

Ainsi Dante les décrit-il plus précisément:

« Verdi come fogliette pur mo nate

erano in veste, che da verdi penne

percosse traen dietro e ventilate ».

 

Autrement dit :

« Vertes comme des feuilles nouvelles nées

étaient leurs robes, que battaient les plumes vertes

flottant derrière eux, agitées par le vent ».

La poésie de Dante ne se réduit pas du tout à l’apocalyptique représentation que scelle le plus souvent l’expression « dantesque », comme le montrent, et de plus en plus en ces lieux de purification, tant d’images d’une infinie délicatesse et surfine harmonie, en contraste absolu avec le chaos vaseux ou visqueux dans lequel rampe le sempiternel serpent.

Lequel surgira d’ailleurs tout à l’heure là-bas, que le défunt poète Sordel désignera à Dante en ces termes : « vois là notre adversaire », identifiant ce même serpent « qui donna à Eve le fruit amer »…

Et le voici rampant :

« Tra l’erbe e’fior venia la mala striscia,

volgendo ad ora ad or la testa, e ‘l dosso

leccando come bestia che si liscia ».

Autrement dit :

« Entre l’herbe et les fleurs venait l’affreux reptile,

tournant de temps en temps la tête et se léchant

le dos, comme une bête qui se lisse ».

 

Mais les anges apparus auparavant ne sont pas là que pour la photo : les voilà qui, tels des « éperviers » fondent comme l’éclair sur le suppôt de Satan…

Plasticité remarquable de la scène !

Ainsi la Commedia nous tient-elle et nous retient-elle, si l’on ose dire, par les deux bouts de la griffe et de l’aile.

Ainsi de ce souvenir, ce dimanche-là, dans la paroi des Aiguilles dorées où la lumière descendait tandis que nous montions, lorsque mon ami R*** dérocha soudain, et tout aurait pu finir comme ça : mais non, je ne sais quel ange le retint je ne sais comment de ce côté de la vie alors qu’à quelques dizaines de mètres de là, sur une voie parallèle, le guide et chanoine René M ***, qui avait tout vu de la scène, restait encore figé, saisi, pantois, aussi vert que son compagnon à lui et que les deux saints volatiles de la Commedia

Je n’invente rien: mon rapport a été déposé aux archives angéologiques du canton du Valais…

 

Dante Alighieri, Le Purgatoire. Traduction et commentaire de Jacqueline Risset. Flammarion GF.


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